6 décembre 2024

Temps de lecture : 10 min

Luc Wise (The Good Company) : « confondre Jul le rappeur avec Jul le dessinateur était quand même un ‘’gros fail’’ »

Baked beans ou pain au chocolat ? Les deux, bien sûr, quand on est le plus « British » des publicitaires français. Le fondateur de The Good Company, Luc Wise répond en français and in English, of course, au « Questionnaire d’INfluencia », autour d’une madeleine et d’un thé, au sein de l’hôtel Swann** – Proust oblige.
Luc Wise The Good Company

INfluencia : votre coup de cœur ?

Luc Wise : il est pour quelqu’un qui se définit comme une « activiste de l’amour », ce qui va bien avec l’idée du cœur : Barbara Butch que beaucoup de Français et Françaises ont découverte lors de l’ouverture des JO. Comme je suis un fan de musique en général et de musique électronique et de house music en particulier, je la connaissais. J’avais fêté mon anniversaire quelques semaines avant les Jeux, le 14 juin, et j’avais passé deux de ses morceaux : la Noche Vita et Muy Lesbienne. C’est très festif et elle revisite ce qui était derrière la house music au début : « if you are gay, straight, Jewish, black, or white, we are all in the same house » (que vous soyez homo, hétéro, juif, noir ou blanc, nous appartenons tous à la même maison). J’aime chez elle le fait qu’elle est à la fois bien sûr une figure de la communauté LGBTQIA+, mais en même temps qu’elle est totalement universelle et ouverte aux autres. Elle se dit militante de l’amour et pas d’une cause. C’est une personne également très courageuse. J’étais dans la foule le soir de l’inauguration, et quand je l’ai vu apparaître, j’ai trouvé ce moment extraordinaire. Choisir quelqu’un comme elle était un choix idoine pour les JO. Et cela m’a fait beaucoup de peine qu’elle soit ensuite autant harcelée par des haineux. Je ne vois pas en quoi des représentations homosexuelles ou LGBT n’ont pas leur place. J’ai entendu des réflexions comme « le Marais parle au Marais ». Je ne suis pas du tout d’accord. Que serait la culture française sans Yves Saint Laurent, André Gide, Jean Cocteau, etc. ? Nous sommes aujourd’hui dans l’hôtel Proust, il était gay et juif.  

Gisèle Pelicot, comme Barbara Butch : la colère mais pas la haine

Mon autre coup de cœur, très différent bien sûr, est pour une femme courageuse qui garde une grande dignité et qui aurait pu transformer sa colère en haine, comme Barbara Butch : Gisèle Pelicot. C’est quelqu’un d’incroyable. On frissonne d’horreur quand on lit les choses sordides qui lui sont arrivées, ou quand on entend ce que disent les avocats de la défense. Mais elle reste très digne et ne tombe jamais dans un discours manichéen, tout en étant très ferme dans ses convictions. (ndlr : dans le classement annuel mondial de la BBC, « 100 Women » dont l’édition 2024, qui vient de sortir,  a pour thème la « résistance », Gisèle Pelicot figure parmi les femmes les plus influentes et inspirantes dans le monde). J’admire les gens qui sont capables de surmonter des injustices incroyables, sans pour autant pardonner ou sans s’écraser et qui continuent le combat avec dignité. Je pense que la personne qui me fascine le plus de ce point de vue, c’est Nelson Mandela, qui a passé 27 ans en prison, a été capable d’unifier le pays, sans renier ses convictions et sans jamais exercer de vengeance…

C’est en exerçant un esprit critique et citoyen envers son temps que l’on vit bien avec lui

IN. : et votre coup de colère ?

