15 février 2023

Temps de lecture : 6 min

Marc Drillech : « Devons-nous faire évoluer les marques face aux responsabilités accrues ou sommes-nous condamnés à repenser les mécanismes de la consommation ?»

Marc Drillech, aujourd’hui DG de Ionis Education est passionné par les marques. Des marques qu’il a accompagnées pendant près de 40 ans, chez Publicis Etoile, puis Publicis Dialog. Son dernier livre « les marques : hier, aujourd’hui, demain » vient de sortir. Il nous donne des pistes pour les comprendre

Je ne supporte plus ces spots de pubs qui nous montrent des familles avec un labrador, qui se promènent sur une plage avec en voix off « parce que notre monde change »

INfluencia : vous avez déjà écrit deux livres sur les marques* ? Que voulez-vous démontrer dans ce nouvel ouvrage ?

Marc Drillech : je voulais simplement permettre aux étudiant.es et aux professionnel.les que je croise tous les jours de rencontrer des innovations, des formes magnifiques d’engagement, d’audace, d’intelligence, d’opportunisme. J’ai donc, dans les deux « Brand Success », cherché à exposer à des publics non spécialisés le pourquoi et le comment de grandes réussites de marques dans la communication. Dans ce dernier j’ai souhaité réfléchir aux évolutions des marques plus en profondeur.

IN. : comment avez-vous choisi alors ces deux fois 50 marques ?

M.D. : à la fois de manière très rationnelle en me focalisant sur les succès incontestables des décennies passées, surtout celles qui étaient les plus exemplaires d’attitudes, de parti-pris justes et courageux. Parfois, d’autres moins connues mais riches d’enseignements me semblaient devoir figurer dans cet ouvrage parce qu’elles pouvaient favoriser la curiosité, la réflexion, l’idée que de grandes communications ne sont pas l’apanage des grandes entreprises ou des plus connues. Et puis, je le reconnais, j’ai une tendresse pour ces outsiders qui sont capables, par une inventivité et une justesse forte, de surmonter les handicaps de l’argent.

IN. : à l’heure où les consommateurs exigent à la fois de plus en plus des preuves, et recherchent de plus en plus des marques engagées et responsables, comment les marques renégocient-elles leur contrat avec eux ?

M.D. : certaines, fortes de leur culture et de leurs principes éthiques, de l’histoire même de leurs valeurs, continuent sur un chemin qui rencontre la modernité de manière remarquable. Yves Rocher, Clarins, Bel, Aesops, etc. et pas uniquement Patagonia… D’autres s’adaptent dans le silence des labos, des usines, des bureaux d’études, du marketing, à la recherche d’alternatives, de nouveaux modes de production, d’approches moins dangereuses, de solutions qui permettront de surmonter certaines des difficultés. C’est le cas exemplaire de Fleury Michon. Ces entreprises et leurs marques sont dans l’action, dans l’engagement concret, dans la preuve. Respect pour elles.

Enfin, un nombre non négligeable de marques se cantonne au discours, aux scènes éthiques en trente secondes, aux promesses de bistrots. Et autant j’ai de l’estime pour celles qui ont choisi le parti du changement par l’action et la preuve, autant j’ai une détestation pour les mascarades, les fausses promesses et les pseudo-engagements, les « nous et vous », et les « demain » qui maintiennent le statu quo.

Je ne supporte plus ces spots de pubs qui nous montrent des familles avec le labrador, qui se promènent sur une plage avec en voix off « parce que notre monde change ». Les gens ne veulent pas de communication. Ils exigent de l’action. Et notre société a besoin d’action, pas de simulation.

IN. : les règles du jeu ont beaucoup évolué pour les marques ces dernières années, notamment avec la digitalisation de l’économie et de la société. Quels sont selon vous les enjeux les plus importants pour elles ?

M.D. : votre question mériterait une réponse sous forme de quelques centaines de pages mais je me contenterai de citer certains qui, je crois, vont être toujours plus essentiels et qui fonctionnent de manière complémentaire.

– La question de la « raison d’être » qui signifie que la marque doit être capable de démontrer et de prouver que son rôle ne se réduit pas à la vente de produits et de services mais qu’elle représente un bénéfice collectif. Autrement dit comment faire partager, à l’interne, vis-à-vis des tiers et des clients, « une certaine idée de la marque » qui lui donne un rôle sociétal, même minime, et qui ne la réduit pas à la seule logique production/consommation.

– La question de la relation : comment créer une permanence qui convient au client et qui n’est surtout pas à sens unique, en confondant communication et envoi non-stop de mails, de SMS, de toutes sortes de propositions qui filent à la poubelle parce que cela ne se nomme pas une relation mais une imposition !

 

  • La question de l’innovation utile car malgré toutes les critiques sur notre société celle-ci doit avancer, évoluer et peut penser en termes de solutions, pas seulement de drames prévisibles et de grandes catastrophes. La bataille des marques c’est d’abord celle de l’innovation utile, vraiment utile, en opposition à de fausses bonnes idées qui ne servent qu’à tenter de se dédouaner.

