A tous les défaitistes qui pensent encore qu’une marque ne peut pas endosser le costard risqué et pernicieux d’un activiste, Patagonia redonne de l’espoir. Les marques premiers acteurs du changement ? En tout cas elles ont leur mot à dire ! Entretien avec le directeur marketing.
Lire le press kit de Patagonia c’est se moquer par avance du programme trop timide du candidat écologique aux prochaines élections présidentielles. Une marque peut donc être aussi engagée sans risquer de brouiller son message ? Quarante deux ans après sa création par le pionnier Yves Chouinard, la marque californienne a dépassé son ambition initiale : elle ne se contente plus d’intégrer les exigences de Dame nature dans son processus de production, elle est devenue une activiste environnementaliste en chef.
Recyclage, matières premières organiques, incitation à la seconde main, condamnation de la sur-consommation, plaidoyers pour une production plus responsable et durable, pétition pour demander l’arrêt de barrages improductifs, fonds pour aider l’innovation et l’entreprenariat écologique, développement d’une ferme solaire à Hawaii : rien n’arrête le volontarisme écologique de Patagonia.
Forcément, sa stratégie marketing s’inscrit dans cette politisation de son message. Entre le brand content du documentaire DamNation et le slogan « N’achetez pas notre veste », Patagonia détonne et assume son rôle de chef de fil et d’agent perturbateur. Pour comprendre la philosophie et l’action d’une marque engagée et heureuse de l’être, INfluencia a interrogé Strick Walker, son Director of Global Marketing. Voici la première partie de cette interview.
INfluencia : êtes-vous d’accord si nous disons qu’une communication responsable ne signifie rien, mais que c’est parce qu’une marque est responsable elle-même que sa stratégie d’engagement peut avoir de l’impact ?
Strick Walker : complètement. Les consommateurs sont assez malins et éduqués pour déceler les communications de marque qui ne sont pas représentatives des actions et valeurs réelles. C’est très difficile de demander aux gens d’agir, d’engager, de participer, s’ils ne vous font pas confiance en tant que marque, s’ils doutent que vous soyez sincères, bons et justes. Personne ne veut être impliqué dans une campagne malhonnête. Voila pourquoi nous agissons plus que nous ne parlons et que nous essayons de parler quand nous pensons avoir vraiment quelque chose d’important à dire.
INfluencia : quand Patagonia demande au consommateur de ne pas acheter ses produits, où est la stratégie marketing et où est le message politique ? Les deux peuvent-ils collaborer ?
Strick Walker : à travers notre programme Iron-Clad Guarantee ou une initiative comme Worn Wear, nous voulons vraiment engager une conversation authentique et sincère autour de la réduction de notre consommation. Nous pensons que votre premier réflexe doit être de réparer des vêtements abimés et non pas d’en acheter un autre. Nous pensons que vous devez d’abord penser à acheter des vêtements de seconde main quand vous en avez vraiment besoin. Nous travaillons d’arrache pied pour construire des produits qui durent longtemps parce que nous savons très bien qu’il n’y a pas meilleur bénéfice environnemental que la durée d’utilisation d’un produit que vous possédez déjà. La tagline « N’achetez pas cette veste » était conçue pour démarrer un dialogue avec les gens, ouvrir un débat. C’est du marketing brandé dans la mesure où nous parlons déjà de ce sujet en interne, que nous croyons en ce message. L’économie du gâchis et du déchet ne nous mènera nulle part. Nous avons d’ailleurs remarqué que les expériences de recyclage et de réparation fidélisent les consommateurs sur le long terme.
INfluencia : le marketing de Patagonia aujourd’hui se définirait comment : de l’activisme pour une cause cruciale ? un engagement écologique avec un consommateur que vous voulez éduquer ? un argument politique pour le développement durable ?
Strick Walker : tout à la fois, les trois sont représentatives. Nous ne ménageons pas nos efforts pour toucher les gens sur le développement durable, nous travaillons avec nos consommateurs et des ONG pour protéger des zones sauvages où la nature laisse place à l’aventure. Nous finançons des centaines d’organisations environnementales chaque année et nous avons lancé le fonds $20M & Change pour soutenir les start-ups innovantes qui auront un impact positif sur le monde. Nous marketons des produits qui possèdent une innovation écologique qui, nous pensons, apportent des réponses, comme par exemple des combinaisons de surf réalisées avec des plantes, des vestes qui utilisent 84% en moins d’eau pour leur fabrication. Nous essayons d’être un catalyseur pour la destruction des barrages improductifs qui détruisent l’eau et les poissons. Nous venons de transmettre à la Maison Blanche une pétition de 70 000 signatures demandant l’arrêt de quatre barrages qui ne servent plus à rien sur la Snake River dans le Wyoming.
INfluencia : vous marketez donc presque plus une cause qu’un produit. Comment inclure les deux dans votre message sans les dissocier ?
Strick Walker : une meilleure fabrication du produit peut parfois être la cause la plus efficace. Nous espérons inspirer d’autres marques à partager et adopter certains des matériaux et processus de production que nous avons développés. Il faut par exemple étendre le coton organique au niveau industriel, moins de 2% de sa production mondiale l’est. C’est fou et anomal. Trop peu de marques de vêtements possèdent la certification Fair Trade, trop peu utilisent une matière première recyclée. Nous avons même commencé à trouver une manière régénérative de fabriquer des vêtements, en utilisant de la laine revigorante dans certains de nos produits. Et nous sommes capables de faire repousser les prairies dont elle est issue en Amérique du Sud. Parallèlement, le programme Patagonia Provisions n’ambitionne pas uniquement de développer des produits qui protègent mieux la planète, mais de la restaurer au fil du temps, à la seule condition que cette pratique prenne une ampleur mondiale. Si nous avons décidé de nous diversifier dans le saumon, c’est justement pour montrer qu’il était possible de faire autrement.