A l’heure où les collaborations entre les artistes et les maisons de mode se multiplient, où les musées consacrés à la mode fleurissent et où les collections rivalisent d’excentricité, le monde de l’art et celui de la mode se lient inexorablement. La mode peut-elle alors être considérée comme un art à part entière, au même titre que la peinture ou la sculpture ? Et a fortiori, le designer serait-il un artiste ?
La question se pose au même titre que celle de la définition de l’art. Est-ce l’unicité ou l’artisanat, la futilité ou le caractère sociétal, le message issu d’un esprit ou son interprétation par les multiples récepteurs, la réflexion d’une époque ou l’intemporalité qui font d’une création une œuvre d’art ? Ou bien, comme le résume Emile Zola, « Une œuvre d’art est [-elle] un coin de création vu à travers un tempérament » ?
Dans l’état actuel de la classification des arts, le stylisme est considéré comme un art appliqué, c’est à dire comme une démarche créative limitée par des contraintes stratégiques ou économiques. On acquiesce pour les grandes marques de prêt à porter répondant à une logique de profit. Entre les mains de certains créateurs à l’instar de Saint Laurent, Martin Margiela ou Issey Miyake, la question se complexifie. La haute couture est, par essence, hors normes et relève du rêve et de l’émotion. Elle n’a ni freins ni codes et l’imaginaire des créateurs y fait figure de loi. Et tous ces couturiers ont su créer et faire perdurer un univers extrêmement cohérent autour d’eux.
La haute couture, un moyen d’expression reflétant la créativité du couturier
Comme un artiste peintre ou un sculpteur, le couturier dispose à sa guise des textures, couleurs, formes et proportions pour modeler le corps comme il l’entend. Aujourd’hui, les collections de haute couture n’ont jamais été plus créatives. Issey Miyake continue à aborder les notions de volumes, de mouvements et de géométrie. Sa démarche s’apparente à celle d’un architecte qui exploite tous les matériaux. La démarche du designer est bien créative et novatrice comme celle d’un artiste.
La mode est également pour les couturiers le moyen de transmettre un message, de dénoncer, de choquer et finalement d’influer sur les mœurs. La libération politique et professionnelle de la femme a ainsi été accompagnée d’un revirement des codes esthétiques de la féminité. Avec Coco Chanel, les vêtements sont devenus plus simples et pratiques s’adaptant à une vie active. Christian Dior n’a eu de cesse de réinventer les silhouettes et de mettre en valeur les courbes, avec des tailles corsetées ou encore des vestes cintrées aux épaules arrondies qui rompent avec la rigueur imposée de l’après-guerre. Yves Saint Laurent enfin, impulse une nouvelle modernité à la femme. Ainsi, si la mode s’inspire d’une époque, elle sait influer sur l’histoire. Si de nombreux arguments attestent des caractéristiques qui peuvent rapprocher la mode de l’art, elle est encore dans une phase de transition pour être entièrement assimilée à l’art. Le designer lui au contraire, dans sa démarche, peut-être assimilé à celui-ci.
La mode, un art à part entière ?
La où les œuvres d’art s’inscrivent dans le temps, gardant leur valeur intacte sur de nombreux siècles, la mode est éphémère par nature, faite de tendances et de renouvellement. Pourtant, certaines pièces semblent déjouer cette logique de temporalité. Qui ne se souvient pas des robes Mondrian d’Yves Saint Laurent ou des robes noires de Chanel ? Qu’est ce qui permet alors à une collection de s’ancrer dans l’histoire ? Si la mode s’apparente à l’art, c’est aussi parce que les maisons multiplient les initiatives permettant à l’œuvre du designer d’entrer dans l’Histoire. Ainsi, à l’instar de Gucci ou Salvatore Ferragamo, les marques ouvrent des musées privés pour mettre en valeur les pièces iconiques qui ont fait leur renommée. De même, elles peuvent s’associer à des musées afin d’organiser des rétrospectives et expositions autour de leur créateur comme l’exposition itinérante « La planète mode de Jean Paul Gaultier, de la rue aux étoiles » qui s’installera au Grand Palais en avril 2015.
Poursuivant cette logique, de plus en plus de maisons choisissent de publier des livres en hommage à leurs créateurs (« Monsieur Dior : Once Upon a Time » « DVF : Journey of a Dress ») mais également des livres d’art (beaux-livres) comme « Louis Vuitton Fashion Photography », ou encore « I Just Arrived in Paris, automne-hiver 2014/15 » fruit de la collaboration entre Nicolas Ghesquière et Juergen Teller. Enfin, les marques utilisent la sphère digitale pour immortaliser leurs défilés en proposant des retranscriptions et des making-of.
Telles des œuvres d’art, certaines collections et pièces emblématiques sont entrées dans la mémoire collective et s’exposent aujourd’hui dans les plus grands musées du monde tandis que se succèdent les expositions et autres livres autour de la figure des designers. Ainsi, les marques disposent d’un éventail de moyens afin d’immortaliser l’œuvre de leurs designers, point d’orgue et source de leur créativité artistique. Autant d’initiatives autour de la personne du designer, qui permettent d’élever la mode valorisée par ces maisons au rang d’art à part entière. La mode serait alors, pour reprendre les termes d’Yves Saint Laurent, un métier « qui n’est pas tout à fait un art, mais qui a besoin d’un artiste pour exister ». Une belle définition…