27 novembre 2023

Temps de lecture : 3 min

L’intelligence humaine n’a rien d’un artifice

Dans la vie, comme en entreprise, nos décisions sont le fruit d’une étonnante alchimie entre un peu de raison et beaucoup d’émotions. Alors que l’intelligence artificielle nous offre la performance et la pertinence de ses calculs, elle ne peut pourtant rivaliser avec celle, plus sensible et résonnante, de nos interactions, rappelle Matthias Leridon, président de Tilder. Un article à retrouver dans la revue 44 d'INfluencia.

Mai 1997, New York. Gary Kasparov, la tête entre les mains, vient de perdre sa deuxième partie d’échecs contre l’ordinateur Deep Blue. Pour la première fois dans l’histoire, la machine a dépassé l’homme à ce jeu, ce « combat » d’intelligence, où l’on croyait que la capacité de jugement et d’adaptation au changement du cerveau humain était difficilement égalable. 

Aujourd’hui, n’importe quel ordinateur peut battre n’importe quel humain à n’importe quel jeu, aussi complexe fût-il. Heureusement, étant donné les sommes d’argent, l’énergie et… l’intelligence qui ont été investis dans ces développements technologiques. 

La défaite de Kasparov a suscité de nombreuses réactions. L’intelligence humaine serait-elle définitivement dépassée, reléguée au rang d’usager de machines de plus en plus intelligentes, capables de mémoriser, de s’adapter et d’apprendre de leurs erreurs – ce qu’on nomme le machine learning ? 

 

Le pouvoir de la relation, la puissance des non-dits

En posant la question ainsi, on se trompe de problème. Un élément-clé passe trop souvent sous les radars des conversations de comptoir sur la puissance de l’IA. En effet, pourquoi joue-t-on aux échecs ? D’abord, voire surtout, pour s’amuser. Pour retirer un plaisir intellectuel et émotionnel de l’effort que le jeu demande. La machine, elle, ne joue pas ; elle exécute. 

Face à elle et avec elle, un humain peut bien sûr prendre du plaisir à jouer. Mais tous les signaux de communication non verbaux qui font le sel des interactions humaines – les silences, les sous-entendus, les jeux de regards – seront par définition absents ici. 

D’un côté, l’intelligence artificielle de la machine. De l’autre, l’intelligence relationnelle que les humains mobilisent dans leurs interactions. 

 

La capacité de « programmation de l’humour » reste à démontrer.

Le plaisir du jeu repose sur des mécanismes qui n’ont rien à voir avec la puissance de calcul. Il ne peut être ni répliqué, ni rentré dans un algorithme, ni artificialisé. 

Les moments de silence entre deux êtres humains sont riches de sens, de sous-entendus et d’émotions. Peut-on en dire autant des moments de silence avec un Chatbot ? Bien sûr, le développement actuel des « large language models » est spectaculaire. 

Il permettra bientôt aux machines de singer la moindre de nos émotions, de réagir avec nuance, finesse, peut-être même un jour avec humour – même si ce dernier point reste moins sûr, car la capacité de « programmation de l’humour » reste à démontrer. Aucune phrase ne nous fait rire hors du contexte qui la porte. L’humour repose sur l’interaction entre une personne qui ose essayer de faire rire et une autre qui réagit à cette tentative. 

 

Décider, c’est aussi (surtout ?) ressentir

L’IA et l’intelligence relationnelle ne sont pas fongibles. Ces deux concepts s’appuient sur deux compréhensions différentes du mot « intelligence », aux implications très différentes. L’intelligence qu’on qualifie d’artificielle tire le sens de ce mot du côté du calcul, de la performance et de la puissance de compréhension. L’intelligence relationnelle dont je parle se situe du côté du jugement, de l’interaction sensible et de l’interprétation. Mais aussi du côté de la faculté de décision. 

En accompagnant des dirigeantes et des dirigeants d’entreprises, d’associations ou d’institutions, j’observe que l’intelligence relationnelle est une compétence managériale irremplaçable. 

Une décision stratégique, qui détermine le sort et le sens d’un groupe humain, pourra toujours être informée au préalable par des compilations de données. Mais elle ne pourra jamais être remplacée par elles. Pour fixer un cap, il faut s’appuyer sur une conviction qui s’incarne dans la vision et la parole d’un leader qui ne peuvent être réduites à un calcul, aussi précis soit-il. 

Dans le management, on demande d’un dirigeant qu’il s’engage personnellement, qu’il investisse émotionnellement sa relation avec l’entreprise et son écosystème. 

Cette compétence mobilise ce qu’on appelle l’intelligence relationnelle. Celle qui vous procure des émotions au premier contact, à la première poignée de main, au premier regard. Celle qui nous fait aller les uns vers les autres. Celle qui nous donne l’impression de multiplier nos forces plutôt que de les additionner pour avancer collectivement.

Dans beaucoup de secteurs, l’intelligence artificielle représente une formidable opportunité pour consolider ou transformer une activité dans les années à venir. Mais au quotidien, aucune entreprise ne pourrait fonctionner sans l’intelligence relationnelle de toutes les personnes qui la composent. 

Cette intelligence-là, qui n’est pas fondée sur la performance mais sur la qualité de l’écoute, l’intensité des rapports humains et la force de la présence réelle, échappe par nature et par essence aux algorithmes.

 

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