17 février 2020

Temps de lecture : 2 min

Un monde hyperréel est-il désirable ?

Nous connaissons tous des scénarios dystopiques à la Black Mirror où de nouvelles technologies censées faciliter nos vies finissent par nous asservir. Dans les court-métrages hyperboliques du réalisateur Keiichi Matsuda, c’est par la voie de l’immersion dans une réalité augmentée où le réel et le virtuel s’entrelacent qu’un monde synthétique et personnalisable prend forme.

Nous connaissons tous des scénarios dystopiques à la Black Mirror où de nouvelles technologies censées faciliter nos vies finissent par nous asservir. Dans les court-métrages hyperboliques du réalisateur Keiichi Matsuda, c’est par la voie de l’immersion dans une réalité augmentée où le réel et le virtuel s’entrelacent qu’un monde synthétique et personnalisable prend forme.

Imaginez une société où la sévérité du quotidien s’adoucit grâce à une réalité dopée de couleurs et de divertissements, mais dont le prix à payer est la réception ininterrompue de stimulus publicitaires. C’est ainsi qu’on pourrait résumer la vidéo conceptuelle du réalisateur anglo-japonais Keiichi Matsuda. Un court-métrage qui date de 2016, mais dont la pertinence ne fait que s’accroitre au fil des années au regard du développement croissant de la réalité virtuelle et de l’internet des objets.

Un futur hypermédiatisé

L’hyperréalité se caractérise par une amélioration artificielle de la réalité rendue possible par l’incapacité de la conscience à discerner le réel de l’imaginaire. C’est ainsi que le philosophe Jean Baudrillard considérait le monde dans lequel nous vivons comme une copie de la réalité, un ersatz innervé par des forces de l’imaginaire comme la publicité, la télévision ou la pornographie. Aujourd’hui, les nouvelles technologies décuplent de façon inédite le potentiel de l’hyperréalité par la possibilité de superposer à l’espace physique des couches d’informations virtuelles. Le but : produire une réalité synthétique et individualisée afin de se protéger du dehors.

Une proto-réalité dopée d’écrans virtuels

Dans le court-métrage « Hyper-Reality » de Keiichi Matsuda, le réel se fond dans une proto-réalité dopée d’écrans virtuels, de voix de synthèse et d’objets connectés. La voix qui s’adresse au personnage sonne comme un réconfort standardisé, les écrans augmentés ne cessent de jouer sur des leviers émotionnels tandis que les couleurs tonitruantes rachètent la laideur d’un monde bétonné à l’excès. Tout l’écosystème informatique est taillé pour réenchanter le monde et faciliter la vie de l’usager : icônes d’avertissement, infographies clignotantes, nuages de données avec météo, humeur, profil et playlist…

HYPER-REALITY from Keiichi Matsuda on Vimeo.

Un techno-cocon

Sauf que derrière cette technologie a priori confortable se dissimule à peu près tous les éléments des scénarios dystopiques de notre modernité. Les êtres humains sont classés par niveaux, lesquels sont pondérés par des points selon la fonction occupée et les biens de consommation achetés. L’ennui est comblé par des sonorités divertissantes et des jeux vidéos, l’accomplissement des devoirs est rappelé par un guru paternaliste tandis que les questions existentielles trouvent leur réponse sur un moteur de recherche. Mais le principal revers de la médaille revient peut-être à l’irruption intempestive et permanente de stimulus publicitaires omniprésents sous la forme de panneaux scintillants, de notifications invasives et d’écrans virtuels incrustés sur l’ensemble du champ de vision.

Déjà implémentés dans nos sociétés

Comme tout bon scénario dystopique, ce futur hypertrophié n’est pas si loin de notre réalité. Les dispositifs que ce court-métrage évoque sont déjà implémentés dans nos sociétés : des systèmes de notation au rappel des devoirs professionnels jusqu’à l’ubiquité vertigineuse de la publicité dans les espaces publics. Un système d’asservissement compensé par ce que l’écrivain Alain Damasio appelle le « techno-cocon », c’est à dire des bulles technologiques confortables qui nous couvent pour notre apparent bien être jusqu’à nous rendre dépendants et prisonniers de son usage. C’est ainsi qu’en se protégeant de l’extérieur en créant leur propre réalité, les individus pourraient tendre vers une nouvelle forme d’individualisme matérialisé par des bulles de réalité non partageables. Un scénario qui souligne les turpitudes de l’hyperréalité et invite l’industrie publicitaire à se questionner sur l’aliénation qu’elle produit.

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