4 décembre 2022

Temps de lecture : 3 min

LVMH s’offre le luxe du moche.

Birkenstock, Crocs, Havaianas... Les sandales de cuir « Made in Germany », les mules américaines en plastique et les tongs brésiliennes étaient souvent montrées du doigt pour leur style bien moche. Ugly-shoes,  en langage prêt à porter. Ces marques sont pourtant devenues les chouchoutes des fashionistas. Les créateurs et les grandes griffes de mode multiplient les partenariats avec ces fabricants. Les temps changent...

Le nouveau modèle aux fleurs brodées à la main devrait s’arracher dans les boutiques de la célèbre marque, avenue Montaigne. A 1600 euros la paire (tout de même…), ces mules en laine feutrée ne sont pas données… Mais les « fauchés » ouront toujours l’option de s’offrir le même modèle en cuir de veau pour la « modique » somme de 960 euros. Pour les autres, les sandales Milano vendues au même prix représentent une autre option… Car, aucun doute, ces modèles vont devenir collectors. Observer ces deux marques s’associer peut sembler étonnant. Dior semble en effet bien loin du no style de… Birkenstock. Ce partenariat relève pourtant de l’évidence. Les deux labels appartiennent tous les deux à Bernard Arnault, et on sait à quel point le luxe adore porter aux nues le vulgaire pour mieux le détourner à son avantage. La résolument banale Birkenstock n’a d’ailleurs pas attendu d’être croquée par le géant parisien du luxe pour s’associer à d’autres grands de ce monde.

May the Birks be with you

En 1984, le distributeur américain du groupe s’est aperçu que de nombreuses vedettes portaient ses modèles plutôt moches mais hyper confortables. Harrison Ford et sa fiancée dans Star Wars Carrie Fischer (Princesse Leïla pour les intimes…), Larry Hagman (le redouté JR de Dallas pour les plus de 40 ans), Cybill Shepherd et Steve Jobs dont la vieille paire d’Arizona en cuir vient d’être vendue aux enchères pour 218.500 dollars, étaient tous des clients fidèles. Pour sa collection printemps-été 1993, le créateur Marc Jacobs avait fait sensation en envoyant défiler Tyra Banks avec une paire de Birkenstock aux pieds.

Très vite, le distributeur japonais de la marque a décidé de profiter de ce filon pour s’associer avec des griffes locales associées au monde du luxe et de la mode. Les semelles orthopédiques du fabricant allemand n’étant pas en partie remboursées par les assureurs comme c’était le cas dans de nombreux autres pays, le Japon a été le premier à vouloir transformer les sandales en un « must have » des fashionistas. Les propriétaires allemands du groupe ont longtemps vu d’un mauvais oeil cette stratégie. « C’est la mode qui est venue à nous et non pas le contraire », aime à répéter Oliver Riechert. Cet ancien reporter et patron de la chaîne de télévision sportive DSF a été appelé en 2013 par un des trois frères qui co-dirigeaient l’ETI pour reprendre la direction générale qu’il a conservé après l’arrivée de Bernard Arnault.

Heidi Klum à la rescousse

En 2002, la firme s’approche à nouveau du monde de la mode ensignant un contrat de sponsoring de 8 ans avec Heidi Klum mais cette alliance reste sans lendemain. Au début des années 2010, un modèle de la marque apparaît lors d’un défilé de… ChanelMais si le distributeur américain du groupe commence au début de cette décennie a bouclé des partenariats avec des marques locales comme J. Crew, il faudra attendre 2017 pour que Birkenstock décide d’investir réellement dans la « fashion ». Depuis quelques années, le groupe a multiplié les collaborations avec des créateurs réputés et des labels « in » dont ValentinoRich OwensJil SanderManolo BlahnikProenze ou le coréen Adererror. Depuis 1984, le chausseur allemand a bouclé pas moins de 154 collaborations. « Mais nous refusons la plupart des griffes et des designers qui nous approchent pour s’associer avec nous », dévoile Klaus Baumann, le directeur des ventes qui pilote aussi 1774, la sous-marque du groupe qui gère les partenariats avec le monde de la mode et qui propose des versions haut de gamme de modèles iconiques. L’exemple de Birkenstock n’est pas unique en son genre.

Si vous trouvez les sandales allemandes moches, que pensez-vous des… Crocs. Les mules en plastique de l’entreprise américaine ont souvent été présentées comme un symbole de laideur universelle. Dans un entretien accordé à Vogue, un journaliste a demandé à Dua Lipa quel était l’article qu’elle refuserait à tout jamais de porter. Sans hésiter, la chanteuse a répondu : des Crocs.

D’autres vedettes comme Justin Bieber et Rosalia ont pourtant déjà été vues avec ces chaussures en mousse d’éthylène-acétate de vinyle aux pieds. La marque, qui a déjà vendu plus de 850 millions de paires depuis sa création en 2002, s’associe, elle aussi, avec des marques de mode pour créer le buzz. Balenciaga a même fait défiler des mannequins avec ces mules. Ses hauts talons à 495 euros valent de détour…

 

 

La marque brésilienne, Havaianas, a également demandé à des designers de renom dont Manolo Blahnik, Mary Katrantzou etSimone Rocha, d’imaginer des modèles de tongs. Naomi Campbell a été la plus radicale avec sa création plus proche des échasses que des stilettos élégants.

 

 

 

Le moche devient tendance. La renaissance de K-Way le prouve. Ces pochettes-banane que les gamins n’osaient pas porter dans les années 80 sont aujourd’hui des « must-have » dans les grandes métropoles. Les merveilles du marketing…

En savoir plus

La mode aime valser sur le fil du rasoir, entre le bon et mauvais goût pour en faire un territoire d’expérimentation esthétique. C’est ce que résume la référence en la matière, Alice Pfeiffer, autrice de l’ouvrage Le goût du moche paru en 2021 aux éditions Flammarion)

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