 

  • La question de l’implication à tous les stades du client/consommateur comme un véritable partenaire, par tous les processus de cocréation, de co-collaboration. Le client ne veut plus être qu’un simple payeur, surtout si les offres et les marques sont impliquantes.

 

  • La question de la scientifisation de la communication, pardon pour cette étrange expression, fait que l’ingénieur est partie prenante des analyses et des actions. Le commercial classique n’a plus de monopole, loin de là. Le créatif demeure essentiel mais c’est la marque dans toutes ses expressions qui doit savoir l’être, créer du dialogue, de l’empathie, de la proximité. La data est essentielle même si elle se différencie des outils passés. Mais la data stimule le savoir et apporte une plus grande efficacité. Elle ne suffit pas à créer de la relation. Donc comment la masse plus importante et plus fine de données peut-elle se transformer en une communication performante et, au-delà, une relation plus juste.

Ce qui est un nouvel atout pour les marques devient également un nouveau danger pour les consommateurs, en si belle phase avec « l’ère du fake »

IN. : quel poids pèse aujourd’hui l’influence sur les marques ?

M.D. : on pourrait se questionner autrement et réfléchir au poids des marques sur nos systèmes de communication par influence car les réseaux sociaux, les blogs, les sites personnels, les interventions sous forme d’émissions, de conseils, transforment la dimension directive de la communication traditionnelle. Désormais on tend à privilégier le recours à la parole d’un tiers parce qu’on sait que cette démarche engendrera moins de méfiance, pourra même disposer d’un pouvoir d’influence accru. Il me semble que le futur de nos métiers tient aussi à la mutation des modes de discours. Du traditionnel système d’émission directe de la marque vers le client on assiste au développement de toutes sortes d’approches qui valorisent davantage l’émetteur que le commanditaire, et davantage l’environnement ainsi décrit que la marque et l’offre proprement dite. Ce qui est un nouvel atout pour les marques devient également un nouveau danger pour les consommateurs, en si belle phase avec « l’ère du fake »

L’influence c’est toujours le pouvoir subtil et indirect du plus fort sur le plus faible

Les stratégies d’influence vont se développer parce que les outils le permettent et parce que la proximité est toujours souhaitée par les uns et les autres. Cette tendance devrait impliquer des contrôles accrus de la part des instances de régulation à mesure que les propos, les produits, les arguments font preuve parfois d’approximation, quelquefois de risques véritables … Et c’est le cas. L’influence c’est toujours le pouvoir subtil et indirect du plus fort sur le plus faible

IN. : quelles règles doivent respecter les marques pour converser avec les consommateurs sur les réseaux sociaux ?

M.D. : La réponse est d’une grande simplicité mais sa mise en œuvre se heurte à bien des freins ou des habitudes car ce qu’attendent les consommateurs c’est qu’on fasse très bien ce pourquoi ils viennent vous voir, qu’on ne les considère pas seulement comme des acheteurs, qu’on s’informe auprès d’eux puisqu’ils ont la meilleure expérience des produits qui soient, qu’on soit capable d’économiser le temps et de diminuer le stress. On aura compris qu’une marque, qu’elle propose un produit ou un service, c’est un ensemble de composants qui doivent tous, de la livraison à la qualité de réponse, de la permanence du produit à la gestion des emballages, tenir parole. L’achat est un engagement. La vente l’est aussi.

La guerre qui vient n’est plus celle de la performance du produit mais de sa capacité à répondre positivement à toutes les dimensions servicielles qu’il implique

Dernier point. La bataille de demain, parce que la communication n’a jamais été aussi importante et élevée, parce que le récepteur-individu est devenu un émetteur sur tous les réseaux, c’est la logique du produit complet qui inclut toutes les composantes du service.  La guerre qui vient n’est plus celle de la performance du produit mais de sa capacité à répondre positivement à toutes les dimensions servicielles qu’il implique. Temps de livraison, reprise du produit, réponse à des questions dans un laps de temps toujours plus court… Le service n’est plus un plus-produit. Il est devenu le produit.

IN. : Comment voyez-vous évoluer les marques à l’avenir ?

 

M.D. : merci beaucoup pour cette question si facile …

Je me pose une question qui, je crois, devient fondamentale, et qui est la relation fusionnelle entre les marques et la société de consommation laquelle, sous les divers critiques, questionnements et attaques va devoir être évidemment repensée. Sommes-nous amenés à faire évoluer les marques face aux responsabilités chaque jour accrues ou sommes-nous condamnés à repenser les mécanismes de la consommation et ce qu’elle implique ? La question actuelle de la « fast fashion » en est un exemple. Allons-nous voir les marques évoluer en fonction des nouvelles exigences ou la notion même de marque va-t-elle-même devoir être repensée au-delà des engagements et des « raisons d’être » dont certaines sont des alibis parfaits pour ne pas changer ?

Pouvons-nous, en tant que société, accuser encore longtemps les marques sans se questionner sur nos comportements et attitudes, nos désirs et parfois nos incapacités à résister, le plaisir d’avoir, d’acheter, de cumuler ?

Donc si les marques sont sur le banc des accusés, les consommateurs sont-ils seulement et uniquement invités à siéger sur les bancs de la défense, en tant que victimes, ou la question n’est-elle pas plus complexe ?

 

 

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