L.W. : le premier concerne le manque de recul et d’esprit critique vis-à-vis des technologies (ou ce que le philosophe Jacques Ellul appelait « la technique »). La technologie ou l’innovation, c’est bien, mais ce n’est pas forcément synonyme de progrès. C’est un moyen et on doit pouvoir le questionner. Ce qui compte ce n’est pas le moyen en lui-même, c’est la finalité. Je ne supporte pas que, dès qu’on émet une critique ou un questionnement, on est taxés de ne « pas vivre avec son temps ». Jacques Ellul le disait : « attention, la technique va être la religion de demain et comme toute religion, elle ne pourra pas être l’objet d’esprits critiques ». Or, il me semble que pour « bien vivre avec son temps » il ne faut pas le subir. Au contraire, c’est en exerçant un esprit critique et citoyen envers son temps que l’on vit bien avec lui ! Je prendrais juste un exemple : celui de l’intelligence artificielle. L’IA c’est formidable et il y a plein de choses positives, mais je pense qu’avant de s’y jeter corps et âmes, on devrait mener une réflexion sur les conséquences écologiques, humaines, et sur la démocratie, qui est le sujet qui m‘inquiète le plus aujourd’hui. Certains le font, mais pas assez…

Les camps du mal communiquent de manière bien plus efficace que le camp du bien

Le deuxième est l’incapacité des forces humanistes et progressistes à comprendre la société et à battre les populistes. Les modérés, probablement parce qu’ils sont dans la nuance, ont du mal à communiquer ; au moment du Brexit, les « remainers » n’ont pas communiqué ou en tout cas ont voulu expliquer les choses trop rationnellement, alors que Nigel Farage (Reform UK) et Boris Johnson faisaient de la poésie de bas étage et mentaient. Je suis en colère car je vois que les communicants des forces démocratiques, qui sont moins bien organisés que les anti-démocratiques, ne sont pas capables de faire passer leurs messages avec efficacité face aux dangers qui pèsent sur nous. Les camps du mal communiquent de manière bien plus efficace que le camp du bien et sont en train de gagner la bataille de la communication.

 Au fond de moi, je suis resté ce petit garçon qui rêve que les « gentils » gagnent à la fin

IN. : l’événement (hors travail) qui vous a le plus marqué ?

L.W. : le match de la Coupe du Monde France – RFA à Séville 1982 m’a marqué à vie et a forgé une partie de ma vision du monde. Ce match de légende était beaucoup plus qu’un match, c’était une tragédie grecque, un mythe homérique, une leçon de vie dans laquelle se sont côtoyés la beauté, la grâce, la camaraderie, la violence, la colère, le sentiment d’injustice et de revanche. J’avais huit ans à l’époque et je me suis couché en pleurant de tristesse et de rage.

J’en ai tiré deux leçons de vie. La première : ne jamais rien lâcher, ne jamais se reposer sur ses lauriers ou se voir plus beau ou plus fort qu’on ne l’est. Pour reprendre le dicton, ce n’est qu’« à la fin du bal qu’on paye les musiciens ». Tout est possible jusqu’au dernier moment, en bien ou en mal. Il faut aller jusqu’au bout de la nuit pour savoir si on a vraiment remporté la victoire. Aujourd’hui sur les appels d’offres – par exemple – je ne crie jamais victoire tant que le contrat n’est pas définitivement signé ! Comme la France à « Séville 1982 » je me suis fait voler quelques « matchs » aussi…

La deuxième, c’est la volonté de gagner avec panache, en produisant du « beau jeu ». La victoire de la RFA était minable, entachée notamment de « l’attentat » de Schumacher sur Battiston. Gagner de cette façon-là ne m’intéresse pas. Le romantisme et le beau jeu de la « bande à Platoche » continuent de me fasciner même aujourd’hui. Au fond de moi, je suis resté ce petit garçon qui rêve que les « gentils » gagnent à la fin.

IN. : votre rêve d’enfant

L. W. : je suis franco-britannique, ma mère est française, mon père anglais, mais j’ai eu une enfance très britannique. J’habitais à Plymouth. Ma mère me parlait en anglais. Mais j’avais quand même ce rêve de la France. Je me souviens que mes parents avaient dans la bibliothèque des livres de Camus, Sartre, Simone de Beauvoir. Je regardais sur Chanel 4, des films comme « Manon des sources », « Jean de Florette » Et je me disais : « un jour, j’aimerais bien vivre à Paris et avoir un beau job, pouvoir flâner un peu dans les rues, boire des verres de vin en terrasse, et lire quelques livres aux Deux Magots ou au Flore». Et c’est un rêve que j’ai réussi. Je suis arrivé en France assez tardivement, après mes études de sciences politiques et sciences sociales à Cambridge. Comme j’avais très envie d’être DJ et que ma mère n’était pas d’accord, elle m’a envoyé à la fac en France et je me suis retrouvé à la Sorbonne, dans le DESS de communication politique et sociale. Je suis resté en France, j’y ai rencontré ma femme et je suis devenu français.

