Après la recherche culturelle et symbolique au service des marques, traitée la semaine dernière, voici la “performativité“ ou comment les marques concourent à la construction identitaire et sociale des individus.
La singularité est la nouvelle norme
Dans son ouvrage Exit le marketing de masse ! publié aux éditions Diatenio, Seth Godin montre que la singularité est la nouvelle norme.
Avec l’accroissement des richesses et la diversification des moyens de création et de communication, les gens sont devenus plus exigeants. Ils ne se contentent plus de la « moyenne », du « comme tout monde » (le même type de riz, la même couleur de voiture), mais cherchent au contraire à exprimer qui ils sont au travers de leurs choix. Et ces choix, dans notre société capitalistique, sont majoritairement marchands.
Ainsi les marques sont devenues des ressources symboliques qui participent à la définition de l’identité du consommateur : la consommation (meubles, vêtements, alimentation, voiture, etc.) est dorénavant un terrain de jeux, où s’exprime notre singularité. Loin d’être purement matérielle, la consommation se fait signifiante, culturalisée par l’identification à des marques, qui deviennent des modèles identitaires, au même titre que le genre, l’âge, la nationalité, le métier ou l’appartenance religieuse.
Pour répondre à la question «Qui suis-je ?» et être reconnu socialement, tout individu doit prendre conscience de ces modèles auxquels il adhère. Ce choix est en soi une forme de revendication : préférer telle marque à telle autre, c’est la «performer», consciemment ou inconsciemment, comme modèle culturel. Une nouvelle conception de l’identité émerge : celle que l’on «performe», en choisissant d’apparaître en symbiose avec telle valeur, tel projet, tel univers… telle marque.
« Je Smarte donc je suis »
Dans cette personnalité à mille facettes (sociale, professionnelle, religieuse, nationale, etc.), chacun joue à être, et en même temps, le devient à force de le jouer. Judith Butler l’exprime fort bien dans son essai Trouble dans le genre à propos de l’identité sexuelle, qu’elle qualifie de «performative».
La preuve par un exemple, personnel… Je “performe Smart“, alors même que c’est une voiture peu adaptée pour une famille de 3 enfants. “Smarter“ je suis devenu parce que je m’identifie à son mode d’occupation malin de l’espace urbain. Rouler en Smart, c’est une façon de ne pas se prendre au sérieux (surtout quand on est comme moi immatriculé “PSG 75“), d’être sûr de trouver une place et, finalement, de cultiver sa bonne humeur. Ma fille m’a dit un jour : « Papa, avec la Smart on a toujours de la chance ». Comme beaucoup de propriétaires de Smart, je me gare dans les coins des rues en occupant des demi-places disponibles.
Il y a donc une multitude de façons de “performer une marque“ : adopter un modèle de comportement, inventer ses propres usages, adhérer au modèle culturel de la marque, se vivre via la marque selon une certaine identité, imiter les comportements des adeptes, partager avec d’autres adeptes, devenir ambassadeur de la marque, se revêtir des attributs de la marque…
La “performativité“ s’applique à toutes les marques, y compris à celles qu’on n’affiche pas. Par exemple, on peut adhérer à la Maaf pour ses offres, parce qu’on est attiré par le symbole sympathique du dauphin, ou parce qu’on adhère aux valeurs entrepreneuriales de cette mutuelle.
« Performer une marque », ce n’est pas seulement consommer des produits de manière ponctuelle mais faire de sa consommation un élément de construction de soi. C’est dépasser la simple préférence de marque pour vivre en adéquation avec l’univers culturel et symbolique qu’elle propose.
Pour encourager cette symbiose, les marques ont un rôle stratégique à jouer : fournir des modalités de “performativité“ suffisamment souples pour permettre à chacun de vivre une expérience singulière et authentique. Voici un panorama des modalités les plus courantes.
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Cette théorie “performative“ développée avec le sémiologue Raphaël Lellouche, fait partie intégrante de nos recherches sur la Brand Culture. Le développement de la valeur de marque passe par une stratégie culturelle, qui tienne compte des différents leviers de performation. Pour enrichir leur capital immatériel, les marques doivent s’envisager comme des agents culturels.
Daniel Bô
Pdg de QualiQuanti
Et auteur du livre « Du Brand Content à la Brand Culture »