Pourquoi les crypto-influenceurs flirtent-ils autant avec l’illégalité ?
Une enquête publiée par des chercheurs de l’Université d’Indiana, semble indiquer, sans trop de surprise pour celles et ceux qui suivent le marché des cryptomonnaies, que les arnaques et les tentatives de "pump and dump" sont rois dans les tweets et les conseils des crypto-influenceurs. Attention à qui vous confiez votre argent… et à qui vous tendez l’oreille.
Évoluant d’un concept théorique en 1998 à un véritable système financier alternatif aujourd’hui, les cryptomonnaies, et le Bitcoin en particulier, ont gagné en importance tout au long de la décennie 2010. Même si les investisseurs ont connu une belle traversée du désert ces dernières années avec des capitalisations en chute libre par rapport au pic de 2021 – comme en témoigne le graphique ci-dessous –, la récente victoire de Donald Trump à la présidentielle, qui s’était carrément présenté comme « le président pro-innovation et pro-Bitcoin dont l’Amérique a besoin » pendant la campagne, a insufflé un nouvel élan au secteur.
À la mi-décembre, l’ensemble du marché des cryptomonnaies dépassait ainsi aisément les 3.000 milliards de dollars et la semaine dernière, le bitcoin, soit la plus connue et la plus échangée d’entre-elles, faisait même l’exploit d’exploser la barre symbolique des 100 000 dollars l’unité, notamment après avoir grimpé de 45% depuis le jour de l’élection présidentielle. Nous sommes beaucoup à le penser en ce moment : « si seulement j’avais investi au bon moment, je serai riche à l’heure qu’il est ». Encore fallait-il être à l’écoute de son instinct… ou des bonnes personnes pour le comprendre.
À mesure que les cryptos ont gagné en popularité, jusqu’à atteindre ces sommets tout récemment, le phénomène des « crypto-influenceurs », à savoir les créateurs de contenu qui utilisent leurs plateformes sur les réseaux sociaux pour conseiller les investisseurs, a pris de l’ampleur. Ces conseils, dont nous allons critiquer la valeur, ont aujourd’hui une importance – et une responsabilité – toutes particulières face aux pertes colossales subies par les investisseurs dans une économie encore difficile à saisir.
En septembre dernier, le FBI rapportait que les Étasuniens avaient perdu 5,6 milliards de dollars dans des opérations fallacieuses liées à des cryptomonnaies en 2023, soit une hausse de 45 % par rapport à l’année précédente. La stratégie du pump and dump, une technique de manipulation de marché qui consiste à faire monter artificiellement le prix d’une action (pump) par des déclarations mensongères, dans le but de revendre ces actions, achetées à bas prix, avec une forte plus-value, étant particulièrement utilisée. Plusieurs scandales très médiatisés, à l’image de l’énorme arnaque du projet CryptoZoo de Logan Paul ou de la récente arrivée sur le marché d’Haliey Welch, une personnalité d’internet connue sous le surnom de Hawk Tuah Girl, en sont directement les témoins.
Chiffres à l’appui
Pour mettre en lumière la part d’ombre de cette économie… et de ses escrocs, des chercheurs de l’Université d’Indiana, en collaboration avec Joseph Pacelli, professeur agrégé d’administration des affaires à Harvard, ont enquêté pendant deux ans sur un corpus de 36 000 tweets publiés par 180 des plus importants crypto-influenceurs du moment. Kenneth J. Merkley, l’un des auteurs de l’étude, explique ainsi que « les principaux résultats indiquent que ces tweets sont initialement associés à des rendements positifs, ce qui est cohérent avec le fait qu’ils attirent l’attention des investisseurs ».
Avant de nuancer : « Toutefois, ces mêmes rendements deviennent presque tous négatifs sur le long terme, de quoi laisser penser à une stratégie de « pump and dump » des influenceurs à destination de leur audience (une technique de manipulation de marché qui consiste à faire monter artificiellement le prix d’une action (pump) par des déclarations mensongères, dans le but de revendre ces actions (dump), achetées à bas prix, avec une forte plus-value, NDLR), ou a minima que leurs conseils n’ont aucune valeur sur le long terme ». Personne n’est à épargner, encore moins les soi-disant experts : « Ce qui est également troublant, c’est que ces effets sont plus prononcés pour les tweets émis par des crypto-influenceurs qui se proclament experts en la matière et en ayant souvent beaucoup d’abonnés sur Twitter », conclut le chercheur.
