31 janvier 2025

Temps de lecture : 10 min

Marie-Pierre Benitah (Marystone) : « Je regarde The Voice en replay et parfois je pleure »

Il n’y a pas grand-chose qui, dans la vie, panique Marie-Pierre Benitah, sauf… La fondatrice de l’agence Marystone répond au « Questionnaire d’INfluencia », autour d’une madeleine et d’un thé, au sein de l’Hôtel Littéraire Le Swann* – Proust oblige.

INfluencia : votre coup de cœur ?

Marie-Pierre Benitah : J’ai hésité car je suis plutôt quelqu’un qui s’enthousiasme. Mon cœur s’emballe assez facilement, aussi bien pour une personne que je vais trouver solaire ou charismatique, la justesse d’une formulation, la pertinence d’un propos ou la beauté d’une photo. Je suis très connue pour avoir plein de coups de cœur. Mais je vais citer la pièce de théâtre que j’ai vue en décembre : « Le Cercle des Poètes Disparus ». L’histoire se déroule dans une école prestigieuse et austère aux États-Unis dans les années 60, où un professeur de littérature iconoclaste arrive et encourage ses élèves à vivre leurs passions et à penser par eux-mêmes. Le professeur, interprété de manière envoûtante par Stéphane Freiss (ndlr : aujourd’hui par Xavier Gallais), écrit au tableau la fameuse formule « Carpe Diem », invitant ces jeunes à vivre l’instant présent, car la vie est trop courte.

J’ai toujours été dans l’urgence de vivre des choses fortes

Ce message m’a touchée, car il fait écho à ma propre philosophie de vie et m’a rappelé l’importance de profiter pleinement de chaque moment. Dans la bio de mon Instagram que j’ai dû écrire il y a déjà dix ans, j’ai d’ailleurs mis « Mother. Lover. Traveler. Enthusiast. In a hurry to live ». J’ai toujours été dans l’urgence de vivre des choses fortes.

La pièce met également en avant le pouvoir des mots et des idées, un message cher à mon cœur, à cause de ma passion pour la littérature, mais surtout de mon métier de publicitaire où nous cherchons à changer les perceptions et les comportements à travers des concepts et des mots. Elle résonne aussi beaucoup avec l’actualité en mettant en lumière le rôle crucial des enseignants, soulignant leur importance dans la transmission du savoir et le développement de l’esprit critique chez les adolescents.

Les bons humoristes me font penser un peu à des planneurs stratégiques

J’avoue que j’ai hésité avec un autre coup de cœur. J’apprécie beaucoup les humoristes. J’ai vu récemment Manu Payet que j’adore et, pendant les vacances, j’ai regardé quatre épisodes du « Monde magique de Jérôme Commandeur » sur Canal+. J’étais à bout de souffle tellement c’est drôle. Je trouve que les bons humoristes occupent une place importante dans notre vie culturelle et dans notre vie, ils me font penser un peu à des planneurs stratégiques. Il faut être très intelligent pour être humoriste, il ne s’agit pas juste de faire des punchlines, c’est l’art de savoir observer les travers de nos semblables. Par exemple, Florence Foresti a un regard tellement juste sur le monde qui nous entoure.

L’antisémitisme est vraiment le symptôme d’une société malade

IN. : Et votre coup de colère ?

M-P. B : Je ne peux pas ne pas avoir un coup de colère contre la montée de l’antisémitisme, aussi bien de la parole antisémite qui s’est beaucoup libérée, que des actes antisémites. Ce n’est pas une opinion, c’est factuel. Tous les racismes sont des fléaux pour notre société, c’est banal de le dire, mais l’antisémitisme est un racisme qui a meurtri le 20ème siècle. Or, en France, il y a eu +192% d’actes antisémites au premier semestre 2024. Et c’est vraiment mon coup de colère car au-delà du fait que cela me touche, cela me fait peur pour la démocratie et pour l’époque. C’est vraiment le symptôme d’une société malade, vulnérable et perméable à toutes sortes de discours radicaux, qui a peur, où la confiance collective est ébranlée, où on cherche des boucs émissaires, où les préjugés circulent librement. Et mon coup de colère est aussi contre la facilité avec laquelle la haine se propage sur les réseaux sociaux. On progresse dans la médecine, dans la compréhension de l’univers, dans la science, dans la technologie et on régresse dans le vivre ensemble et dans la communication. C’est tragique.