Comme le disait Cyrano de Bergerac, c’est tellement plus beau quand c’est inutile…

IN. : votre plus grande réussite ? (pas professionnelle)

L.W. : je ne crois pas en Dieu, ni au monde de l’au-delà. Pour moi, vivre au-delà de ma vie, c’est partager et transmettre aux autres. C’est cela ma plus belle réussite. Plus je vieillis, plus je me sens connecté aux êtres humains et à la nature. Gore Vidal a dit: “every time a friend succeeds, I die a little”. Eh bien pour moi à chaque fois que quelqu’un réussit, cela remplit ma vie.

J’ai une autre petite fierté, plus terre à terre celle-là : j’ai réussi à apprendre à skier à 35 ans, pour pouvoir skier avec mes enfants. Bien sûr, à l’âge de trois ans, ils étaient déjà beaucoup plus rapides que moi (rires). Mais je suis très heureux d’avoir pris le risque de me jeter sur les pentes neigeuses. Et j’ai quand même une grande carrière de pistes vertes et bleues pendant une dizaine d’années… Bon, je me suis cassé le bras et j’ai arrêté. Donc ça n’a pas servi à grand-chose car l’idée était de skier avec mes gosses, qui, évidemment ne voulaient absolument pas skier ou être vus avec leur père. Mais comme le disait Cyrano de Bergerac, c’est tellement plus beau quand c’est inutile…

IN. : votre plus grand échec ? (idem)

L.W : nous avons fait en septembre dernier la première campagne de marque de Télérama. À cette occasion, j’ai été invité au lancement au Théâtre du Rond-Point, où il y avait la conférence de presse le matin puis toute la journée des rencontres avec des artistes, des musiciens, des musiciennes, des auteurs, des autrices, des dessinateurs, etc. Et je vois qu’à 18h le rappeur Jul doit intervenir. Or ma fille, qui est une ado, avec laquelle ce n’est pas toujours évident de partager des choses – et c’est normal à 16 ans – adore ce chanteur. Je demande à ma cliente si je peux avoir une place. Je téléphone à ma fille à l’heure du déjeuner. Je lui dis : « j’ai deux places vip, ce n’est pas un concert mais il va raconter ses inspirations, sa vie, son œuvre », sous-entendu, « ton papa n’est pas si ringard que ça ». Elle accepte et tout excitée en parle à toutes ses copines. Nous étions un peu en retard, nous sautons dans un taxi elle avait mis son t-shirt « c’est Marseille bébé ». Et là, nous étions presque arrivés, un collègue m’appelle : « Luc, j’ai cru comprendre que tu allais voir Jul avec ta fille. Mais ce n’est pas Jul le rappeur, c’est Jul le dessinateur ». Imaginez mon embarras : « ma puce, suis désolé, ce n’est pas ton idole ». Certes, c’était quand même quelqu’un de connu, notamment pour «Silex and the city ». Mais confondre Jul avec Jul était quand même un « gros fail », comme disent les jeunes. Heureusement, ma fille l’a bien pris, mais le lendemain, j’étais chez moi en télé travail, et j’ai croisé toutes les copines qui venaient déjeuner et se sont bien moquées de moi : « bonjour monsieur, alors c’était bien hier Jul ? »

Mon prochain challenge écologique est d’aller, sans prendre l’avion dans un pays que j’aime bien en Europe, le Maroc par exemple

