7 septembre 2023

Temps de lecture : 6 min

« Mes copains me disent que je suis un grand psychopathe », Vincent Grégoire (NellyRodi)

Elles/ils sont publicitaires, femmes/hommes de média, annonceurs, photographes, tendanceurs/tendanceuses, philosophes, écrivain(e)s, artistes… Pour mieux les connaître, j’ai décidé chaque semaine de les soumettre à un « Questionnaire d’INfluencia », autour d’une madeleine et d’un thé, au sein de l’hôtel Swann* – Proust oblige bien sûr – Aujourd’hui, Vincent Grégoire, « tendanceur étoile » et Directeur Consumer Trends & Insights de NellyRodi
INfluencia : Votre coup de cœur en ce moment ?

Vincent Grégoire : Cela fait deux saisons que mon coup de cœur est ce qui se passe avec les drag-queens, et notamment l’émission « Drag Race France » sur France 2, présentée par Nicky Dole. Quand j’ai appris qu’il y allait y avoir une déclinaison française de la franchise « RuPaul’s Drag Race », je me suis dit au début que cela allait rester un phénomène communautaire confidentiel. Eh bien, pas du tout. Je suis complètement bluffé par le succès et l’adhésion de gens très simples qui ne sont absolument pas dans ces univers. C’est vraiment l’avènement d’une culture queer positive, ni woke ni revancharde, mais cool et humaine.

 

Je ne supporte pas les gens qui téléphonent en parlant très fort

IN : Et votre coup de colère ?

V.G. : Les incivilités du quotidien. Je n’ai pas envie de « vivre ensemble », comme on l’entend trop souvent. Vivre ensemble c’est être l’un à côté de l’autre, c’est la culture du chacun pour soi, moi j’ai envie « d’être » ensemble, de faire société. J’ai passé mon été à ramasser les mégots dans le sable, les canettes balancées dans la garrigue ou les réserves naturelles. Je ne supporte pas les gens qui téléphonent en parlant très fort, je risque une baffe à chaque fois que je fais remarquer à quelqu’un qu’il n’est pas dans son salon mais dans un transport public. Il n’y a pas un monument qui ne soit pas tagué. Ce nivellement par le bas m’énerve. Quand je reçois un cv avec des fautes d’orthographe je le mets à la poubelle, ce n’est pas acceptable.

C‘est vrai que cela fait vieux con. Est-ce parce que je vieillis ? Ou que j’ai été bien élevé ? Mes réactions sont peut-être aussi faussées car je passe une partie de ma vie en Asie. Mais j’ai envie de vivre dans de l’excellence, dans du beau, de la qualité, du respect.

C’est peut-être d’ailleurs aussi pour cela que j’apprécie Drag Race avec cette idée de flamboyance, de grandiose et d’incroyable. Ce sont des personnes qui ont subi de gros chocs dans leur vie, qui ont vécu des choses très difficiles mais qui réagissent avec du positif. J’en ai franchement assez des gens qui ne sont que négatifs.

IN : Si c’était à refaire ?

V.G. : Lorsque j’étais gamin, je voulais faire de l’investigation : commissaire de police ou archéologue. Mais en grandissant j’ai réalisé que ces métiers étaient dans le constat et pas dans la projection. Alors finalement si c’était à refaire, je referais la même chose. Peut-être pas en France. Mais je n’ai pas de regrets car je m’aperçois que, sans le vouloir vraiment, je fais un métier dont j’ai un peu redéfini les contours. Il n’y a pas longtemps une journaliste m’a fait rire. Elle me demandait : « que fais-tu comme métier ? ». Je lui ai répondu « tendanceur », elle m’a dit : « ah non, toi tu es tendanceur étoile ». J’ai trouvé cela très joli, tout comme cette phrase d’une Canadienne qui m’a appelé : « sniffeur de tendances ». En fait je fais toujours de l’investigation, mais je transmets ce que je trouve, je suis une espèce de raconteur d’histoire, de passeur d’énergie. A la façon d’un archéologue ou d’un commissaire de police. Certains indices font tilt, je les regroupe, ensuite j’analyse le contexte environnemental, culturel, identitaire, politique, socialo, spirituel pour savoir si ces signaux faibles ont une chance de germer et j’établis des scenarii que je légitime avec de la data.

 

Pour la génération Z, je suis un dinosaure… Mais j’assume…

IN : Votre plus grande réussite…

V.G. : Je vais vous faire une réponse de boomer : être resté fidèle à la même entreprise depuis 32 ans, ne jamais être blasé, et avoir gardé mon enthousiasme.  Alors, bien sûr, quand je discute avec les jeunes de la génération Z, ils ne comprennent pas, pour eux je suis un dinosaure ! Mais j’assume…

 

IN : Et votre plus grand échec

V.G. : En fait, et ne pensez pas que je veuille éviter la question, je n’en ai pas trouvé. J’ai du sang breton et je suis plutôt têtu. Si un truc ne marche pas, je ne vais pas le mettre de côté, je vais essayer de voir comment je peux l’améliorer, et d’en tirer des conclusions, mais je n’abandonne pas. J’ai appris à avoir des convictions et à étudier tous les paramètres pour les placer au bon endroit et au bon moment

 

IN.:  Le pays qui vous inspire

V.G. : Je suis comme les chats, il me faut un panier, une gamelle et une caisse, mais à partir de là il faut que je puisse rayonner. J’aime bouger et vivre partout. Comme je le disais, je suis Breton, et les Bretons ont des qualités de marin, de découvreur. Je sais que ce n’est pas très politiquement correct de voyager, mais je n’en peux plus des voyages sur Zoom, j’adore aller découvrir d’autres cultures, d’autres personnalités, d’autres saveurs.