Avoir perdu à 16 ans ma mère à l’issue d’une longue maladie m’a structurée, en faiblesses comme en forces

IN. : L’évènement qui vous a le plus marquée dans votre vie ?

M-P. B : Sans aucune sensiblerie, c’est le fait d’avoir perdu à 16 ans ma mère à l’issue d’une longue maladie. Cela m’a structurée, en faiblesses comme en forces et fait de moi celle que je suis aujourd’hui. La faiblesse est le fait que j’ai une certaine difficulté à être fière de moi. Le regard maternel, c’est le regard ultime, complaisant dans le bon sens du terme, c’est l’amour aveugle. Je me souviens que ma mère me disait que j’étais la plus belle, la plus intelligente mais elle ne me l’a pas dit assez longtemps. Et quand elle était malade, c’était plus compliqué. Du coup, j’ai aussi l’impression d’avoir du mal à dire à mes enfants que je suis fière d’eux, même s’ils affirment que ce n’est pas le cas.

Je déteste les geignards

Cela m’a aussi donné plusieurs forces : tout d’abord je n’ai pas de dépendance affective. En amour, en amitié, je suis très heureuse des relations que j’ai. Comme j’ai connu le manque abyssal très jeune, personne ne me manque jamais sauf mes enfants.  Ensuite je sais vraiment où est le bonheur, l’identifier, le choper quand il est là et en profiter. Je pense aussi savoir le transmettre. J’ai cette capacité à m’entourer de gens qui voient le verre à moitié plein. Je déteste les geignards. Moi je ne me plains vraiment pas.
Le départ de ma mère m’a également apporté une autre force : comme je ne l‘ai pas eu très longtemps à mes côtés, je n’ai eu que quelques injonctions maternelles, alors je me suis vraiment accrochée à celles qu’elle m’avait données, et à l’une particulièrement. Elle était très intelligente, elle était professeur de français. Mais quand elle a quitté le Maroc et a suivi mon père pour rentrer en France, elle n’a pas pu exercer son métier. Et elle me disait toujours : « je t’en supplie, travaille. Pas seulement pour ton indépendance matérielle même si c’est très important, mais aussi pour te réaliser socialement ». J’ai avancé dans la vie avec cette certitude. Je voulais faire un métier où je serais vraiment contente tous les jours de me lever. Et c’est ce que j’ai fait.

Maintenant que je suis rentrée dans la décennie de la cinquantaine, c’est le moment de regarder dans le rétroviseur

IN. : Votre rêve d’enfant ou si c’était à refaire

M-P. B. : Si c’était à refaire, j’aurais fait la même route aussi bien professionnelle que personnelle, mais j’aurais pris mon temps. J’aurais aimé entreprendre des études à l’étranger ou même une césure après Dauphine mais je me disais que je ne pouvais pas faire cela à mon père et le laisser tout seul à la maison. J’étais comme un peu pressée de le rassurer. Je suis passée de mes études à mon stage de fin d’études et à mon premier job. Je ne me serais pas non plus mariée à 24 ans. J’aurais adoré vivre seule ou en coloc avec des copines ou des copains. Je n’ai pas eu ce moment de liberté. J’aurais peut-être pu aussi développer ma fibre artistique. J’ai beaucoup peint pendant le congé de maternité de mon premier enfant. Mais en dehors de cette période, je ne prenais pas de temps pour faire des choses qui me déviaient de ma trajectoire. Il fallait aller très vite.  

 Il faut se faire plaisir et vivre dans l’instant. Carpe Diem

Mais j’aimerais qu’on se reparle dans cinq ans. Parce que maintenant que je suis rentrée dans la décennie de la cinquantaine, je trouve que c’est le moment de regarder dans le rétroviseur, et il y a certainement des choses qui vont changer dans ma vie. Cela ne veut pas dire que je vais « glander ». Je déteste ne rien faire et souvent mon entourage me dit : « mais tu ne veux pas te poser un peu ? » C’est vrai que j’ai un peu peur de me projeter dans l’avenir, en raison sans doute de ce qui s’est passé dans ma jeunesse. Mais comme je vous le disais précédemment, il faut se faire plaisir et vivre dans l’instant. Carpe Diem.

