Nous avons le devoir et les moyens de déconstruire
les mythes que nous avons sanctifiés.
Dieu n’a pas créé la femme, ce sont les publicitaires, qui l’ont créée. La publicité, à l’instar du cinéma, et des médias en général, a enfermé les femmes dans des rôles, des images, des attitudes. En tentant aujourd’hui de corriger le tir, elle se heurte à la limite du modèle qu’elle a aidé à tracer. Pour véritablement libérer les femmes de l’emprise de leur image sur elles-mêmes, nous devons dépasser le clivage homme – femme et leur permettre de se définir librement. Chercher, au delà de l’autre, la définition de soi.
Nous observons au niveau de la societ́é, dans la production médiatique, culturelle, politique, idéologique, une rébellion des femmes contre les diktats qui leurs sont imposeś . De toute part, des voix s’élèvent pour réclamer une remise en question de ce qu’est la féminite,́ rejeteé à cause de sa def́inition et́roite, irréaliste, culpabilisante. La féminite,́ ce sont les codes associeś au genre féminin. Ils sont physiques, mentaux, comportementaux, ils prennent racine dans un rôle que l’on a attribué aux femmes. Ils veulent définir ce qui est féminin, en opposition à ce qui ne l’est pas. Il est bon de rappeler que ces codes sont culturels, et qu’ils évoluent donc. Il n’y a pas plus de vérité universelle dans le rejet de la pilosité chez la femme, que dans l’idée qu’être mince ou avoir la peau claire est synonyme de beaute.́ Ce sont des critères et des jugements contextuels. Ce qui fait une des particularités de la féminite,́ c’est qu’elle a et́é si peu questionnée jusqu’à présent que d’aucuns sont surpris aujourd’hui qu’elle soit sujette au mouvement. Comme si, à force d’acceptation, elle en et́ait devenue naturelle. Pourtant, la féminité a et́é def́inie pour les femmes, sans les femmes.
C’est le regard de l’homme qui a créé la féminité.
La féminité, ce sont l’ensemble des attributs choisis pour plaire aux hommes. Une image taillée sur mesure pour satisfaire celui qui la regarde, et non celle qui l’habite. C’est cela qu’on entend quand on parle de femme-objet: il ne s’agit pas seulement de la sexualisation permanente des femmes, mais également du fait de les considérer comme des objets que l’on façonne à sa guise. Décider de la façon dont les femmes doivent se montrer, se comporter, revient à les considérer comme des enfants. Les codes de la féminité qui sont en train de voler en éclats, ce sont les signes apparents de notre assujettissement à l’injonction la plus cadrante du genre féminin : le plus important, c’est de plaire.
Les publicitaires changent l’image… mais pas le cadre.
À l’écoute des consommatrices, qui souffrent de ne pas se retrouver dans l’idéal de beauté qui leur est proposé, de plus en plus de marques entreprennent des actions qui visent à corriger le tir, à inverser la tendance pour racheter les fautes du passé. Elles montrent des visages et des corps différents, cherchent à représenter la femme et sa beauté dans toute sa diversité. L’imperfection est célébrée, pour donner de l’aspérité à une esthet́ ique lisse qui ne séduit plus. Petit à petit, est déstabilisée la suprématie des canons esthétiques occidentaux, minceur, blancheur, jeunesse. Et tentons de permettre à davantage de femmes de se sentir belles et bien dans leur peau. Louable effort. Nécessaire, mais non suffisant.
La publicité s’attaque à ce qui est contenu dans l’idée de beauté, pas à l’enjeu qu’elle représente.
Ce que la publicité dit aux femmes, en substance, c’est que ce qui est encore attendu d’elles, c’est avant tout et surtout d’et̂re belles. Désirables. Libérer les femmes, ce n’est pas seulement leur donner les possibiliteś de se sentir belles telles qu’elles sont,c’est aussi leur permettre de ne pas faire de leur apparence un enjeu crucial si elles ne le souhaitent pas. L’injonction de la beauté qui pousse des femmes à s’excuser quand elles arrivent au bureau avec une mine fatiguée. La féminité qui fait dire d’une femme qui ne cherche pas à améliorer son apparence qu’elle est négligée. La liberté pour les femmes de choisir l’importance qu’elles accordent à leur apparence est encore une bataille à gagner; c’est pourtant le premier pas à faire pour parler d’elles comme des sujets, douées de conscience et de volonte,́ et non comme des objets à modeler selon d’autres désirs.
