L’expérience client est dans toutes les bouches mais rares sont les entreprises qui la considèrent comme un élément central de leur stratégie. Isabelle Macquart et Christophe Chaptal de Chanteloup jugent pourtant qu’elle découle directement du monde de fonctionnement des sociétés. Bons et mauvais élèves à la clef.
Diplômée de l’Ecole Normale et de l’Ecole Centrale de Paris, cette professionnelle de la finance s’est associée avec un spécialiste du design et des médias pour créer Experience makers, une agence spécialisée dans l’élaboration et le déploiement de modèles économiques d’expérience client. Pour expliquer leurs pensées, ces consultants viennent de publier aux éditions Designfax un ouvrage intitulé « L’expérience client et son modèle économique ». INfluencia les a interrogé pour mieux comprendre leur raisonnement.
INfluencia : pourquoi avoir écrit ce livre ?
Christophe Chaptal de Chanteloup : c’est la première fois que nous écrivons un livre ensemble. Nous nous sommes aperçus que nous avions une vision commune. Nous nous sommes intéressés au fait que tout le monde parle de l’expérience client et du modèle économique mais que personne n’évoque le modèle économique d’expérience client.
Isabelle Macquart : les gens en charge de l’expérience client comme les designers ne sont pas ceux qui élaborent la stratégie de l’entreprise. Nous voulions montrer que le modèle économique d’une société est représenté par l’expérience client.
Christophe Chaptal de Chanteloup : l’expérience client est indissociable du fonctionnement de l’entreprise. Aujourd’hui quand on en parle, on prend en compte l’ensemble des parties prenantes et on arrive très vite à raisonner sur le modèle économique de l’entreprise.
IN : sur quoi repose le modèle économique de l’expérience client ?
C. C-C. : pour évaluer ce modèle, nous prenons en compte trois principes. L’attractivité : quel intérêt mon expérience client suscite t-elle ? La faisabilité : mon modèle économique est-il réaliste ? La pérennité : mon modèle économique est-il viable dans le temps. Ces principes sont suivis par cinq indicateurs clés (KPI). Pour l’attractivité, nous analysons la valeur d’usage, l’émotion ainsi que l’éthique. Et pour la faisabilité et la pérennité, nous étudions l’expérience opérationnelle et la rentabilité. Ces cinq indicateurs nous ont permis d’analyser plusieurs cas d’entreprise.
IN : les entreprises ont-elles aujourd’hui compris les liens qui unissent l’expérience client et leur modèle économique ?
C. C-C. : les très grandes entreprises, les start-up et les sociétés très spécialisées ont toujours eu une bonne réflexion sur leur offre mais elles ne prennent pas toujours en compte l’ensemble de ses composantes. Amazon est, par exemple, excellent dans la gestion de sa logistique et la satisfaction immédiate de ses clients mais elle ne prend pas vraiment en compte les facteurs liés à l’éthique ou à la gestion de ses salariés. Facebook répond, quant à elle, à quatre de nos indicateurs mais elle a toujours négligé la dimension éthique et cela lui porte préjudice aujourd’hui.
IN : votre livre analyse 25 cas d’entreprise. Certaines sociétés répondent-elles à l’ensemble de vos critères ?
C. C-C. : Citymapper a tout bon. Ils ont utilisé les données qu’ils ont collectées pour créer, dans un quartier de Londres isolé, leur propre ligne de bus, la CMX1. Cette société a ainsi pu voir les manques en termes de mobilité et proposer un service en conséquence grâce à ses datas. C’est aussi une façon de diversifier ses revenus en devenant opérateur de transport. Citymapper est ainsi parvenu à utiliser son savoir-faire pour apporter un service à la communauté.
I.M. : Citymapper a un défaut : il ne communique pas ses données financières. Lego remplit, lui, 100% de nos indicateurs. Son design est cohérent, l’émotion dégagée par ses produits n’est plus à démontrer, son excellence opérationnelle est avérée, sa rentabilité est incroyable et son éthique environnementale est indiscutable.
C. C-C. : Danone est un autre cas intéressant car son PDG, Emmanuel Faber, a récemment annoncé son intention de mettre fin à son management pyramidal. Le modèle économique de Michelin est aussi très au point.
IN : quels sont les mauvais élèves ?
C. C-C. : Baccarat est complètement décalé par rapport à la demande. Uber est aussi en dehors du coup sur le plan éthique. Ils sont prêts à tout pour prendre des parts de marché. Mais on ne peut pas prétendre proposer une expérience client en minimisant l’éthique.
I.M. : les tensions en interne liées à des systèmes managériaux défectueux ressemblent aux dictatures. Lorsqu’il y a suffisamment d’argent, cela fonctionne mais dès qu’un problème apparaît, l’entreprise peut mourir.
IN : est-il simple pour une entreprise de déployer son expérience client ?
C. C-C. : un tel changement ne se fait pas dans la douceur car il peut choquer le management en place. Il ne s’agit vraiment pas d’une partie de plaisir. Cette transformation peut même sembler un peu brutale mais pour assurer sa pérennité dans un marché très mouvant, l’entreprise doit savoir évoluer de plus en plus vite.