Ils vont devoir changer leur fusil d’épaule et vérifier que leurs pratiques respectent les nouvelles réglementations imposées par l’Union européenne. 89% des dirigeants des petites entreprises françaises utilisent les publicités ciblées en ligne, selon une étude du Connected Commerce Council (3C), une association qui promeut l’accès des PME aux technologies et aux outils numériques.69% des patrons interrogés par le cabinet Catalyst Research qualifient de « précieuses » les annonces en ligne axées sur les datas des internautes et 30% disent qu’elles sont « essentielles » à leur activité. « La publicité ciblée est l’une des innovations les plus importantes de ces vingt dernières années pour les petites entreprises, juge Brandon Mitchener, l’associé-gérant de 3C. Elle permet même aux plus petites entreprises de trouver des publics de niche pour leurs produits, et a été une bouée de sauvetage pour les PME françaises pendant la pandémie. »
Un avis partial
L’avis plutôt tranché de cet ancien journaliste du Wall Street Journal, qui a été le porte-parole de Monsanto pendant plusieurs années, doit être relativisé. L’association 3C pour laquelle il travaille comprend en effet parmi ses membres-fondateurs… Amazon et Google. Un « détail » qui ne figure pas sur son site. Un hasard ? Brandon Mitchener ne fait pas dans la nuance pour défendre ses adhérents.« Les annonceurs comprennent les préoccupations relatives à la vie privée et ne veulent bien sûr pas nuire aux droits de leurs clients, c’est pourquoi les publicités ciblées ne sont utilisées qu’avec les consommateurs qui les approuvent en vertu du RGDP, assure le lobbyiste. Il semble toutefois invraisemblable que certains membres du Parlement européen continuent de plaider sans relâche contre ces publicités ciblées qui présentent des avantages clairs et incontestables pour les consommateurs et les petites entreprises. ». La voix de son maître ou plutôt de ses maîtres a parlé…
Un secteur en plein boom
Nul ne conteste l’efficacité de la pub en ligne. Son taux de retour sur investissement est supérieur à celui des réclames classiques, selon une récente étude du cabinet de conseil Asterès. Les 900 sociétés françaises spécialisées dans la publicité numérique employait 29.000 salariés et générait un chiffre d’affaires de 11,3 milliards d’euros en 2019, d’après cette enquête commandée par l’IAB France et la Mobile Marketing Association. La valeur ajoutée annuelle de chaque salarié de secteur approcherait 114.000 euros alors que la moyenne nationale ne dépasse pas 76.000 euros. Ce fossé s’explique car 39% des employés de la pub digitale sont des développeurs hautement qualifiés. Et cette année, 3500 personnes devraient être recrutées ce qui représente 12% des effectifs totaux de cette branche. Rien de moins.
Si personne ne nie l’efficacité de la pub digitale, beaucoup la critiquent. Et après des années de laisser-aller, les États commencent enfin à vouloir réguler ce secteur. Les plateformes et les annonceurs ne vont plus pouvoir faire ce qu’ils souhaitent…
L’UE passe en force
Le Digital services act (DSA), qui a été adopté le 20 janvier par le Parlement européen à une très large majorité (530 voix pour, 78 contre et 80 abstentions), comprend plusieurs dispositions qui vont restreindre la publicité ciblée. Elles prévoient notamment l’égalité d’accès aux fonctionnalités des sites pour les utilisateurs qui refusent de livrer leur consentement au traitement des données, l’interdiction du ciblage et de l’amplification des contenus sur la base de données personnelles des mineurs ou encore l’interdiction pour les éditeurs de demander le consentement dès lors que l’utilisateur s’y est opposé préalablement par des moyens techniques. La nouvelle loi prohibe également la diffusion depublicités ciblées basées sur les datas sensibles des internautesnotamment leurs croyances religieuses, leur orientation sexuelle et leur origine raciale ou ethnique. L’UE n’est pas la seule a montré ses muscles contre les géants du web.
Présenté par les députés Anna Eshoo et Jan Schakowsky à la Chambre des représentants et par le sénateur Cory Booker, le Banning Surveillance Advertising Act vise, ni plus ni moins, à interdire aux Etats-Unis aux plateformes et aux courtiers en données d’utiliser des informations sensibles relatives aux classes protégées, telles que la race, le genre et la religion pour promouvoir leurs publicités.
A Washington, la résistance s’organise
Ce texte est soutenu par de nombreuses entreprises, universitaires et organismes comme l’Anti-Defamation League (ADL), l’Electronic Privacy Information Center (EPIC) et le moteur de recherche DuckDuckGo. « Le modèle économique de la « publicité de surveillance » repose sur la collecte et l’accumulation inconvenantes de données personnelles pour permettre le ciblage publicitaire, accuse l’élue californienne Anna Eshoo. Cette pratique pernicieuse permet aux plateformes en ligne de chasser l’engagement des utilisateurs à un coût élevé pour notre société, et elle alimente la désinformation, la discrimination, la suppression des électeurs, les abus de la vie privée, et tant d’autres préjudices. »
Cette législation doit encore franchir plusieurs obstacles avant d’être définitivement adoptée. Mais si cette proposition devient loi, la Federal Trade Commission (FTC) et les procureurs généraux des États pourraient imposer des amendes de 5000 dollars par incident en cas de violation délibérée. Les plateformes et les annonceurs vont devoir faire attention. Mieux vaut tard que jamais…