29 juin 2022

Temps de lecture : 7 min

Loïc Soubeyrand (Swile) : « Les médias favorisent les histoires de reconversions sensationnelles au détriment des mouvements latéraux. »

Comment un enfant, qui petit « était souvent dans la lune », très créatif, et tout à la fois observateur et désireux de comprendre le monde, est-il devenu le créateur de deux licornes, Teads, puis Swile, en levant pour cette dernière au total 200 millions d'euros?  Pour INfluencia, Loïc Soubeyrand, 36 ans,  raconte sa vision du monde de l’entreprise et son sentiment profond d’avoir un impact sur le monde, sur fond sonore de cigales bien de chez lui...  

nous sommes persuadés qu’ensemble il est possible de rendre le monde du travail plus épanouissant en replaçant la personne au centre de tout.

INfluencia : petit retour tout d’abord sur la campagne « Toutplaquerpour… comment naît cette inversion de propos « tout plaquer pour devenir « ébéniste » en « tout plaquer pour devenir salarié? »

Loïc Soubeyrand: le contexte actuel a inspiré cette inversion de propos qui s’inscrit par ailleurs, et ce depuis nos débuts, dans notre vision engagée qui doit contribuer à l’épanouissement des salariés.

Ces 2 années de pandémie ont bouleversé le monde du travail et en ont redéfini les contours. En effet, elles nous ont poussé vers une quête de sens et ont naturellement entraîné des plaquages à la chaîne, qui ont fait les gros titres. On a pu lire et on a pu voir des histoires de gens qui ont tout plaqué pour devenir prof de yoga, naturopathe, pâtissier, ébéniste et même éleveur de chèvres dans le Larzac comme le veut l’époque.

Ce que ces gens sont allés chercher en plaquant tout pour aller vers l’indépendance, on pense que nombre d’entre eux auraient pu aussi le trouver en devenant salarié ailleurs. C’est ce qui nous anime chez Swile depuis nos premiers jours : nous sommes persuadés qu’ensemble il est possible de rendre le monde du travail plus épanouissant en replaçant la personne au centre de tout.

Finalement, avec cette campagne, on redonne ses lettres de noblesse au salariat tout en mettant en avant la Swile Card, la carte qui rassemble l’ensemble des avantages salariaux.

IN. : aviez-vous conscience de peut-être lancer un débat ou plutôt de rétablir une certaine vérité? et de permettre une conversation?

L.S. : on souhaitait certainement lancer un débat. Un débat autour du monde du travail que nous souhaitons faire évoluer de manière collective.

Et ça fonctionne ! Par exemple, Malt a repris notre campagne en opposant salariés et freelances. Or ce n’est pas du tout le cœur du débat selon nous. Nous souhaitons au contraire éviter cette bipolarisation du monde du travail et offrir une nouvelle vision plus saine et épanouissante.

Avec cette campagne, on touche du doigt un phénomène de société qui nous concerne tous et à travers le monde. On veut créer le débat sur ce que le salariat peut apporter aux gens, et permettre à tout le monde de parler un peu plus de ces sujets qui nous concernent tous.

Avec la grande démission, on remarque que les salariés ne fuient pas le principe même du salariat, ils fuient surtout les modèles archaïques d’organisations. Donc le salariat n’est pas mort, il est simplement en train de se réinventer de fond en comble. Chez Swile justement, on travaille chaque jour pour aider nos clients à améliorer cette expérience employé, à la réinventer. On le fait parce qu’on croit profondément qu’il existe une réalité où le salarié est mis au cœur du projet de l’entreprise.

IN. : en effet, les phrases type « mon fils veut être pâtissier, c’est génial », « je quitté ma boîte, je pars à Mexico », « je n’en peux plus de la routine »… Sont devenues des poncifs un peu insupportables… Ou en tout cas qui ne concernent que des « heureux de ce monde »?

L.S. : la vague du “tout plaquer” a d’abord commencé aux États-Unis parmi les métiers (ou industries) les plus difficiles et les moins bien payés (caissiers dans des grandes surfaces, fast foods, etc.).

C’était par ailleurs la promesse de ce mouvement : des salaires minimums qui augmentent et des entreprises qui protègent davantage leurs employés (exemple de la création de syndicat chez Starbucks).

La réalité semble peut-être différente aujourd’hui, d’autant plus dans un contexte inflationniste ou médiatique qui favorise les histoires de reconversions sensationnelles plutôt que les mouvements latéraux.

Cette vague a malgré tout poussé les entreprises à repenser l’expérience employé pour tous, et pas seulement les plus heureux de ce monde. Et ce n’est encore que le début.

IN. : Pendant longtemps, nous avons vécu des doubles vies professionnelles, (nos boulots-passions la nuit), notre boulot-alimentaire de jour (ou vice versa)… Sommes-nous, selon vous, en train de transformer nos façons de vivre le travail, où est-ce le fait de quelques chanceux, audacieux?

L.S. : une telle dichotomie n’existe pas réellement.

Nos définitions communes de “boulot-passion” et de “boulot-alimentaire” sont relativement simplistes puisqu’elles font l’impasse sur des facettes clés que recouvrent la notion de salariat. À la manière de la pyramide de Maslow, il y a des moteurs d’engagement chez les salariés qui sont nettement plus nombreux, et qui varient selon les salariés, selon l’âge, selon l’expérience, etc.

Un boulot alimentaire va permettre à un salarié d’assurer sa sécurité financière et physique. Un boulot passion va lui permettre d’assurer son développement personnel et son besoin de sens par rapport à son travail. Mais il y a aussi plein d’employés pour qui le sentiment d’appartenance est ce qui compte par-dessus tout. Tandis que pour d’autres, cela va être la reconnaissance et la considération ou bien la mission de l’entreprise, sa vision, ses valeurs et son engagement RSE.