IN.: votre prochain challenge écologique

L.W. : il y a quelque chose qui est très compliqué : c’est de savoir quelle posture adopter par rapport au voyage. Je suis très conscient des effets négatifs de l’avion aujourd’hui. Je réduis au maximum certains déplacements, par exemple je vais en train à Nice. Je me suis posé la question d’arrêter complètement l’avion. Cela a fait l’objet d’un débat familial il y a trois ans car c’était le rêve de mes enfants et de ma femme d’aller dans l’Ouest des États-Unis. J’ai vraiment été contre mais comme c’était le projet de la famille, j’ai fini par céder. Et je ne regrette pas d’y être allé. Dans RSE, il y a écologie mais aussi les notions d’humanité et de société. En faisant ce voyage, j’ai compris le pays et suis revenu plus conscient de ce qu’il se passait là-bas, ce qui n’aurait pas été possible en me contentant de regarder la télévision en France. Donc mon prochain challenge écologique est d’aller, sans prendre l’avion dans un pays que j’aime bien en Europe, au Maroc, en Grèce ou au Sud de l’Espagne. Je me suis penché sur la question à plusieurs reprises, j’ai utilisé le simulateur Bon Pote. On se rend compte quand même que ce n’est pas si simple !

IN.:  to be or not to be? That is the question ?

L.W.: indeed that is the question ! Or maybe two questions !

From a metaphysical point of view, I certainly prefer life to death ! Or – maybe – to be even more precise, it is because I am fully conscious of my inevitable death, that I am so passionate about giving my best in the time I have left. YOLO…

From a more practical point of view, Hamlet asks himself this question with regards to avenging the crass injustice of his murdered father : should he shut up and accept the “arrows of outrageous fortune” or instead “take arms” to repair the injustice ?  On this point I am resolute : in the increasingly dangerous era in which we live, we must – more than ever – speak up and act against injustice. At some point, silence, inaction or “not to be” is to become an accomplice of the worst. So please be, definitely …*

IN: quel plat aimeriez-vous emporter et manger sur une île déserte ?

L.W. : un jour j’étais avec mon frère et ma sœur et mon père m’a demandé : « vas-tu prendre un full English Breakfast ou un Continental Breakfast ? ».  Je lui ai répondu : « les deux ».  Donc je pense que je serais très content de faire un brunch qui mélange mes deux amours et pays :  des scrambled eggs (œufs brouillés), des baked beans, des hash browns, mais aussi un bon croissant, un bon pain au chocolat et bien sûr, du thé et une tasse de café.  

**Être ou ne pas être. En effet, c’est la question ! Ou peut-être deux questions ! D’un point de vue métaphysique, je préfère certainement la vie à la mort ! Ou – peut-être – pour être encore plus précis, c’est parce que je suis pleinement conscient de ma mort inévitable que je suis si passionné par l’idée de donner le meilleur de moi-même dans le temps qu’il me reste. On ne vit qu’une fois… D’un point de vue plus pratique, Hamlet se pose cette question en ce qui concerne la vengeance de l’ignoble injustice faite à son père assassiné : doit-il se taire et accepter les « flèches de la fortune outrageante » ou plutôt « prendre les armes » pour réparer cette injustice ? À ce sujet, je suis résolu : dans l’ère de plus en plus dangereuse dans laquelle nous vivons, nous devons – plus que jamais – nous exprimer et agir contre l’injustice. À un moment donné, le silence, l’inaction ou « ne pas être » revient à devenir complice du pire. Alors s’il vous plaît, soyez, définitivement…

* l’Hôtel Littéraire Le Swann, situé au cœur du quartier historiquement proustien de la plaine Monceau et de Saint- Augustin, présente une collection d’œuvres originales sur l’écrivain ainsi que des pièces de haute couture, des photographies, des tableaux, des sculptures. Notre interviewé(e) pose à côté d’une sculpture de Pascale Loisel représentant bien sûr l’auteur d’ « À la recherche du temps perdu ».

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The Good Company, agence créative et engagée, est née en 2019. Elle est Entreprise à mission, membre de 1% pour la Planète et certifiée Best Place to Work ainsi que B-Corp.

Parmi ses clients : la Macif. Monoprix, LVMH, CNP Assurances ou encore Sidaction.

Cette année a gagné plusieurs clients majeurs dont Boulanger, l’Agence Bio ou encore RSF.

Enfin, l’agence est régulièrement primée et a récemment été récompensée aux Effies, aux Epica et aux Eurobests.

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