Il est vrai qu’un pays m’inspire et c’est la Corée. C’est un endroit avec lequel j’ai beaucoup de plaisir à travailler et qui est constamment dans le renouvellement. Je suis tout le temps étonné à chaque fois que j’y vais, je ne m’en lasse pas. C’est là qu’il se passe des choses : metaverse, intelligence artificielle, musique, séries, mode, art, graphisme, littérature… Ce qui ne m’empêche pas de garder le radar sur le Mexique ou d‘autres cultures.

François Pinault parait très intouchable et en réalité est très proche des gens

 

IN.: la personne – en dehors de Nelly Rodi bien sûr – ou l’événement qui vous a le plus marqué ?

V.G. : En dehors de Nelly Rodi en effet, je citerais deux personnes avec lesquelles il y a eu, à chaque fois, un échange, une confiance et des moments où quelque chose de fort s’est produit.

La première est François Pinault, j’ai eu la chance de le connaitre personnellement quand j’étais gamin et ses capacités d’écoute et de dialogue, son humilité, son côté malin m’ont toujours impressionné, ainsi que les discussions qu’on peut avoir avec lui sur l’art, la culture et la société. C’est quelqu’un qui parait très intouchable et qui en réalité est très proche des gens et d’une très grande gentillesse. Il a un côté terrien, il le dit lui-même : « Je suis fils de paysan ». Il peut certes faire des grandes colères mais c’est parce qu’il est déçu, il ne faut pas le trahir ni lui mentir.

La deuxième rencontre qui a compté pour moi est celle de Jean-Luc Delarue qui est venu me chercher chez Nelly Rodi, de mémoire vers 2003-2004 pour être le Monsieur tendances sur son émission « La Vie en clair ». Il m’a aidé à prendre confiance en moi et m’a fait grandir. Il a vraiment été incroyable.

 

J’admire ceux qui osent et transgressent, les audacieux, les effrontés

 

IN. : Les qualités que vous appréciez le plus chez les gens ?

V.G.: D’abord la passion qui vient des tripes et puis l’audace. Je suis fasciné – et en même temps ça me dérange car je suis très jaloux – par les gens qui ont un culot phénoménal, tant que cela ne devient pas vulgaire ou de l’impolitesse. J’admire ceux qui osent et transgressent, les audacieux, les effrontés, parce que je pense que c’est une qualité que je n’ai pas. On m’a toujours dit de rester à ma place. Je peux être très audacieux mais il faut que ce soit dans ma zone de confort. Je ne vais pas provoquer les choses. Je suis un peu trouillard. Mais une fois que je suis rassuré, je peux déplacer des montagnes.

 

Je fais des listes de choses anecdotiques pour me vider la tête

IN. : Quel objet emporteriez-vous sur une île déserte ?

V.G. : De quoi dessiner. Si c’est une ile déserte, elle ne va pas le rester très longtemps pour moi. La première chose que je ferais, ce serait d’en faire le tour, puis de faire l’inventaire des plus et des moins et de les noter pour faire des listes. Il me faudra des crayons à papier et de couleur et du papier. Je suis encore de la vieille école…

Pourquoi des listes ? Je suis un peu comme St Laurent qui mettait des blouses blanches quand il faisait ses essayages avec les mannequins. Si les gens qui étaient autour de lui portaient de la couleur, ça rentrait en compétition avec son travail. Le blanc était une sorte de neutralité bienveillante pour s’extraire et garder sa concentration sur ce qui était essentiel. C’est pareil pour moi, je fais des listes de choses anecdotiques pour me vider la tête, pour m’empêcher de détourner mon regard ou mon attention de ce qui est fondamental. Mes copains me disent que je suis un grand psychopathe. Quand je rentre du marché ou du supermarché, je transvase toutes mes courses dans les mêmes bouteilles ou les mêmes bocaux, de différente taille, avec des étiquettes où tout est écrit à la main, genre cartonnier de notaire. Dans mes placards tout est neutre, quasi-militaire, de manière à ne pas avoir de pollution visuelle qui va me perturber ou m’agresser et m’empêcher de me concentrer sur l’essentiel. J’ai besoin de cette rigueur de fond pour pouvoir me libérer. Les tendances, ce sont des signaux faibles. Pour qu’ils me parlent et sortent du lot, et que je me concentre sur le futur il faut que tout ce qui est « technique » sorte du lot.

 

* l’Hôtel Littéraire Le Swann, situé au cœur du quartier historiquement proustien de la plaine Monceau et de Saint- Augustin, présente une collection d’œuvres originales sur l’écrivain ainsi que des pièces de haute couture, des photographies, des tableaux, des sculptures. Notre interviewé pose à côté d’une sculpture de Pascale Loisel représentant bien sûr l’auteur d’A la recherche du temps perdu

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L’actualité de Vincent Grégoire

La sortie du gros cahier de tendances socio de NellyRodi,  « Life & Style 2025 », publication annuelle référence qui décrypte les nouveaux comportements de consommation, les attitudes, valeurs et styles de vie émergents. Elle propose pour chaque type de consommateur une vision prospective du design, décoration, architecture, art, retail, mobilité, mode, gastronomie, beauté, électronique, loisirs… mais aussi des portraits de talents confirmés ou émergents, ainsi que des repères couleurs, formes, matières et motifs. Le thème de l’année : RISE

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