Nous transformons notre façon de vivre le travail puisqu’on y accorde désormais plus de poids, puisqu’on l’intègre enfin vraiment plutôt que de chercher à créer une frontière imperméable entre vie pro et vie perso.

La digitalisation de beaucoup de nos métiers y a sans doute contribué en faisant évoluer notre rapport au temps et au lieu.

Il y a aussi une évolution de mentalité et une évolution sémantique vis-à-vis des employés : ils sont de moins en moins considérés comme des “ressources humaines” et de plus en plus comme des “humains plein de ressources”. Et la relation entreprises-employés tend vers plus de donnant-donnant.

Toutes ces choses font qu’on pense être à l’aube d’un renouveau pour le salariat. Et que l’histoire de ce nouveau salariat est en train de s’écrire dans les prochaines années. Notre ambition, c’est de réussir à jouer un rôle clé dans cette nouvelle ère.

 

Nous souhaitons au contraire éviter cette bipolarisation du monde du travail et offrir une nouvelle vision plus saine et pérenne.

La réalité semble peut-être différente aujourd’hui, d’autant plus, dans un contexte inflationniste ou médiatique qui favorise les histoires de reconversions sensationnelles plutôt que les mouvements latéraux.

IN. : comment enfant, imaginiez-vous votre vie, aviez-vous une théorie sur ce que serait votre vie professionnelle ?

L.S. : une chose est sûre je n’ai jamais pensé « tiens je vais devenir riche, et pour ce faire je vais faire comme ça ». Enfant, j’étais créatif, de ceux dont on dit, « il est encore dans la lune »… et j’avais parallèlement besoin de tout comprendre. Étudiant, je travaillais en parallèle de mes études, l’été, j’avais en tête des projets que je partageais avec mes amis, et je savais déjà ce que je ne voulais pas subir, en tant qu’employé… C’est quelque chose qui m’a très vite frappé. Je ne voulais pas de cet archaïsme, de cette manière de traiter les personnes, grossière, sans humanité que j’ai connu pendant mes jobs d’été. Donc, je pense que je n’ai jamais été dans le calcul, j’ai toujours eu cette créativité et une intuition due à mon besoin d’observer le fonctionnement de l’humain, certainement cette capacité à trouver le produit qui répond aux attentes d’un marché. Et puis étrangement, j’étais aussi un compétiteur –or on n’associe pas enfant dans la lune, à ce terme-. J’avais en fait envie d’avoir un impact sur le monde.

IN. : pensez-vous que le digital et une « plus rapide » transformation des idées en concepts a servi votre personnalité, et donc votre parcours ?

L.S. : c’est évident, qu’entre l’ancien monde où les résultats se font attendre parfois des dizaines d’années, et le nouveau, où la capacité de développer est extrêmement rapide, et où l’accès aux financements est plus aisé, il y a un gap énorme. D’ailleurs lorsqu’en 2010 je créais Teads on faisait partie de ces exceptions…

IN. : vous évoquez beaucoup l’empathie aussi pour expliquer votre parcours, et notamment l’esprit Swile. L’économie et l’humain font-ils à ce point bon ménage, qu’ils ne vont pas l’un sans l’autre ?

L.S. : l’empathie a une répercussion immédiate sur le fonctionnement d’une entreprise. Je ne suis pas un homme de conflits, je pars du principe simple: quand vous rentrez dans un panier de crabes vous devenez forcément crabe pour vous défendre. Si j’arrive dans un bain de poissons, je suis un poisson. La majorité des gens sont des caméléons. Donc évidemment l’environnement que vous créez a un énorme impact sur le travail. La première des choses c’est la sécurité psychologique. Si cette grande démission a eu lieu ce n’est pas, tant à cause des salaires (même si évidemment cela joue un rôle), mais à cause d’un sentiment d’insécurité, d’irrespect humain dans certaines entreprises comme Amazon ou des sociétés de restauration rapide, que des milliers d’individus ont quitté, malgré l’absence d’allocation chômage, l’absence de couverture sociale, au risque de leur vie… Ils ne sont pas partis la fleur au fusil, avec un doux rêve d’entreprenariat, ou par flemme de travailler… Ils étaient en souffrance. Mais le storytelling médiatique, préfère nous raconter de belles histoires de rêves réalisés, et non celles de la plupart des individus qui étaient à bout, et ont quitté leurs boîtes parce qu’ils étaient en danger psychologique… Je vous garantis qu’une simple hausse de salaires n’aurait pas suffi ! D’où aussi effectivement cette campagne qui nous rappelle qu’il y a des entreprises qui traitent bien leurs employés.

IN. : souvent « les capitaines d’industrie » étaient craints… C’est d’ailleurs ce qui en faisait de « pères respectés »…

L.S. : en fait, le capitaine à l’ancienne est tyrannique, il revêt les couleurs du patriarcat… Mais avoir un capitaine juste, respectueux, qui estime qu’il gère non pas des ressources humaines, mais des humains qui ont des ressources, change tout à la valeur travail! Pourquoi il y a à peine dix ans estimions-nous que la vie commençait après le travail, le soir ? Le travail fait partie de la vie. On parle de révolution culturelle dans le monde de l’entreprise.

IN. : vous avez 36 ans, après Teads, Swile, avez-vous de nouvelles aventures en tête ?

L.S. : pour tout vous dire, je suis assez mono-tache, même si certains m’attribuent des dons d’ubiquité, je suis concentré, à la tête d’une société qui compte 700 salariés… J’ai juste le temps lire des ouvrages d’économie et de regarder le sport… (rires)

 

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