Des résultats… dégressifs
C’est le moment de rappeler que contrairement aux travaux antérieurs portant sur les recommandations de célébrités, cette analyse se concentre sur les informations diffusées par des acteurs directement impliqués dans le marché des cryptomonnaies. Les chercheurs ont ainsi collecté des données sur les crypto-actifs et leurs prix quotidiens via CoinGecko, un agrégateur d’informations. En parallèle, ils ont identifié les comptes des influenceurs crypto les plus influents et croisé ces données avec les tweets publiés sur Twitter. L’unité d’analyse était la mention spécifique d’une cryptomonnaie dans un tweet à une date donnée.
L’étude s’est principalement intéressée aux rendements à court terme, allant du jour de la publication du tweet jusqu’à 30 jours après. En moyenne, les tweets des influenceurs généraient un rendement d’environ 1,83 % sur une journée et 1,57 % sur deux jours. Cependant, les analyses montrent que ces rendements commencent à fortement diminuer dès le cinquième jour – entre le deuxième et le cinquième jour, le rendement moyen tombe à -1,02 %, ce qui efface plus de la moitié des gains initiaux en à peine 120 heures.
Vous l’aurez deviné, la tendance ne s’inversera plus. Les rendements cumulés moyens atteignent ainsi -2,24 % au dixième jour et -6,53 % au trentième jour suivant le tweet. Les chercheurs ont également découvert que les résultats négatifs d’une monnaie sont amplifiés lorsque les tweets qui en faisaient la promotion affichaient un ton particulièrement positif de manière à inciter plus fortement à l’achat. Tous les moyens sont bons pour arnaquer son audience… et c’est bien triste. Selon un rapport de la Federal Trade Commission (FTC) des États-Unis, paru en 2022, les arnaques sur les réseaux sociaux avaient rapporté jusqu’à 700 millions d’euros à leurs auteurs cette année-là.
Un contre tous
Ces derniers mois, Mr Beast, le plus gros Youtubeur au monde en terme de nombre d’abonnés, a lui aussi rejoint le banc des accusés en étant suspecté d’être l’auteur d’une multitude de pump and dump qui lui aurait permis d’empocher plusieurs dizaines de millions d’euros. Concrètement, James Stephen Donaldson, de son vrai nom, aurait participé à plusieurs lancements de projets crypto présentés comme low cap – pour faible capitalisation boursière –, tels que Superverse et son jetonSUPER dont la valeur aurait été gonflée à l’aide de son statut de star de YouTube. Une opération qui lui aurait permis de transformer son placement initial de 100 000 dollars en plus de 9 millions de dollars en communiquant massivement auprès de sa communauté sur le potentiel de ces monnaies… alors même qu’il était en train de revendre massivement son stock. Pour rappel, Mr Beast compte 336 millions d’abonnés sur sa chaîne principale (!!!).
Bref, personne n’est sauf… mais heureusement, la résistance est en marche. Certains Youtubeurs n’hésitent plus à mettre en garde leur communauté contre chaque nouvelle tentative d’escroqueries commis par l’un de leur confrère. Surtout, un vidéaste étasunien du nom de Coffeezilla s’illustre depuis 2020 pour son travail d’enquête qui a permis de mettre à jour certains des plus gros scandales du marché des cryptomonnaies… à commencer par le cas CryptoZoo du très influent Logan Paul, dont nous parlions en début d’article, auquel Coffeezilla a dédié toute une série de vidéo absolument passionnante l’année dernière. Une sorte de chevalier blanc qui se décrit lui-même comme un « sceptique invétéré » face aux prétendus « génies autoproclamés de la finance ».
Il a beau être le plus fervent critique des cryptomonnaies, Stephen Findeisen n’est pour autant pas totalement opposé à leur usage… tout en soulignant l’importance, et nous finirons là-dessus, de « faire évoluer [cette technologie] de manière positive », comme il le disait au New Yorker en 2022. Un abonné averti en vaut deux.
Les Newsletters du groupe INfluencia : La quotidienne influencia — minted — the good. Recevez une dose d'innovations Pub, Media, Marketing, AdTech... et de GOOD