Un projet présenté sur Mashable il y a quelques jours semble ressusciter une vieille question : les robots peuvent-ils prendre notre place ? Cet article nous explique qu’un robot nommé Cleverbot, présenté comme une des intelligences artificielles « les plus développées qui aient jamais existé » peut devenir scénariste de cinéma, peut-être même « le prochain Tarantino ». Le titre de ce papier intrigue, mais si on pousse la curiosité jusqu’à regarder le film présenté, intitulé « Do You Love Me ? », on se rend compte qu’on en est encore loin ! Ce court métrage scénarisé par ce fameux Cleverbot (en fait écrit suite à une conversation avec la machine) a été très récemment mis en ligne sur YouTube et donne lieu à une histoire sans queue ni tête. L’intérêt est surtout pour son parti-pris formel que pour son histoire et les réponses que Cleverbot vous apporte en répondant à vos questions sont aussi absurdes que si vous essayiez d’avoir une conversation amoureuse avec ce brave Siri. L’intelligence artificielle est certes l’un des sujets du moment (on sait par exemple que Ray Kurzweil y travaille chez Google), il y a encore du chemin à parcourir.
DO YOU LOVE ME
On se rend compte également que les robots sont très présents ces derniers temps, que cela soit le bras articulé Cheetah ou encore Curiosity, celui envoyé sur Mars. Mais le robot n’est-il pas finalement un fantasme dépassé issu d’une modernité disparue ? Il est d’ailleurs assez curieux de se rendre compte que cette figure qui est une des plus inhumaines possible, n’a quasiment pas changé depuis plusieurs dizaines d’années dans notre imaginaire.
Curiosity sur Mars
Ils sont même devenus un objet de nostalgie pour les adultes devenus grands. C’est ce qu’on appelle le retro-futur (l’attrait pour l’esthétique du futur des années passées). C’est ce qui se passe au cinéma avec les robots de Transformers. Ceux-ci ont la même dégaine que le Goldorak de la fin des seventies. Quant à Terminator, il grince des dents régulièrement au cinéma mais n’a pas vraiment changé son format. Alors que se passe-t-il ? Les enfants de demain auraient-ils droit aux mêmes robots qu’il y a 30 ans ? Si on remonte le temps, on s’aperçoit que la représentation du robot a d’ailleurs quasiment toujours été la même depuis la fixation des codes de la modernité. Rien n’a bougé depuis Léonard de Vinci dont les notes et croquis ont montré qu’il avait réfléchi à la création d’un « cavalier-armure » développant la possibilité de mouvements autonomes. Entre Léonard et Transformers, il y a eu Metropolis de Fritz Lang (1927) et auparavant Frankenstein de Mary Shelley, en 1818.
Metropolis de Fritz Lang (1927)
Tous les robots ont été pensés comme humanoïdes et pressentis comme un danger pour l’homme, jusqu’à la révolution Isaac Asimov et sa saga des robots écrite entre 1950 et la fin des années 80, qui présente pour la première fois une vision positive des robots, vivant en bonne intelligence avec l’humanité. Une vision qui a sans doute inspiré bon nombre de développements scientifiques à portée domestique ; il y a quelques années on s’extasiait devant le robot ASIMO de Honda, un humanoïde perfectionné développée pour exécuter des tâches dangereuses ou pour venir en aide aux personnes handicapées mais aussi devant le chien artificiel AIBO ou iCub, le robot représentant un enfant de trois ans et demi développant l’intelligence et les sens d’un enfant de dix-huit mois.
On a cru à cet idéal du robot vivant en harmonie avec l’être humain. On nous dit que les robots vont faire les tâches ménagères à notre place depuis plusieurs centaines d’années. Le robot représentait LA figure du progrès, de la modernité mais Asimov est mort en 1992, et la fin des années 2010 a sans doute sonné le glas des robots et de l’intelligence artificielle sous cette forme. Le robot et le mythe de l’être artificiel sont en définitif l’archétype du mythe moderne. La postmodernité dans laquelle nous vivons se passe en fait très bien de robots devenus obsolètes.
Il est bien plus intéressant d’observer la manière dont la technologie se rapproche de l’humain et de notre chair, et de nos émotions les plus intimes, plutôt que de créer des entités ayant une vie propre. Les avancées technologiques auraient ainsi presque tué le mythe des robots, devenu un symbole de l’analogique, d’une vision dépassée de la technique. Le robot semble ainsi revenir à son destin et à son origine d’esclave (le mot robot est un dérivé du mot slave « robotnik » qui signifie « esclave »). Les robots sont d’ailleurs aujourd’hui intégrés à l’homme plutôt que vivant leur vie propre. Les nanorobots et les technologies réparatrices insérées dans le corps humain pour le régénérer ne font pas autre chose que renforcer l’humain. Signe des temps, signe que l’humain reprend ses droits.
On s’aperçoit que le débat du futur est justement le rapprochement de l’homme et de la machine, mais par le biais de l’humain et des émotions et des sens. Le blog de Nicolas Bordas mentionnait d’ailleurs récemment fort justement les 5 prédictions d’IBM qui prévoient cette année le rapprochement de l’ordinateur et des 5 sens humains : « montrant les nouvelles possibilités ouvertes par l’informatique cognitive, et leur impact très concret sur nos vies : comment nos téléphones pourront reproduire les sensations du toucher, comment nos ordinateurs pourront sentir que nous sommes enrhumés avant que nous ne le sachions, comment l’oreille des ordinateurs permettra d’interpréter les cris des bébés, comment nos recettes digitales combineront goût et santé, ou comment les images prises par nos webcams permettront de repérer préventivement les cancers de la peau… ».
IBM Predictions
L’humain apparaît ainsi comme ressuscité, renforcé par ces nouvelles technologies ainsi que par les réseaux sociaux qui lui donnent une place centrale dans son propre cosmos et dans son environnement. Le digital a finalement tué la figure traditionnelle du robot et remis l’humain au centre. Bye bye robot, l’humanité a encore de beaux jours devant elle.
Thomas Jamet – Moxie – Président (Groupe ZenithOptimedia – Publicis Groupe)
www.twitter.com/tomnever
Thomas Jamet est l’auteur de « Ren@issance Mythologique, l’imaginaire et les mythes à l’ère digitale » (François Bourin Editeur). Préface de Michel Maffesoli.