INfluencia : Une étude Randstad révèle d’importantes disparités dans l’utilisation et l’accès à l’intelligence artificielle en milieu professionnel. Cela vous étonne-t-il ?
Yann Gabay : Pas du tout. Aujourd’hui, pratiquement tout le monde peut utiliser l’intelligence artificielle. Il suffit d’un ordinateur et d’un accès à internet. Il existe toutefois une réelle fracture numérique dans notre pays. 13% des Français sont toujours atteints d’illectronisme.
IN. : Ce phénomène n’est pas seulement lié à l’arrivée de l’IA générative…
Y. G. : C’est vrai mais les avancées que va permettre l’IA seront telles que les personnes qui ne l’utiliseront pas vont voir le fossé qui les sépare des autres se creuser davantage.
Y. G. : Les seniors souffrent encore souvent d’un problème de perception vis-à-vis des nouvelles technologies. Et les chiffres publiés par Randstad le prouvent. Près de la moitié des moins de 30 ans (48%) utilisent régulièrement l’IA au travail alors que moins d’un tiers des plus de 60 ans ont franchi ce pas (31%). 45% de la génération Z reçoivent, quant à eux, des offres de formation en IA contre 22% des baby-boomers. Ces différences sont souvent liées à un réflexe des seniors qui se disent que l’IA n’est pas faite pour eux. Mais en réalité quand on leur montre la facilité d’utilisation de ces nouveaux outils, ils les adoptent très rapidement.
IN. : Le fossé des genres est, lui aussi, bien réel…
Y. G. : Effectivement. 71% des talents déclarant des compétences en IA sont des hommes et 41% des hommes ont accès à l’IA au travail, contre 35% des femmes. 38% des employés se voient, par ailleurs, proposer des formations en IA, contre 33% des salariées.
IN. : Comment expliquez-vous ces différences?
Y. G. : Les personnes qui développent l’IA sont majoritairement des hommes et leurs outils ont souvent des biais masculins. Les réponses de leurs plateformes sont donc assez genrées et cela peut avoir un impact sur les utilisatrices du web.
IN. : Comment lutter pour réduire ce fossé générationnel et combattre le biais des genres ?
Y. G. : La meilleure méthode pour réduire ces écarts tient en un mot : formation. Cela doit commencer dans l’école de la République. Il est aussi nécéssaire d’accompagner les petites et moyennes entreprises qui n’ont pas toujours de personnels qualifiés sur ces questions. Il est également important de bien former les seniors et les gens issus des quartiers prioritaires. Dans notre école gratuite du marketing digital, de la data et de l’IA, nous proposons un programme de rebond numérique aux personnes qui sont entrées dans leur seconde partie de carrière. Cette formation, qui comprend un mois de cours théoriques et un mois en entreprise, inclut une section consacrée à l’intelligence artificielle. Les demandes de nos stagiaires sont telles dans ce secteur que nous avons décidé de créer un programme de formation dédié à l’IA. Cela montre bien l’importance de cette technologie aujourd’hui.
IN : ChatGPT a pris une bonne longueur d’avance sur ses concurrents* (hors phénomène DeepSeek). Cela est-il appelé à durer ?
Y. G. : On sent que OpenAI a ouvert une boîte de Pandore en lançant ChatGPT. Les géants de la Silicon Valley avancent encore prudemment car ils savent qu’ils risquent gros en cas d’erreur. OpenAI peut tenter de faire des choses assez borderline mais Google a bien conscience qu’il risquerait de devoir payer des amendes qui se chiffreraient en milliards d’euros s’il faisait la même chose. Il n’en reste pas moins que l’IA la plus utilisée reste Copilot de Microsoft. Cet assistant est aujourd’hui disponible sur Office 365 qui comprend notamment Word, Excel, PowerPoint et Outlook. La seconde version du Gemini de Google, Gemini 2.0, change également la donne. Mais comme je le répète souvent à l’envi, il faut bien garder une réalité en mémoire : l’IA générative a été lancée pour le grand public il y a seulement deux ans. Quand on voit tout le chemin parcouru durant ce court laps de temps, on se met à relativiser. Il y a deux ans, l’IA pour le commun des mortels se limitait à SIRI. Tous les trois mois, nous vivons une nouvelle révolution. Nous allons encore franchir beaucoup de paliers supplémentaires. Je compare souvent l’IA à un stagiaire bizarre à qui on peut confier n’importe quelle tâche de jour comme de nuit mais dont les réponses peuvent parfois nous surprendre. Mais plus on l’utilise, meilleur il devient. Je lui demande aujourd’hui de faire des choses que je n’aurai jamais imaginé il y a six mois. Je lui fais également de plus en plus confiance car je comprends mieux ce qu’il peut effectuer parfaitement et les domaines dans lesquels ils peut encore progresser. C’est vraiment un stagiaire bizarre mais qui apprend très vite…
* Interview réalisée avant le phénomène de DeepSeek, le « ChatGPT chinois ».