Alors que l’imminence de l’élection présidentielle américaine a ravivé les craintes concernant les manipulations des réseaux sociaux par des puissances étrangères, des voix s’élèvent pour appeler à la signature d’un équivalent de la Convention de Genève, applicable au numérique. Mais en quoi cela consisterait-il ?
“Nous avons besoin de nouvelles règles internationales – des règles définies par les démocraties pour protéger la démocratie dans le monde […] Nous devons créer l’équivalent des conventions de Genève pour le numérique” : c’était l’une des conclusions de Brad Smith, le président de Microsoft, lors de son intervention à la tribune de l’Athens Democracy Forum, après avoir listé les menaces qui pèsent sur la démocratie à l’heure des réseaux sociaux.
Mais quel est le lien avec les réseaux sociaux ?
Imaginées à partir de 1864 par Henry Dunant, le fondateur de la Croix-Rouge, les conventions de Genève fixent les grands principes du droit international humanitaire et les règles de conduite en période de conflits armés, en particulier concernant le traitement des civils, des blessés et des prisonniers. Les textes actuellement en vigueur ont été signés en 1949, puis complétés en 1977 et 2005. Signés par près de 200 Etats, ces textes sont désormais quasiment universels, même si leur ratification ne garantit en rien leur application effective. Mais quel est le lien avec les réseaux sociaux ? pensez-vous…
Les réseaux sociaux, terrains d’une nouvelle guerre
Pour le président de Microsoft qui vient de publier l’ouvrage “Tools and Weapons: The Promise and Peril of the Digital Age”, le numérique, et les réseaux sociaux tout particulièrement, sont le terrain d’une nouvelle guerre : “y-a-t-il jamais eu un avion de l’Armée rouge qui a fait autant de mal à l’Amérique que les attaques menées par les Russes sur les réseaux sociaux ces dernières années ?” se demande-t-il. Pour lui, la transposition des principes des conventions de Genève à l’espace numérique se traduirait par “un texte qui exprime clairement, dans le cadre du droit international, le fait que les gouvernements ne puissent pas attaquer les infrastructures civiles des autres pays, de la même manière qu’ils n’ont pas le droit d’attaquer des civils en période de guerre.”
Un partenariat entre les gouvernements et les entreprises technologiques
A la différence des conventions actuelles, la version numérique de la Convention de Genève se doit d’impliquer davantage de parties prenantes que les seuls États : “au XXIe siècle, le multilatéralisme requiert un partenariat entre les gouvernements et les entreprises technologiques, ainsi que des organisations qui constituent les sociétés civiles du monde entier”. L’accord promu par le président de Microsoft implique donc un nouveau type de multilatéralisme, dans lequel Etats et multinationales se retrouvent au même niveau.
Un moyen pour les entreprises de reprendre la main dans ce débat ?
“La proposition d’une Convention de Genève sur le digital est intéressante : c’est un moyen pour les entreprises de pousser les gouvernements à l’action, alors que jusqu’à présent le débat tournait plutôt dans l’autre sens” décrypte David Sanger, correspondant du New York Times qui intervenait aussi dans le cadre de l’Athens Democracy Forum, avant de préciser que « tout accord qui n’inclurait pas dès le début la Chine et les Etats-Unis, qui contrôlent la majorité des infrastructures web, ne servirait à rien. Et vous devez aussi y ajouter les Russes, qui sont des éléments perturbateurs, même si on ne les considère pas comme une grande nation technologique.”
Cet OTAN du digital sera-t-il suffiant pour lutter contre les fake news?
“Bien sûr que ce ne sera pas parfait, reconnait Brad Smith. Aucune loi dans l’histoire de l’Humanité n’a éliminé tous les crimes. Pourquoi s’en préoccuper alors ? Parce que nous devons clairement établir ce qui est autorisé ou non. Nous devons tracer une ligne. Il ne faudrait pas que dans la décennie qui s’ouvre, des Etats continuent à influencer les élections d’autres pays en considérant que c’est quelque chose qui est permis.” Le président de Microsoft va encore plus loin : pour défendre la démocratie, de nouveaux moyens doivent être déployés en ligne, en mutualisant les forces. ”Il faut que les démocraties du monde entier se rassemblent, pour créer une ligne de défense multilatérale pour le cyber-espace, de la même façon que nous avons eu besoin, après la Seconde guerre mondiale d’une alliance transatlantique”. Dans un contexte de guerre numérique, cet OTAN du digital sera-t-il suffiant pour lutter contre les fake news, les manipulations des réseaux sociaux et les cyber-attaques ?