12 juillet 2022

Temps de lecture : 3 min

L’hybridité comme nouvelle normalité

Exit la discipline, l’interdisciplinarité est aujourd’hui reine. Si l’ultra connexion nous fait redouter l’uniformisation, elle est aussi une source infinie d’inspirations. Notre monde est ambigu, paradoxal, et les acteurs du business et de la culture sont sommés d’en être, d’abattre les frontières, de baigner leurs mains de transgression pour faire émerger de nouveaux modèles culturels

Nous sommes des êtres de transformation. Notre monde, en perpétuel mouvement, est le théâtre de notre évolution. Au cours de ces deux dernières décennies, nous avons assisté à une formidable accélération d’un processus de dilution des frontières à de nombreux niveaux. Que ce soit dans la politique, les sciences et l’économie, les anciens contours géographiques et institutionnels sont remplacés par d’autres, plus dynamiques, plus intuitifs, plus imprécis, plus relatifs. Le contexte actuel se caractérise par une hybridation aussi bien sur le plan technologique, communicationnel et interculturel. Nous vivons une époque faite d’interconnexions au sein d’une dynamique qui tend à briser la logique des localités, voire des nationalités.

Créer son espéranto

Il en va de même du monde des arts et de la culture, qui tend à décloisonner les frontières entre la musique, l’art contemporain, le design, la mode. Les interconnexions sont multiples et heureuses, les nouveaux grands directeurs artistiques des grandes maisons de mode sont ceux qui savent naviguer et bâtir des ponts intelligents entre le style, la musique, la photo, l’architecture ou le design. Ils créent alors leur propre espéranto, de nouvelles pratiques, et imaginent de nouveaux modèles culturels sans frontière entre les chapelles.

Architecte et designer de formation, imprévisible dans l’expression de ses talents, Virgil Abloh est devenu l’icône de toute une génération ultra connectée et l’apôtre d’une création hybride, passant en permanence d’une discipline artistique à une autre. Agile et parfaitement conscient que tout doit être hybride et interconnecté, il est ainsi à la fois DJ et designer : ses collaborations s’arrachent à prix d’or sur le second marché. Côté mode, il a sa propre marque et devient également directeur artistique de l’univers masculin de Louis Vuitton. Là, il entend créer un nouveau luxe, bousculant les icônes comme l’illustre monogramme LV qu’il embossera dans les sacs, ou les malles qu’il rendra souples, manières de montres molles à la Dali – l’homme maîtrisait autant les références du champ culturel où la mode puise son inspiration que les impératifs commerciaux du luxe, valorisant l’accessoire. Son modus operandi sera toujours warholien, son studio ayant l’allure d’une Factory.

Accueillir la polyphonie et les divergences

Les termes de mondialisation et de globalisation, déjà bien répandus, acquièrent des sens plus concrets qui ne laissent pas nécessairement présager un monde fait d’harmonie et de convergences mais plutôt de polyphonie et de divergences. En réponse à une mondialisation culturelle mortifère tendant à dicter au consommateur ses choix à l’aide d’algorithmes et de moyens colossaux, les nouveaux diffuseurs de modèles culturels devront décloisonner les chapelles et savoir faire dialoguer tous les arts sous le même toit. L’interdisciplinarité est le futur de nos modèles culturels, nous devons nous ouvrir à tous les courants d’expression artistique parce qu’ils se fertilisent les uns les autres et permettent de faire émerger de nouveaux modèles de création artistique. Tel le Virgin Megastore des Champs-Éysées qui fut dans les années 1980 un véritable « temple de la culture » où se croisaient la musique, la littérature, la gastronomie, où les rencontres étaient quotidiennes entre les musiciens et les auteurs, le tout sous le même toit. Nous pouvions y rester la journée, nous asseoir pour lire des BD, y prendre un café, rencontrer des auteurs lors de séances de dédicace et écouter les meilleurs groupes du monde – qui déclenchèrent pour l’anecdote de véritables émeutes sur les Champs. Virgin fut une culture et le premier magasin hybride. Nous devons repenser nos entreprises, nos marques comme des êtres vivants en perpétuelle mutation, capables de s’exprimer à travers tous les styles d’expression culturelle.

Naviguer

J’ai toujours aimé l’idée que rien n’était figé, et que nous pouvions toujours transformer nos métiers et activités pour les faire naviguer très logiquement d’un univers à un autre. En vingt ans, j’ai eu la chance d’expérimenter la transformation de nos business models. Une maison de disques figée dans son modèle économique de producteur phonographique ne peut-elle pas se transformer en formidable agence de publicité intégrée à un grand groupe de communication mondiale ? Puis se muter en agence/galerie d’art tenue au sein d’un appartement de collectionneur devenant un lieu d’influence, d’exposition et de création hybrides. Enfin, pourquoi ne pas imaginer un café disquaire servant de siège social pour sa maison de disques ou d’une librairie galerie où tout se croise et s’interconnecte devenant une idée, un mouvement ? C’est faisable, l’hybridité étant la nouvelle normalité. La Villa Médicis n’a jamais prôné que la pluridisciplinarité ; la rencontre et le dialogue entre ses hôtes en font sa richesse et nourrissent l’inspiration de ses talents.

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