J’aurais aimé être Léa Salamé

Il y a quand même un métier que j’aurais aimé faire quand j’étais jeune, c’est celui de journaliste, et notamment animer des débats. J’aurais aimé être Léa Salamé. Mais quand j’étais à Dauphine en première année en 1986, et qu’on nous proposait des abonnements étudiants, j’ai découvert un nouvel hebdomadaire Communication et Business et le métier de la publicité. J’ai adoré. Je n’ai pas eu l’impression d’abandonner un rêve, je trouvais que c’était un prolongement.

À Ibiza je prends vraiment mon temps et n’ai aucun sentiment de culpabilité

IN. : Votre plus grande réussite ? (pas professionnelle)

M-P. B. : D’avoir créé à Ibiza, avec celui qui est devenu mon mari, un endroit où à la fois je me ressource et où je réunis ceux que j’aime. C’est à 1h15 d’avion de Paris, donc c’est très facile d’y aller. J’ai pris du temps pour le décorer, j’ai chiné, je suis allée jusqu’à Bali. Un de nos cousins vit là-bas et nous avons trouvé des objets extraordinaires chez des antiquaires, qui ont mis un an pour venir en bateau. C’est tout l’inverse de ma vie de Paris, j’y suis née et j’ai tous les travers des citadins, je vis dans une rue un peu étroite avec un vis-à-vis. À Ibiza j’ai de l’espace, de la lumière, une très belle vue sur la nature et un peu sur la mer. Et ce qui est drôle est que je prends vraiment mon temps et n’ai aucun sentiment de culpabilité. À Paris, tout doit être performatif, tout ce que je fais doit servir à quelque chose, alors que là-bas cela ne me dérange pas.
J’aime cette île. Je ne suis pas une immense sportive, mais il y a tellement de balades possibles, je fais des marches de trois heures, il y a des paysages extraordinaires, des collines verdoyantes, des plages secrètes avec des eaux cristallines, des salines… Et puis c’est aussi un endroit où on ressent une énergie vibratoire liée à une grande mixité cosmopolite.

À force de ne pas vouloir froisser ou décevoir les gens, je n’ai pas assez osé

IN. : Votre plus grand échec ? (idem)

M-P. B. : Je n’ai pas beaucoup échoué, j’ai un côté bon élève. Mais je n’ai pas beaucoup échoué car je n’ai pas beaucoup essayé. À force de ne pas vouloir froisser ou décevoir les gens, je n’ai pas assez osé. C’est mon plus grand échec ! il y a plein de domaines où je n’ai pas été assez culottée. Il y a une phrase de Paul Valéry que j’ai lue un jour et qui m’a assez secouée, même plus qu’elle n’aurait dû : « on peut gâcher sa vie par politesse ».
Je réalise que j’aurais dû monter ma boîte plus tôt et prendre mon destin en main. J’ai trop pensé que je devais suivre le dessein des autres, qu’il fallait que j’aie des mentors. J’avais des peurs débiles qui sont des croyances limitantes. Parce que je n’étais pas la reine des chiffres -mais il y a des gens pour ça- je me suis empêchée d’être entrepreneuse.

Mais ce n’est pas fini parce que depuis six ans, j’ose beaucoup de choses. J’ai créé mon agence et je suis franchement heureuse de l’avoir fait, j’ai lancé l’année dernière un podcast qui, en six mois, marche super bien. En fait, il faut se faire confiance et oser et j’ai mis du temps à le comprendre. Je ne sais pas pourquoi je ne me suis pas autorisée à faire des choses. Mais peut-être tout est-il lié à ce qui s’est passé avant.

La honte de ma vie

De façon plus anecdotique, je ne sais pas me servir d’une télécommande, ou installer les box internet, je fais un véritable blocage et je continue d’appeler un ami dès qu’il y a un problème… Il n’y a pas grand-chose qui me panique dans la vie, mais ça oui… L’autre soir, j’ai dérangé mon fils qui était à un dîner important car je n’arrivais pas à voir un épisode de Jérôme Commandeur. Je ne sais pas exactement ce qu’il avait fait, il avait dû mettre sa console vidéo sur la télé, en tout cas il avait changé des branchements et rien ne fonctionnait… Il m’a répondu qu’il ne pouvait pas se lever de table et m’a demandé de l’appeler en face time vidéo et du coup tout le monde nous voyait. Bien sûr, il a résolu le problème en deux minutes (rires). La honte de ma vie…

IN. : La fleur que vous préférez

M-P.B. : Ce sont les hortensias. Je les trouve charnus, généreux. Je les aime en soliflore en centre de table, ou en bouquet, toujours en nombre impair. Et j’ai tendance à ne pas les jeter, parce que quand j’enlève l’eau et qu’elles sèchent, elles sont impeccables si la qualité était bonne au départ. Ce qui finit par énerver tout le monde parce que j’en ai un peu beaucoup (rires).

