Enseignants au Groupe Sup de Co La Rochelle, Pierre Baret et Fanny Romestant sont les auteurs de l’ouvrage « 10 cas de RSE » publié chez Dunod. Ces deux chercheurs, qui ont étudié dans leur livre la manière dont plusieurs groupes français comme LVMH, EDF, Bouygues ou Fleury Michon ont intégré leur responsabilité sociétale dans leur stratégie, nous expliquent comment les marques développent des projets pour séduire les « altruistes » millennials.
INfluencia : les millennials semblent bien plus passionnés par les grandes causes que leurs aînés. Comment expliquez-vous l’apparition de cette génération d’altruistes?
Pierre Baret : la principale raison qui explique ce phénomène est que les millennials sont beaucoup plus informés des conséquences de leurs actes d’un point de vue environnemental et sociétal que les générations précédentes qui n’avaient pas forcément conscience de la dégradation de l’environnement et des conditions de travail dans le reste du monde. L’information aide à voir la réalité en face. Dans le passé, seules les ONG essayaient de sensibiliser et d’alerter le grand public sur les problèmes de RSE. Mais ces organisations ne touchaient qu’un pourcentage limité de la population qui était déjà sensible à ces questions. Il y a quinze ans, les étudiants qui intégraient notre Master sur le développement durable étaient d’ailleurs presque tous « politisés ». Ils souhaitaient changer la société. Lorsque je leur parlais de comptabilité qui intégrait les enjeux de RSE, ils me disaient que j’utilisais la langue de l’ennemi. Je leur répondais qu’ils n’auraient aucun impact s’ils se contentaient de tenir un discours militant. Mes étudiants aujourd’hui sont beaucoup plus pragmatiques.
Fanny Romestant : je relativise, pour ma part, davantage la prise de conscience des millennials autour des questions de RSE. Il y a certes une évolution globale des mentalités autour de ces sujets mais parallèlement l’individualisme se développe, ce qui est antagoniste avec le développement durable. Il existe donc un certain paradoxe. On constate néanmoins que cette génération est en quête de sens. Elle souhaite comprendre le pourquoi du comment. Ses valeurs ne sont pas basées sur l’expérience et l’ancienneté.
IN : comment les marques ont-elles compris qu’elle devaient répondre aux nouvelles attentes des millennials ?
P.B. : certaines n’ont pas eu le choix… L’exemple que je cite souvent est celui de Nike. En 1997, un journaliste a révélé qu’un sous-traitant du sous-traitant du sous-traitant du groupe américain faisait travailler des enfants dans son usine. La première réaction de Nike a été de dire que cette affaire n’était pas de son ressort mais cette décision a provoqué un effondrement de son cours en Bourse. L’équipementier a alors pris ce problème à bras le corps et tous les industriels du textile ont suivi.
F.R. : certaines entreprises pionnières comme Patagonia ou Body Shop ont montré la voie bien avant les années 2000 mais la plupart des sociétés se sont posées des questions autour du développement durable dans les années 2000. Les compagnies les plus polluantes qui sont le plus souvent mises sur la sellette comme Total sont celles qui ont fait le plus d’efforts en matière de RSE car elles n’ont pas vraiment d’autres choix. Les groupes présents dans le BtoB qui ont peu de relations directes avec l’usager ou le consommateur final sont plus en retard dans ce domaine.
IN : comment les marques communiquent-elles pour faire connaitre leur stratégie RSE ?
P.B. : elles ont, dans un premier temps, utilisé la technique du « storytelling » mais les ONG et les syndicats les ont vite accusé de faire du « greenwashing ». Le législateur a alors commencé à accroître son niveau d’exigence en imposant de nouvelles réglementations notamment avec les Lois Grenelle. Ces textes ont obligé les entreprises à prendre en compte dans leur stratégie leurs pratiques sociétales et environnementales. Face à ce phénomène et au fait que la société civile soit de mieux en mieux informée, les marques ont été contraintes de mettre des actes derrière leurs discours. Lorsqu’une société s’engage à faire quelque chose, elle doit tenir sa parole qui ne tombera pas dans l’oubli. L’effondrement du Rana Plaza au Bangladesh a prouvé que les industriels du textile ne contrôlaient pas leurs chaînes de sous-traitants. Le grand public a alors compris qu’il existait un écart entre les discours des marques et la réalité. Mais le risque réputationnel est aujourd’hui trop élevé pour que les sociétés fassent de la publicité mensongère.
