26 février 2025

Temps de lecture : 5 min

Offensive de Trump à 100 M$ contre le fentanyl : quel impact ont les campagnes de com pour lutter contre la drogue ?

Pour endiguer la crise majeure des opioïdes qui gangrène les États-Unis... et surtout sa jeunesse, Donald Trump organise une vaste offensive médiatique à 100 millions de dollars et se réserve même le droit de doubler cet investissement si le contexte l'imposait. Face au mal endémique que représentent les drogues dans les sociétés occidentales, une campagne de communication, quelle que soit son prix, peut-elle vraiment améliorer les choses ?

Depuis les années 1990, les États-Unis sont confrontés à une crise sanitaire majeure des opioïdes, qui a débuté avec la commercialisation d’analgésiques comme l’OxyContin. Ces médicaments sur ordonnance ont progressivement entraîné une dépendance massive de la population. Au cours des dix dernières années, la situation s’est aggravée avec la montée en puissance du fentanyl, un opioïde synthétique extrêmement puissant. Pour ne rien rajouter, la pandémie a exacerbé le problème, entraînant une explosion du nombre de surdoses au point d’arriver à un constat glaçant : première cause de décès chez les 18-45 ans, ces drogues causent chaque année plus de 100 000 décès aux États-Unis.

Pour endiguer une situation jugée de plus en plus insoutenable par ses administrés, le Président des États-Unis, Donald Trump, a récemment annoncé son intention de lancer une vaste campagne de sensibilisation sur les dangers des opioïdes… et tout particulièrement le fentanyl. Pour financer cette initiative, il prévoit un investissement initial de 100 millions de dollars, qui pourrait être porté à 200 millions si nécessaire.

Bien que Trump n’ait pas encore précisé les détails de cette campagne publicitaire, il a souligné que l’objectif principal serait de mettre en lumière les conséquences physiques et psychologiques de la consommation de drogues. Il a également rappelé que son administration précédente avait déjà mis en place des mesures contre les opioïdes, affirmant que ces actions avaient permis une réduction de 18 % de la consommation. Avec cette nouvelle stratégie, il espère atteindre une baisse de 50 % à 55 %.

« Mexicanisation » des politiques anti-drogues

Le nouveau locataire de la Maison Blanche a partagé cette annonce lors de sa participation au FII Priority Miami Summit la semaine dernière, un événement organisé par le Future Investment Initiative Institute, où il a évoqué l’importance des investissements responsables pour l’avenir de l’économie mondiale. Interrogé sur les stratégies que les États-Unis pourraient adopter en s’inspirant d’autres pays, il a cité une conversation qu’il a eue avec la Présidente du Mexique, Claudia Sheinbaum. Selon lui, cette dernière lui aurait expliqué que la faible consommation de drogue au Mexique était due à deux facteurs : l’importance des valeurs familiales et l’investissement conséquent dans des campagnes de sensibilisation.

Justement, Claudia Sheinbaum a récemment lancé une campagne au Mexique baptisée “Éloigne-toi des drogues. Le fentanyl te tue”, avec un budget de 300 millions de pesos. Ce programme comprend des publicités à la télévision, à la radio, sur les réseaux sociaux et en affichage urbain, ainsi que des conférences et des interventions dans les écoles.

Inspiré par cette initiative, Donald Trump souhaite s’engager sur la même voie. Il a insisté sur la nécessité de montrer aux jeunes les effets dévastateurs des drogues sur le corps et l’esprit. “Nous allons investir massivement dans une campagne de prévention pour que les jeunes comprennent à quel point ces substances détruisent la santé, le cerveau, la peau et même les dents”, a-t-il affirmé.

Un coup d’épée dans l’eau ?

Cette initiative rappelle la célèbre campagne “Just Say No”, portée dans les années 1980 par Nancy Reagan, qui incitait les jeunes Américains à refuser la drogue. Trump s’inscrit ainsi dans cette lignée, convaincu que des messages de prévention percutants suffiront à dissuader la jeunesse de tomber dans la dépendance, quitte à faire porter le chapeau aux consommateurs, comme avait tendance à le faire le couple Reagan. Une conviction qui est loin de faire l’unanimité dans le débat public… Notre propre ministre de l’intérieur peut en témoigner.