Simone de Beauvoir nous disait qu’on ne naît pas femme, on le devient.
Comme on l’a vu précédemment, la féminité est culturelle. Son incarnation est imposée par des codes de société. Le fait qu’elle ait évolué au cours de l’histoire est bien la preuve qu’elle n’est pas inscrite dans nos gênes. Mais si elle n’est pas naturellement inscrite en nous, la féminité n’est pas pour autant une occasion donnée aux femmes de la définir en se construisant.Cette notion, fondamentale, que les outils de l’émancipation sont dans nos mains demeure encore inaccessible pour beaucoup de femmes. Des siècles de formatage et d’acceptation nous ont fait oublier que le choix d’être et de nous comporter nous appartient. Choisir d’être ce que l’on veut, c’est renoncer à se construire autour de ce que veut quelqu’un d’autre. Choisir d’être soi même, pour soi même, ce n’est pas pour autant se priver de ce qui plaît à autrui. C’est faire le pari que c’est avant tout ce qui nous plait à nous qui devrait être ce qui doit plaire à l’autre. C’est également un soulagement pour l’autre, qui n’est plus le seul dépositaire et garant de notre estime de nous.
Comment la publicité peut-elle muscler ses efforts ?
Cette vision de la femme plus intérieure et nuanceé , c’est au travers du regard des femmes qu’on la découvre aujourd’hui le mieux. Le female gaze, terme créé pour caractériser la vision féminine du monde jusque là très peu mise en scène, produit des objets visuels et narratifs qui vont au-delà de la décontraction des codes, vers l’exploration des individualités. Les femmes qui sont données à voir proposent des portraits denses, profonds, nuancés. Leur rôle dans l’histoire ne se limite pas à leur apparence, à leur statut dans la famille, dans lasociéte.́ Elles viennent au premier plan, sont moteur, ont un impact sur le cours des évènements. Elles sortent de la passivité qui leur et́ ait assignée et mènent leurs propres quêtes. Leurs personnages féminins sont tout autant pluriels, mais en profondeur et au-delà de l’apparence. Plus que des femmes différentes entre elles, nous voyons des féminités qui se construisent par addition plus que par soustraction : elles ne sont pas sages ou libertines, coquettes ou aventurières, mais tout à la fois, par moment, par humeur, par contexte. Elles échappent aux def́ initions brutales et aux cadres figés. Elles sont fluides, mouvantes : humaines.
Ni pour ni contre le regard masculin…
Voir les femmes au travers de leurs propres yeux, c’est gagner en profondeur, en ouverture, en pluralité : on peut en déduire que la réelle libération de la féminité viendra des femmes. En créant des objets qui leurs ressemblent, elles façonnent une féminité qui échappe aux codes, elles se réapproprient leur identité et leur image. La publicité doit accompagner et encourager ce mouvement, donner aux femmes plus d’espace d’expression pour dépasser la déconstruction des anciennes icônes. Nous devons refuser l’équation qui nous place dans le regard d’autrui pour aller vers une création libre et libérée. Ni pour, ni contre le regard masculin, affranchies de lui, en contrôle, flirtant avec ou pas, par choix.
Se libérer pleinement de l’enjeu du regard de l’autre est long, difficile
Pour cela, il ne suffit pas d’appliquer un principe de discrimination positive qui inviterait davantage de femmes à la table des décisions. Il faut qu’elles soient au centre des décisions. Le cheminement personnel qui amène à se libérer pleinement de l’enjeu du regard de l’autre est long, difficile. Comme tout changement, il a ses pionnièr-e-s. Nous devons prendre conscience de l’importance de cette libération et identifier les femmes et les hommes qui seront alliés et sponsors de ce changement. Les inviter à apporter un regard aiguisé et critique sur les contenus que nous produisons et qui façonnent la société. Pour les femmes d’aujourd’hui, et celles de demain.
PS : Qui dit libérer les femmes des codes de la féminité, entend évidemment libérer les hommes de ceux d’une masculinité tout aussi enfermante. La suite au prochain article.