INfluencia : les Français sont nombreux à partir travailler à la Silicon Valley. Rares toutefois sont ceux qui font le chemin inverse surtout lorsqu’ils sont PDG d’une firme en plein essor. Pouvez-vous nous expliquer votre décision ? Le mal du pays ?
Geoffroy Martin : aucunement. J’ai la double nationalité et je me sens chez moi aussi bien en France qu’aux Etats-Unis. Après trois ans à Chigago durant mon CNSE, ce système qui permettait de travailler à l’étranger en lieu et place du service militaire, je suis parti dans la Silicon Valley en 1999 et j’ai rejoint Art.Com quatre ans plus tard. Quand j’ai quitté l’entreprise au poste de PDG, le site employait 1000 salariés et générait un chiffre d’affaires de 250 millions de dollars grâce à ses 20 millions de clients basés dans 125 pays. J’ai rejoint Criteo en France en 2019 car ses dirigeants me donnaient l’occasion de devenir intrapreneur dans le groupe, en créant l’activité retail-media. Ce challenge de piloter une toute nouvelle division m’a séduit et j’ai vécu là-bas une très belle aventure qui nous a permis de générer un chiffre d’affaires de 700 millions de dollars au bout de trois ans.
Des publicités mobiles qui sont basées sur l’analyse des intérêts d’une audience plutôt que sur ses données personnelles
IN : pourquoi décider alors de rejoindre Ogury ?
G. M. : les deux co-fondateurs d’Ogury, Jean Canzoneri et Thomas Pasquet, m’ont convaincu de les rejoindre car ils sont parvenus à créer quelque chose de nouveau qui à un énorme potentiel de croissance. L’industrie publicitaire a besoin de résoudre un important challenge. Sans pub, il n’y aura pas d’internet sauf si tous les contenus deviennent payants mais depuis quelques années, une levée de bouclier s’est levée concernant la protection de l’identité des internautes. Le RGPD en France et le CCPA en Californie le prouvent. Avant la pub sur internet ressemblait un peu à Big Brother mais les cookies sont appelés à disparaître l’année prochaine. Les deux fondateurs d’Ogury ont eu l’intuition de génie en 2014, soit cinq ans avant l’arrivée du RGPD, de développer une solution technologique totalement différente des autres acteurs du secteur. Au lieu de rassembler les données des internautes à leur insu, ils leur ont demandé leur autorisation. En quelques années, Ogury est parvenu à collecter les datas de 2… milliards de téléphone dans le monde. Ce volume énorme d’informations nous a permis d’étudier les comportements en ligne des utilisateurs, de connaître leurs sites préférés ainsi que les applications qu’ils ont téléchargées. Notre modèle non intrusif et plus performant que les autres nous permet aujourd’hui de proposer des publicités mobiles qui sont basées sur l’analyse des intérêts d’une audience plutôt que sur ses données personnelles. Nos publicités sont personnifiées et non pas personnalisées et nous pouvons faire ce travail sans récolter aucune nouvelle data auprès des internautes.
IN : ne craignez-vous pas que votre modèle ne devienne dépassé si vous ne récoltez pas de nouvelles données qui vous permettront de détecter les tendances du moment ?
G. M. : nous ne le pensons pas car nous réalisons chaque mois des millions de sondages auprès de volontaires qui nous permettent de rafraîchir nos connaissances et de réactualiser notre écosystème.
Nous n’avons pour cela aucunement besoin de lever de fonds car nous avons toujours été profitables.
IN : quelles sont vos fonctions au sein du groupe et quels sont vos objectifs ?
G. M. : je suis en charge de toutes les fonctions au sein du groupe en dehors des finances et des ressources humaines. J’ai les responsabilités d’un directeur général. Thomas reste PDG et Jean s’occupe principalement de stratégie. L’entreprise emploie aujourd’hui 450 salariés dans 20 pays et réalise un chiffre d’affaires compris entre 100 et 200 millions de dollars -nous ne donnons aucun chiffre plus précis- généré à 40% aux Etats-Unis. Thomas et Jean ont bâti quelque chose d’extraordinaire mais ils cherchaient une personne qui les aiderait à « upscaler » leur entreprise. Mon rôle est donc de transformer cette société pour qu’elle devienne un groupe mondial qui aura révolutionné la publicité en ligne.
IN :comment allez-vous faire ?
G. M. : nous allons commencer par recruter 250 personnes supplémentaires d’ici la fin de l’année. Il n’y a aucune raison pour que notre chiffre d’affaires ne soit pas un chiffre à 9 « zéros » dans quelques années. Criteo est bien parvenue à passer de 0 à 2 milliards en une décennie. Nous n’avons pour cela aucunement besoin de lever de fonds car nous avons toujours été profitables. Nous ne nous interdisons pas, par contre, à faire quelques acquisitions si des opportunités intéressantes se produisent.