INfluencia : penser que le digital et l’influence en particulier vont servir la création, c’est un peu la marque de fabrique de Marcel… Comment l’expliquez-vous ?
Charlotte Giraud-Charreyron : la culture social media et influence fait partie de la naissance de l’agence. Lorsque Publicis Net et Marcel fusionnent en 2010, c’est le choc des cultures. Des ingénieurs qui se demandent qui sont ces « publicitaires », et ces pubards qui se demandent qui sont « ces 0.1 », comme l’explique alors Pascal Nessim (coprésident de Marcel, ndlr). La défiance tombe assez vite. Tout le monde comprend au sein de l’agence – Anne de Maupeou créative invétérée en tête – qu’il faut accueillir ces nouvelles possibilités, que le futur va passer par l’amplification de la création, boostée par le digital, et que le métier est en train de se transformer, à travers un cas concret devenu un phénomène de société : Oasis. C’était il y a treize ans…
IN : diriez-vous que, contrairement à certaines agences de pub, vous ne vous sentez pas dépossédés de vos idées créatives, et que l’influence, si elle est pertinente, est un immense atout ?
CGC : pour ne pas se sentir dépossédé, il suffit juste de ne pas s’en éloigner. Chez Marcel, on a assez peu de campagnes qui ne comportent pas de brique influence : qu’il s’agisse de macro- ou micro-influence, de sphères culturelles plus ou moins de niche. Pour nous, c’est plutôt un réflexe au moment du brief créatif qu’une contrainte. L’essentiel c’est de considérer les talents comme des partenaires créatifs plutôt que comme des prestataires. C’est pour cela qu’on rencontre un maximum de personnes, agences et agents, pour faire connaissance et créer notre pool de créateurs, ceux avec qui nous voulons et aimons travailler. Nous avons donc un responsable influence qui connaît très bien la réalité du terrain – puisqu’il est lui-même agent de talents. Il assure ce rôle de médiateur entre les créatifs et les talents, ajuste les mécaniques pour qu’elles soient les plus naturelles possibles, et continue d’être en veille pour aller chercher à la fois des grands noms mais aussi des personnalités émergentes.
IN : vos dirigeants sont ouverts également à l’influence…
CGC : Gaëtan du Peloux et Youri Guerassimov (codirecteurs de la création, ndlr) ont une vision globale de l’influence. Nous n’avons rien à prouver pour les convaincre (rires). Ils savent qu’il y a tout intérêt à pousser des campagnes via l’amplification. Les scénarios sont très divers. Par exemple, en 2020, quand nous avons lancé la Journée de l’Homme pour Gillette – où l’homme « à l’ancienne » n’est plus – et sommes allés chercher des personnalités qui avaient envie de parler de leur masculinité, ils ont finalement porté toute la campagne. Ils ont été les porte-voix de Gillette, ont même répondu aux commentaires homophobes et violents sur les réseaux sociaux… D’autres campagnes ont utilisé l’influence comme moyen d’amplification : Transavia GeoGuessr, Hack Market, Transavia Airplane Celebration. Et parfois c’est même l’idée créative en elle-même qui génère des retombées influence en organique comme pour la campagne One Peach (Oasis).
IN : proposez-vous systématiquement ce levier à vos clients ?
CGC : les annonceurs sont tous naturellement curieux de connaître et tester de nouveaux leviers. C’est ensuite notre rôle de choisir les combats pour garder la pertinence culturelle de la campagne et la cohérence de marque. L’influence ne doit pas être un automatisme, car elle n’est pas une recette miracle, elle va forcément de pair avec l’idée créative. À ceux qui pensent que la méthode est imparable, nous disons bien que l’influence n’est pas forcément le levier le plus pertinent. Pour certains secteurs ou campagnes, les marques restent plus top down et moins dans la conversation – par exemple pour les jeux d’argent. Enfin, je dirais que l’influence c’est une surprise, il faut en accepter les aléas, et comme dans toute communication, il faut l’intégrer intelligemment dans un dispositif.
IN : cela comporte-t-il des risques selon vous ?
CGC : le « c’est trop publicitaire » est tout ce que nous cherchons à éviter. Nous ne voulons ni un script ni une dictée. Nous allons chercher de l’influence pour la spontanéité, le réalisme, la subjectivité. Donc, forcément, travailler avec l’influence demande de lâcher prise et de ne pas être control freak.
IN : quel est aujourd’hui le poids économique de l’influence ?
CGC : à l’instar du digital et du social, l’influence est à la hausse, et prend de plus en plus de place. Désormais, dans un budget, il y a une enveloppe médias, et une part pour la production des contenus. Parfois, 100 % du budget peut désormais aller dans l’influence, et dans d’autres cas, l’influence correspond à une pièce du puzzle. Cela dépend de l’idée créative et des budgets clients.
IN : quelle est l’évolution de ce métier ?
CGC : nous vivons au rythme des régulations pour professionnaliser le secteur. Tout bouge très vite et tant mieux ! C’est aussi à nous de nous adapter. On sent aussi une meilleure solidarité entre tous les acteurs du secteur afin de casser les idées préconçues sur l’influence et gagner en impact créatif. Il est aussi intéressant de voir que certains créateurs de contenu lancent leur propre agence, et deviennent ainsi d’une certaine manière nos concurrents. Du coup, nous nous disons que le plus important c’est le relationnel, y compris avec un concurrent quel qu’il soit. Nous représenterons toujours pour quelqu’un « la grosse agence parisienne avec le gros budget », mais cela n’a pas grand intérêt. Notre objectif c’est de coopérer, de faire en sorte que les créateurs de contenu travaillent en amont avec nous. J’insiste, mais l’influence n’est pas une brique que l’on plaque comme ça à un dispositif. Il y a plusieurs voix en présence, c’est maintenant toute une harmonie qu’il s’agit de mettre en place.