Le 6 février dernier, Bruno Retailleau dévoilait un clip « en forme d’électrochoc » diffusé jusqu’au 2 mars prochain à la télévision, sur les réseaux sociaux, les plateformes de streaming et affiché dans les transports. Des mots du ministre, « cette campagne est une première. Ce n’est pas une campagne de sensibilisation mais de culpabilisation. Cette culpabilisation, je l’assume ». Avant d’enchaîner d’un solennel : « Je ne suis pas ministre de la santé mais ministre de l’intérieur. Et mon rôle est d’assurer l’ordre républicain ». Une formule quasi martiale et un parti pris très offensif que n’auraient certainement renié Donald Trump. « Nous avons besoin d’une rupture », a-t-il expliqué, avant de rajouter que le but de cette opération médiatique était de casser « la culture récréative » autour de la consommation de drogue en France.

Le clip s’ouvre sur une jeune femme en train d’allumer un joint de cannabis puis une main se faire un rail de cocaïne qui très vite s’enflamme. Le feu se propage ensuite à un lampadaire… puis une voiture et une peluche avant qu’une balle, tirée par un pistolet, n’enflamme la silhouette d’un corps invisible. La voix off explique alors que « chaque jour des personnes payent le prix de la drogue que vous achetez ». Cerise sur le gâteau, le clip stipule à la fin que la campagne est « financée par les fonds confisqués aux trafiquants de stupéfiants ».

L’importance d’une vision à long terme

Pourtant, selon de nombreux observateurs de terrain, cette approche serait contre productive sur le long terme, notamment la Fédération Addiction, qui a vivement critiqué la récente campagne dans un communiqué publié début février. Selon l’organisation, qui regroupe plus de 850 établissements de santé et 500 professionnels du secteur et dont les propos ont été récoltés par La Croix le 6 février dernier, l’utilisation d’images choquantes n’est jamais la solution dans ce cas de figure. Elle affirme ainsi que la culpabilisation et la peur ne sont pas des méthodes efficaces pour changer les comportements. Pire encore, en stigmatisant les consommateurs, la Fédération estime que le gouvernement compromet l’accès aux soins nécessaires pour ceux qui en ont besoin.

Cependant, et ça devrait faire plaisir à Donald Trump — on a vérifié et il est bien abonné… —, les campagnes « chocs » peuvent avoir une utilité dans certains contextes, comme l’explique Karine Gallopel-Morvan, professeure à l’École des hautes études en santé publique (EHESP) de Rennes, toujours dans le sujet de La Croix. Selon elle, ces campagnes ont un effet à double tranchant : si elles peuvent inciter au changement en jouant sur la peur et l’émotion, elles peuvent provoquer l’effet inverse et figer l’action, la peur ayant parfois un pouvoir paralysant. En ce qui concerne la sécurité routière, des études montrent que ces campagnes peuvent être efficaces, notamment si les solutions proposées sont simples à mettre en œuvre, comme mettre sa ceinture de sécurité ou réduire la vitesse.

En revanche, sortir de la dépendance aux drogues est un défi plus complexe, qui ne peut se résoudre par une simple opération médiatique. Karine Gallopel-Morvan souligne également que les campagnes isolées ont peu de chance d’avoir un réel impact. Elle prend l’exemple de la sécurité routière, où les campagnes de sensibilisation sont accompagnées de mesures dissuasives telles que la présence de radars, ce qui renforce leur efficacité. Bonne nouvelle pour Donald Trump, les chiffres de décès et de surdoses liés au fentanyl sont légèrement en baisse, à lui de poursuivre le mouvement…

Pour continuer la discussion, nous vous renvoyons à cet article universitaire très complet qui faisait le point en 2014 sur l’efficacité des politiques médiatiques anti-drogues en France, ainsi qu’à ce sujet publié par AOC le mois dernier qui retrace en profondeur le développement de la crise des opioïdes ces dernières années.

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