14 décembre 2022

Temps de lecture : 4 min

« La transaction de Camaïeu va devenir un cas d’école dans le cursus des étudiants en marketing », Marcel Botton (Nomen)

Fondateur et directeur général de la plus importante agence européenne de naming, Marcel Botton a imaginé depuis 1981 avec ses équipes, plus de 2000 marques et dénominations qui imprègnent notre quotidien tels que Vinci, Vivendi, Safran, ManoMano, Enedis, Areva, Pôle emploi, Arcelor, Chérie FM... Ce passionné de label a suivi de près la vente aux enchères de la marque Camaïeu qui a été rachetée 1,8 million d’euros par le repreneur de Celio et Jennyfer. Un prix démesuré ? Marcel Botton ne le pense pas si le ratio notoriété/attractivité a été bien calculé...

Avec Camaïeu, seul son logo, son nom et celui de ses domaines sur la Toile ont été vendus aux enchères. Son fichier n’a pas pu être commercialisé pour des questions de protection des données

INfluencia : Après avoir relancé avec succès ces dernières années les marques de vêtements pour adolescents Jennyfer et de prêt-à-porter masculin Celio, Sébastien Bismuth vient de racheter pour 1,8 million d’euros la marque Camaïeu. Que pensez-vous de cette transaction ?

Marcel Botton : cette vente est très intéressante car il n’est pas fréquent de voir une transaction autour d’une marque se faire sur la place publique. Les entreprises manquent de benchmark pour savoir à quel prix peut se négocier un label. Avec Camaïeu, le rachat s’est fait lors d’une vente aux enchères donc tout est public. Il est aussi rare qu’une marque seule soit proposée comme cela a été le cas ici. En règle générale, une entreprise en faillite vend sa marque et son fonds de commerce et il est nécessaire d’évaluer la part immatérielle des biens proposés pour la soustraire du prix de vente afin d’avoir une idée approximative de la valeur de la marque. Avec Camaïeu, seul son logo, son nom et celui de ses domaines sur la Toile ont été vendus aux enchères. Son fichier n’a pas pu être commercialisé pour des questions de protection des données (RGPD). Cette transaction va rester pendant de nombreuses années dans le cursus des étudiants en marketing car elle est exemplaire à plus d’un titre.

Il faut dépenser bien plus de 1,8 million d’euros pour avoir une marque aussi connue du grand public.

IN : avez-vous été étonné par le montant dépensé par Sébastien Bismuth ?

M. B. : quand on pense que la marque avait une notoriété forte et que son fichier comptait 3,8 millions de clients actifs, on peut dire que le ratio entre le prix dépensé et le nombre d’acheteurs fidèles qui n’atteint même pas 50 centimes est plutôt attractif. Il faut dépenser bien plus de 1,8 million d’euros pour avoir une marque aussi connue du grand public. Mais ce raisonnement est assez simplificateur car tout le monde sait que la valeur d’une marque correspond au multiplicateur de sa notoriété et de son attractivité.

Camaïeu a notamment beaucoup souffert que certaines de ses étiquettes soient retrouvées dans les ruines de l’immeuble qui abritait des ateliers textiles à Dacca au Bangladesh et qui s’est effondré en 2013 faisant plus de 1000 victimes.

IN : comment est-il possible d’évaluer ces deux caractéristiques ?

M. B. : il existe plusieurs méthodes pour le faire. Des sondages et des études consommateurs vous permettent de déterminer votre notoriété spontanée et assistée. Des tests qualitatifs et quantitatifs vous aident, eux, à connaître votre attractivité. Cet indicateur est très important car s’il est négatif, votre marque ne vaudra rien. Accroître sa valeur nécessite des efforts permanents sur le long terme. Il faut beaucoup de temps pour améliorer la réputation d’une marque mais par contre, il est très facile de la détériorer car la mémoire a la fâcheuse tendance de mieux retenir les choses négatives. Camaïeu a notamment beaucoup souffert que certaines de ses étiquettes soient retrouvées dans les ruines de l’immeuble qui abritait des ateliers textiles à Dacca au Bangladesh et qui s’est effondré en 2013 faisant plus de 1000 victimes.

IN : est-il intéressant de racheter une marque pour ne pas l’exploiter par la suite ?

M. B. : bien sûr que non. Le racheteur de Camaïeu a d’ailleurs déjà fait savoir qu’il comptait la relancer en 2024 en concentrant son développement sur le web. L’enseigne avait commis l’erreur dans le passé de trop dépendre de son réseau de magasins et de délaisser l’e-commerce. Sa fuite en avant l’avait également poussé à déposer sa marque dans de nombreux pays comme le Portugal, Monaco ou le Benelux et dans une grande variété de secteurs dont la maroquinerie, les télécoms, la restauration, la lessive et même les… pompes funèbres. Au lieu de se disperser un peu partout, l’enseigne aurait dû se concentrer sur son cœur de métier et sur son marché domestique.

Le « ï » de Camaïeu n’est pas anecdotique par exemple car le tréma n’existe pas dans la plupart des langues et on ne peut pas le taper sur de très nombreux claviers d’ordinateur ou de smartphone.

IN : les ventes aux enchères de marque sont-elles appelées à se multiplier à l’avenir ?

M. B. : je le pense car les entreprises commencent à avoir de plus en plus conscience de la valeur de leur marque. Un acheteur doit toutefois étudier avec soin le nom qu’il compte racheter car certains détails ont leur importance. Le « ï » de Camaïeu n’est pas anecdotique par exemple car le tréma n’existe pas dans la plupart des langues et on ne peut pas le taper sur de très nombreux claviers d’ordinateur ou de smartphone. Ce nom qui définit un dégradé de couleurs n’existe pas non plus en anglais notamment où les mots « tone » et « shade » ne signifient pas la même chose. Camaïeu a donc une connotation très franco-française. Cela peut être transformé en atout comme le prouve Lancôme qui a gardé son accent circonflexe français mais cela complique la tâche de la marque à l’étranger. Camaïeu ne devrait toutefois pas avoir ce problème car son nouveau propriétaire a déjà dit qu’il souhaitait concentrer ses efforts sur son marché domestique.

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