Avec mon mari, nous avons réinterprété « donner pour donner » d’Elton John et France Gall, dont j’avais réécrit les paroles

 IN. : Le don de la nature que vous aimeriez avoir

M-P.B. : Mon fantasme : je suis avec des amis, quelqu’un se met au piano et je me mets à chanter. Je trouve que c’est un langage universel, un pouvoir unique de créer des émotions chez les autres. Je suis très bon public et si vous m’aviez demandé quel était mon plaisir coupable ou inavouable j’aurais répondu : je regarde The Voice en replay et parfois je pleure… Parce que je vois ces personnes parfois un peu timides, pas toujours à l’aise dans leur corps, et tout d’un coup leurs voix s’élèvent et leurs personnalités se déploient. Quand des gens s’ouvrent comme cela et que leurs parents et amis pleurent, cela me touche énormément.

J’ai chanté deux fois dans ma vie pour les 13 ans de mon fils et aussi pour mon mari quand je me suis mariée, il y a un an et demi. Nous avons réinterprété pour nos invités un duo « donner pour donner » d’Elton John et France Gall, dont j’avais réécrit les paroles.Nous l’avons enregistré en studio. Et quand nous avons un coup de blues, nous le réécoutons. J’ai donc travaillé un peu ma voix avec quelqu’un qui m’a aidé à faire des exercices pour me décrisper, bien respirer. J’ai juste pris trois cours. Mais je n’ai pas dit mon dernier mot…

IN. : Quel livre emmèneriez-vous sur une île déserte?

M-P. B. : Je prendrais le livre de Charles Pépin « Vivre avec son passé », qui est un mélange de philosophie et de neurosciences. Il explique de façon lumineuse et très optimiste qu’on peut agir de façon positive sur l’impact de ses souvenirs sur son présent. Et parce que je suis un peu nostalgique – mais une nostalgie qui ne rend pas triste – j’emporterais également les albums photos que j’ai à la maison. Cela fait du bien d’amener ceux qui ont compté pour nous, et de regarder les moments qu’on a passés avec eux. Et aussi parce que cela me permettrait de réinterpréter mon passé et de me projeter sur l’avenir. À condition de sortir de cette île bien sûr. (rires)

* l’Hôtel Littéraire Le Swann, situé au cœur du quartier historiquement proustien de la plaine Monceau et de Saint- Augustin, présente une collection d’œuvres originales sur l’écrivain ainsi que des pièces de haute couture, des photographies, des tableaux, des sculptures. Notre interviewé(e) pose à côté d’une sculpture de Pascale Loisel représentant bien sûr l’auteur d’ « À la recherche du temps perdu ».

En savoir plus

L’actualité professionnelle

Marie-Pierre Benitah, fondatrice de l’agence, a piloté pendant plus de 20 ans au sein de l’agence CLM BBDO de grandes marques françaises et internationales en tant que Vice-présidente. En 2017, elle crée sa propre agence Marystone, la Boutique Agence.

Une core team commerciaux et planning à temps plein et des contrats de collaboration avec des créatifs et producteurs indépendants.

Principaux budgets : Intersport (depuis le début), 123 Pare-Brise, Labeyrie, Blini, Omena, DS Café, Go sport…

L’actualité personnelle

A lancé en 2024 un podcast Quincanailles (produit par Tête de Tigre) dans lequel elle interviewe des « femmes de 50 ans radieuses pour démontrer que cet âge peut être pour les femmes synonyme de liberté et de renouveau ». Parmi les interviewées : Sharon Krief, co-fondatrice de la marque Ba&sh, l’animatrice Alexandra Sublet, l’architecte Sarah Lavoine – Poniatovski, la designeuse Marie Poniatowski, etc… Disponible sur toutes les plateformes d’écoute : Spotify, Deezer, Apple et sur YouTube.

 

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