INfluencia : la 7e édition des prix Business with Attitude Madame Figaro s’est tenue jeudi 20 avril 2023. Comment avez-vous vu évoluer le profil des candidates ?
Morgane Miel : les prix Business with Attitude de Madame Figaro ont été créés pour soutenir les femmes entrepreneures, qui se confrontent toujours à la question de l’argent. Elles représentent 30 % des entrepreneurs en France mais seulement 2 % des levées de fonds. Les investisseurs leur parlent toujours plus du risque que des opportunités de développement et de croissance. Elles demandent moins d’argent que les hommes mais ils apprécient clairement qu’elles aient un associé masculin. Les femmes se tournent assez naturellement vers des projets à impact. Depuis la première édition des prix, les dossiers sont devenus plus importants et ambitieux. De plus en plus de projets sont orientés tech et industrie. A titre d’exemple, la lauréate de cette année, Aude Guo, cofondatrice d’Innovafeed, qui a levé 400 millions d’euros en 4 ans pour son entreprise qui élève des mouches afin de proposer des alternatives aux farines de poissons et huiles végétales utilisées pour l’alimentation piscicole et animale. Parmi les finalistes de cette année, on retrouvait aussi Marie Blaise, présidente de L’Ecole Gustave qui forme des demandeurs d’emploi aux métiers du BTP. Ou encore dans une édition précédente, Julie Davico-Pahin, directrice d’Ombrea, qui conçoit des ombrières agrivoltaïques qui visent à protéger les cultures, accompagner les agriculteurs face aux aléas climatiques et à réduire leur impact écologique.
Lors des échanges au sein de la communauté Business with Attitude, toutes parlent de leur expérience des levées de fonds. Quand la parole se libère, on voit bien que l’argent reste le cœur du problème
IN : une communauté s’est construite au fil des ans autour de ces entrepreneuses. Quel rôle joue-t-elle ?
M.M. : cette communauté est constituée de toutes les demi-finalistes, finalistes et lauréates des différentes éditions, soit plus d’une centaine d’entrepreneures. Elles se rassemblent deux à trois fois par an pour un moment particulier d’échanges avec des femmes qui leur ressemblent, qui leur donnent des conseils et, souvent, les aident. Les échanges se font sur un ton assez libre. Toutes parlent de leur expérience des levées de fonds. Quand la parole se libère, on voit bien que l’argent reste le cœur du problème et s’ajoute à la charge de la famille dont l’ordinateur central reste la femme. La nouvelle génération de femmes se lance dans l’entrepreneuriat non pas pour le pouvoir mais pour une cause qui les dépasse et leur donne la force de franchir le plafond de verre.
La plus grande inégalité femmes-hommes se situe au sein du foyer, de manière assez invisible, autour de l’autonomie financière des femmes
IN : tout un « écosystème business » s’est construit autour de la marque Madame Figaro. Avec quelles ambitions aborde-t-elle ces thématiques ?
M.M. : Madame Figaro est arrivée sur un terrain qui avait été déblayé par l’engagement militant de titres comme Elle ou Marie Claire. Nous voulons montrer comment et où s’invente le monde de demain, dans la mode, la culture, la création…, y compris la création économique dans laquelle les femmes prennent toute place. En tant que média, nous avons une responsabilité de montrer les femmes différemment avec des articles inspirationnels pour voir où toutes ces choses se décident et peuvent accélérer leur carrière. Il y a des role models dans tous les domaines et nous en avons un exemple toutes les semaines depuis dix ans ! Nous nous adressons donc à toutes les femmes car, aujourd’hui, beaucoup de choses restent à faire. L’égalité femmes-hommes a été très abordée à travers les questions de parité ou d’égalité salariale. On est désormais obligé de se battre pour une égalité économique qui est le miroir de l’inégalité de genre. La plus grande inégalité se situe au sein du foyer, de manière assez invisible, autour de l’autonomie financière des femmes.
IN : de quelle manière s’exprime cette inégalité ?
