10 mars 2025

Temps de lecture : 5 min

Les pétitions, sutures de la France ?

Parler de son problème dans un entre-soi – un vestiaire de sport, une tante, son buraliste – ça va mieux en le disant, soit, mais cela n’y fera rien, vous êtes seul. Quelle est donc cette société où l’on prône partout respect, écoute, bienveillance, consentement, et où l’on reste sourd, disons-le tout net ? C’est alors que le réseau résout tout ? Non, mais c’est plus qu’une bouteille à la mer. Dans l’océan du Net, les pétitions, ça rassemble, ça unit, ça rend fort. Chiffres, ici, à l’appui.

Comprendre la dynamique, le chemin qui transfigure une douleur solitaire en une force solidaire, c’est comme trouver le médicament pour soigner la France, décrypter le chemin qui mène du je au nous. Chaque jour, en moyenne, ce sont 34 pétitions qui sont créées et que près de 111 000 Français signent, au moins une, sur l’un des six principaux sites en France que sont (change.org, mesopinions.com, leslignesbougent.org, petitions.assemblée-nationale.fr, pétitions.senat.fr, et foodwatch.org). Ces chiffres sont extraits de l’Observatoire des pétitions1, qui, depuis trois ans, collecte et décrypte les 12 410 pétitions2 qui engagent environ 41 millions de signataires. Nous les analysons au travers de 20 thèmes. Mis bout à bout, ces signaux faibles deviennent des signaux puissants. Nous reconstituons le puzzle de la France en morceaux.

Les pétitions constituent, là sous nos yeux, des points des sutures pour recoudre la France. En effet, si on veut s’en donner la peine, ces appels à l’aide regorgent de clés pour faire société. Ils constituent un médium qui permet à chaque citoyen de devenir acteur d’une multitude d’initiatives locales pouvant aboutir. Paradoxalement, ils réussissent à mobiliser les signataires, devenant l’expression d’élans de solidarité importants pour un autre, souvent inconnu.

Quand on regarde la France à travers ces collectes de signatures, la première réaction est le plus souvent un rire moqueur, un peu condescendant. En effet, quand on s’y plonge la première fois, on a assez vite la nausée. Dans les pétitions, c’est le règne du je du partage sans filtre, parfois obscène, quand chacun donne à voir où ça le gratte et présente au monde ses petits bobos. C’est à première vue, le grand déballage des grognes, comme si le corps social de la France se couvrait d’eczéma. Mais assez vite on découvre que l’urticant de l’un est aussi celui des autres, et que cette démangeaison solitaire devient solidaire. Alors on commence à lire avec attention, et l’on découvre que presque toutes les revendications encapsulent leur remède. L’eczéma arrive avec son tube de crème à la cortisone.

Pétitions riment avec solutions !

Car beaucoup sont victorieuses. Les pétitions remportent leur pari, dès lors que leur auteur parvient à son but. Dans un contexte d’hyper proximité, les lanceurs utilisent ce médium de contestation pour sensibiliser élus locaux et autorités compétentes, ainsi que toute la société civile, sur des un problèmes, dysfonctionnements ou sources de discorde. Et la victoire ne se joue pas en dizaines de milliers de signatures mais fréquemment en centaines de milliers. Elles se gagnent ici et maintenant. Plus qualitativement, elles doivent être considérées à la fois comme des marqueurs d’une crispation, d’une contestation, mais également comme des solutions. En effet, la majorité des pétitions proposent leur solution au problème soulevé ; elles sont donc l’antichambre des crises. Ne pas les observer et les décrypter est une faute pour les directions auxquelles elles sont adressées, de la communication notamment, qui veulent identifier les signaux faibles concernant leur secteur ou leur marque. Le décryptage des thématiques en dit beaucoup de la France et de ses mécontentements. Mobilité, santé, logement, patrimoine, pouvoir d’achat, c’est encore aussi le bien-être animal qui est, la thématique super star des pétitions. En moyenne, une pétition rassemble un peu plus de 3 200 signatures, mais quand elle concerne les animaux, elle en suscite plus de 12 000 !