F. R. : les entreprises ont souvent lancé leur stratégie RSE après la mise en place de normes ISO. L’arrivée de nouvelles réglementations les a contraintes à franchir ce pas mais elles commencent aujourd’hui à vouloir aller plus loin. LVMH intègre ainsi dans sa comptabilité son impact sur l’environnement. Cette démarche est nouvelle et innovante. Nous avons, de notre côté, développé avec Fleury Michon une chaire sur la question de la performance globale des sociétés.
IN : toutes les marques s’impliquent-elles réellement dans la RSE ?
P.B. : lorsqu’on fait des recherches sur internet, on voit de nombreuses entreprises qui développent des stratégies RSE et nous travaillons avec des sociétés qui ont envie de faire des choses mais ces groupes ne représentent peut-être que la partie immergée de l’iceberg. J’imagine que beaucoup de compagnies tentent de passer entre les mailles du filet. Je constate toutefois qu’un nombre croissant de marques agissent et que de plus en plus de collaborateurs souhaitent s’impliquer dans ces actions.
IN : la politique « altruiste » des entreprises a-t-elle un impact sur les habitudes de consommation des millennials ?
P.B. : Aucune étude scientifique ne prouve qu’une démarche RSE pousse un consommateur à choisir une marque plutôt qu’une autre, mais j’ai le sentiment que cette génération est plus sensible à cette question. Je segmenterai toutefois mes panels car je pense que les millennials les mieux éduqués et formés sont ceux qui sont le plus réceptifs.
F.R. : Une chose est certaine néanmoins : lors de leurs entretiens d’embauche, les jeunes candidats posent de plus en plus des questions à leur possible futur employeur au sujet de leur implication sur les questions de RSE.
IN : un « mauvais élève » peut-il alors avoir plus de difficulté à recruter du personnel qualifié ?
P.B. : ce cas s’est déjà produit. Au début des années 2000, Total, qui avait alors une mauvaise réputation, devait embaucher les millennials à des tarifs supérieurs à ceux du marché pour les convaincre de travailler pour lui. Le groupe a depuis fait de nombreux efforts pour améliorer son image de marque en matière de RSE et les étudiants acceptent plus facilement de se faire recruter.
IN : comment les marques cherchent-elles à développer des projets qui permettent aux millennials de s’engager ?
P.B. : certaines autorisent leurs collaborateurs à faire du bénévolat sur leur temps de travail. D’autres s’impliquent directement dans certains projets. Lafarge a, par exemple, beaucoup travaillé afin de ré-habiliter ses sites après leur exploitation. Le problème aujourd’hui est que les marques peuvent s’engager dans un nombre si important d’actions en matière de RSE qu’elles ont du mal à faire des choix. Elles doivent donc définir en amont des critères pour savoir pourquoi elle devrait aider un projet plutôt qu’un autre.
IN : les millennials ont donc forcé la main aux marques afin qu’elles se montrent plus altruistes ?
P.B. : cela va dans le sens de l’histoire. En 1993, lorsque je parlais de développement durable, peu savaient de quoi il s’agissait. Aujourd’hui, tout le monde a conscience de la responsabilité des entreprises dans ce domaine. Presque tous les grands groupes communiquent sur leur stratégie RSE et les jeunes dans l’enseignement supérieur sont formés à ces questions.
F.R. : un cercle vertueux s’est créé au fil des années.
Cet article a été écrit dans le cadre du Report n°3 sur » Les millennials : une génération altruiste « , en partenariat avec M6 Publicité !