M.M. : même si leur salaire a tendance à augmenter, les femmes s’appauvrissent par rapport aux hommes. 50 % des femmes sont propriétaires quand elles sont mariées mais ne le sont plus dans les mêmes proportions que les hommes après un divorce. Les femmes investissent davantage dans les bien périssables liés aux dépenses communes du quotidien quand les hommes remboursent l’emprunt immobilier, la voiture… De ce fait, toute une part de revenu leur échappe, qu’elles auraient pu placer et faire fructifier. Comme les salaires des hommes sont supérieurs à ceux des femmes, la conjugalisation de l’impôt appliquée d’office par le droit fiscal leur est défavorable car elles paient un taux plus important que celui qui leur aurait été appliqué individuellement. Une proposition de loi déposée en mars 2023 prévoit de faire du taux individualisé la règle par défaut. Pour la proportion de salaire versée sur un compte commun, il serait plus juste d’instaurer un prorata des revenus de chaque conjoint plutôt qu’une somme égale pour les deux.
IN : autant de sujets qu’il n’est pas forcément simple d’aborder…
M.M. : cela peut en effet faire polémique. Quand les femmes lancent le sujet, beaucoup d’hommes le prennent mal et se sentent accusés. A tort ! Madame Figaro a la chance d’être le féminin le plus lu par les hommes. Les articles que nous consacrons à l’autonomie financière des femmes sont un moyen de les sensibiliser. Ils sont aussi mis en avant sur la page d’accueil du figaro.fr. Tout cela donne davantage d’écho à ces sujets et c’est une grande chance.
Dans le milieu professionnel, ce n’est jamais le bon âge pour les femmes. A 30 ans, on leur dit qu’elles sont trop jeunes puis, quand arrive la maternité, qu’elles ont des enfants petits. Il y a une micro-fenêtre de tir entre 40 et 45 ans avant de devenir senior.
IN : la réforme des retraites a remis dans le débat la question de l’âge au travail. Quelles réflexions cela vous inspire-t-il ?
M.M. : dans le milieu professionnel, ce n’est jamais le bon âge pour les femmes. A 30 ans, on leur dit qu’elles sont trop jeunes puis, quand arrive la maternité, qu’elles ont des enfants petits. Il y a une micro-fenêtre de tir entre 40 et 45 ans avant de devenir senior. Il y a pourtant toute une réflexion à mener sur l’âgisme au travail et sur cette troisième vie professionnelle. C’est un vrai sujet de société qui doit permettre de réfléchir à la manière dont on imagine cette vie et à ce que les entreprises peuvent y trouver. Cela suppose aussi une réflexion personnelle pour anticiper cette période de la vie et éviter de la subir, d’autant que les femmes sont touchées par l’âgisme plus tôt que les hommes. L’entrepreneuriat reste une solution. Certaines salariées seraient peut-être heureuses de travailler 3 jours par semaine au lieu de 5, ce qui permettrait d’ailleurs d’embaucher un jeune.
IN : quels autres thèmes seraient encore à creuser davantage ?
M.M. : le thème du management ou de la souffrance au travail sont aussi des thématiques importantes. Pour aider les femmes à investir, il y a sans doute quelque chose à inventer d’un point de vue purement financier pour leur permettre d’atteindre cette autonomie financière. Plus globalement, l’éducation reste un levier pour mieux mettre en valeur ces métiers et filières scientifiques vers lesquelles les femmes ne se dirigent pas spontanément. Là non plus, ce n’est pas quelque chose qui est fait contre les hommes mais qui doit aussi les sensibiliser. Nous avons besoin que les pères parlent différemment à leurs filles et les encouragent à aller vers de nouveaux territoires car cela bénéficiera aux garçons comme aux filles.
En savoir plus
L’écosystème business de Madame Figaro s’incarne dans le magazine et sur le site figaro.fr avec une rubrique dédiée à la marque, une newsletter hebdomadaire qui compte 15 000 abonnés, une newsletter Business Thérapie, lancée en mars 2023…
Les 5 finalistes de la 7e édition étaient :
Charlotte de Fayet, qui a repris et réveillé Molli, une marque centenaire de maille haut de gamme, qui a reçu le Prix du public ;
Floriane Addad, fondatrice de MyTroc, qui conçoit des outils numériques pour réduire la surconsommation et le gaspillage ;
Aude Guo, cofondatrice d’Innovafeed, qui élève des mouches pour nourrir les animaux d’élevage et de compagnie et fertiliser les sols ;
Marie Blaise, à la tête de Gustave, l’école du BTP pour les personnes en reconversion ;
Salomé Géraud du Drive tout nu, qui entend rendre le zéro déchet accessible à tous.