Enfin, lorsque l’on demande aux Français leur manière favorite de se prononcer pour changer la société, l’engagement qu’ils pratiquent le plus et qu’ils considèrent comme le plus efficace pour transformer la France est la pétition. Juste devant les cagnottes, et très loin devant d’autres formes d’engagement comme l’implication dans un parti politique, une ONG ou un syndicat. Et pour cause. Qu’elles soient le plus souvent locales, parfois nationales voire internationales, comme celle de Pénélope Bagieu sur la pêche en eaux profondes, de très nombreuses pétitions sont gagnantes !

La France de la périphérie, du quotidien et du patrimoine

Pour comprendre les crises émergentes, il faut donc regarder du côté de ces revendications adressées aux pouvoirs publics. Car il se joue sous nos yeux l’équivalent d’un « grand débat national » chaque semaine. Pour réparer la France, il faut donc être sensible à ces signaux qui constituent des angles morts de la prise de décisions et qui concernent toutes les organisations publiques ou privées : La Poste, la SNCF, Décathlon, Bricorama, Orange, etc.

Un constat : 93% des pétitions éclosent hors de Paris. Elles parlent des ronds-points, des territoires, des terroirs. Elles s’enracinent souvent dans un espace correspondant peu ou prou à celui de l’attestation de déplacement en période de confinement, le fameux rayon de 1 km autour du domicile imposé en 2020. Publiées sur les différentes plateformes, les réclamations s’inscrivent dans une perspective d’hyper proximité. Peu importe les thématiques abordées, elles émanent de citoyens qui évoquent le plus simplement du monde des réalités qui impactent leur cadre de vie. Ces réclamations parlent donc d’une France des petites choses, des petits riens, des horaires de train ou de l’ouverture d’une agence La Poste, du déplacement d’un arrêt de bus : « Touche pas à mon facteur », « Sauvez mon arbre », etc. Et lorsque les habitudes changent, elles fracassent le quotidien. Cela nous raconte la France de tous les jours. Enfin, la thématique qui dépasse toutes les autres depuis trois ans est la cause animale : de décembre 2023 à mai 2024, elle a généré 370 pétitions, rassemblant plus de 4,6 millions d’âmes.

La France des pétitions, à l’image de la France, est plutôt conservatrice, elle souhaite avant tout que rien ne change. Ces sondages d’initiative citoyenne demandent plutôt le maintien de la situation, que l’existant demeure et soit préservé. Au regard des pétitions, tout est patrimonial. Pour leurs auteurs, en grande majorité des personnes physiques, des individus citoyens, la pétition apparaît le plus souvent comme la dernière étape avant la violence, les actes de rébellion, la désespérance ou la défiance généralisée. Les pétitions d’aujourd’hui sont les étincelles des incendies de demain. À ce titre, les médias devraient s’y intéresser, elles leur permettraient d’identifier des récits différents, d’une France mécontente mais qui espère encore. Les pétitions sont les dépêches AFP des « vraies gens ». C’est un contenu parfait pour un journaliste : un sujet déjà étoffé par un narratif, une incarnation (donc potentiellement une parole, un témoin, une image), un ancrage territorial donc une authenticité et la force de cristallisation du sujet (la capacité de ce thème à fédérer, les signatures). En valorisant ces sujets, les journalistes ont le pouvoir de donner un écho à ces sujets hors du radar, de les désinvisibiliser et donc de jouer pleinement leur rôle de ciment de la société. Bref, un outil au service du journalisme de solution.

Les pétitions méritent donc toute notre attention. Si elles disent la radicalité et la fragmentation de notre société, pour ceux qui savent les décrypter, elles constituent un véritable GPS pour identifier le chemin de la concorde.

1. Réalisé par l’institut Occurrence-Groupe Ifop.

2. Chiffre 2023.

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