Puisque le modèle de l’innovation par “uberisation” commencerait à trouver ses limites, une nouvelle innovation de rupture fondée sur des avancées scientifiques se développe : la deep tech. Peut-elle changer aussi la pub ?
Elles s’appellent Lilium Aviation, BioCarbon Engineering, G-Therapeutic, NovaGray. Elles émergent depuis plus de deux ans en Europe et aux Etats-Unis, levant plus 7,5 milliards d’euros en 2015. Toutes ont gagné le challenge Hello Tomorrow et toutes proposent des produits ou services sur la base d’innovations de rupture, que ce soit entre autres dans l’intelligence artificielle, les nanotechnologies, l’Internet des objets ou la robotique. Elles, ce sont les 3500 start-up de la deep tech identifiées par le fonds anglais, Atomico. Les GAFA se penchent, en effet, désormais avec intérêt sur les mathématiques appliquées, la biologie ou la physique. Quand la start-up digitale classique se concentre sur les usages existants, celles de la deep tech invente des nouvelles solutions.
Les start-up issues de la recherche sont un acteur central de cette révolution deep tech. Elles concentrent des financements considérables et en forte hausse, comme dans les biotechnologies (7,5 milliards d’euros en 2016 contre 1,7 milliard en 2011) ou dans la réalité augmentée, la réalité virtuelle et les drones. Pour mieux comprendre les attentes, les défis spécifiques et les conditions de succès de ces start-up, le Boston Consulting Group et Hello Tomorrow ont publié un rapport, » From Tech To Deep Tech – Fostering Collaboration between corporates and startups « . Il est basé sur une enquête auprès de 400 start-up du réseau Hello Tomorrow, majoritairement issues de la recherche et provenant de plus de 50 pays. Puisque d’après cette étude, la deep tech s’apprête à bouleverser l’ensemble des secteurs économiques, INfluencia a voulu comprendre quel serait son impact potentiel sur la publicité et le marketing. Entretien avec Arnaud de la Tour, VP de Hello Tomorrow.
INfluencia : qu’est-ce que la pub et le marketing peuvent tirer du rapport BCG/Hello Tomorrow ?
Arnaud de la Tour : l’innovation deep-tech est un concept émergent pour désigner toutes les innovations basées sur des vraies avancées technologiques ou scientifiques et pouvant répondre aux problèmes liés aux grandes tendances sociétales (démographie grimpante, raréfaction des ressources, changement climatique…). Comme il était crucial il y a 20 ans de comprendre l’impact d’internet, il faut aujourd’hui prendre conscience de celui des innovations deep-tech pour comprendre le monde de demain. Tout l’enjeu de ce rapport est de donner des clés de lecture pour approcher et collaborer avec ces start-up qui forment aujourd’hui le berceau des nouvelles technologies et des nouveaux modèles économiques. Certaines de ces start-up sont bien connues, comme celles développées par l’icône, Elon Musk. Mais c’est la partie immergée de l’iceberg et elle compte avec une myriade d’entrepreneurs moins connus, qu’Hello Tomorrow s’efforce d’identifier et de promouvoir. Le marketing RH/B2B devrait prendre ce besoin de collaborations en compte pour être plus ouvert à l’Open Innovation.
IN : mais est-ce que la deep tech touche déjà le marketing et l’industrie publicitaire ?
AdL.: je distinguerais deux choses différentes : la technologie elle même et le concept qui est derrière. Concernant la technologie, ces chiffres ne sont pas dans le rapport, mais une rapide analyse de nos données montre que presque deux tiers des start-up deep-tech s’adressant à l’industrie publicitaire se basent sur des technologies liées à l’intelligence artificielle et au traitement avancé des données en général. Elle permet d’analyser l’engagement du consommateur avant, pendant, et après l’achat, quasiment en temps réel, voire d’anticiper ses besoins. Les capteurs et l’IoT ont aussi une place importante dans ce système de création et d’analyse de données, en suivant le parcours des consommateurs par exemple.
Les nouveaux matériaux peuvent aussi avoir une belle place pour concevoir des packaging aux nouvelles propriétés. C’est également le cas de l’impression 3D qui ouvre un nouveau champ des possibles en termes de design, comme le montre la table “ Growth Titanium Table ” exposée en ce moment au centre Georges Pompidou. Elle a été créée avec un modèle de “ croissance végétale ” directement issu de la nature, et imprimé en 3D en titanium. Nous pouvons aussi noter que, pour l’instant, la réalité virtuelle a encore très peu d’applications concrètes. Le concept est lui-même de plus en plus utilisé, maintenant que le terme “ tech ” est galvaudé et utilisé pour désigner n’importe quelle entreprise dont le modèle repose en partie sur internet. Aujourd’hui ce terme est surtout repris par des fonds d’investissement comme Atomico ou des réseaux comme Hello Tomorrow, mais il pourrait aussi avoir un impact important sur l’identité et le marketing de nombreuses entreprises dans de nombreux secteurs industriels. Il faut recréer le vocabulaire qui va avec, et trouver des façons simples d’expliquer ces technologies à tout le monde.
IN : finalement, qu’est-ce que la deep tech peut apporter à un marché qui n’a jamais été aussi » tech-centric » ?
AdL.: le marché est aujourd’hui “ tech-centric ”, mais le modèle de l’innovation par “ uberisation ” via des plateformes digitales commence à trouver ses limites, comme l’illustre l’application satirique Pooperapp, qui permettrait de mettre en relation des personnes promenant leurs chiens et d’autres prêtes à ramasser leurs excréments. Les deep tech représente donc un relai d’innovation et de croissance pour une ère post-uberisation, avec des solutions qui visent vraiment à changer le monde et les modes de production et non seulement les business models. Le premier gagnant de Hello Tomorrow en 2014 va ainsi bientôt faire remarcher des paralysés grâce à des implants dans la moelle épinière et une rééducation assistée par des robots. Les futurs produits issus de ces technologies ouvrent de nouvelles possibilités en termes de représentation visuelle. Je prends pour exemple les voitures volantes de Lilium Aviation, gagnant de la compétition Hello Tomorrow Challenge en 2016, et de la viande “ cultivée en laboratoire ” par Memphis Meat. Les deux mettront à l’épreuve les compétences en marketing de nombreuses personnes !
IN : le tracking émotionnel et l’utilisation des neurosciences développent la pub d’anticipation. Est-ce qu’agences et annonceurs n’auraient pas intérêt à collaborer avec la deep tech pour standardiser un modèle ?
AdL.: c’est effectivement ce que nous promouvons et facilitons dans toutes les industries : faire travailler ensemble les acteurs établis apportant connaissance du marché et force commerciale avec les start-up qui ont pris rapidement le tournant des deep tech pour développer de nouvelles solutions. L’intérêt pourrait être de standardiser un modèle, mais aussi d’innover et de se développer ensemble plus rapidement.