Aujourd’hui, la culture physique de l’agence est remplacée par une culture virtuelle.
INfluencia : Votre étude montre que la pandémie a eu un lourd impact sur la culture créative des agences. Comment expliquez-vous ce phénomène ?
Thomas Husson : Les réalités du travail hybride ont érodé la culture créative des agences. Leur avantage concurrentiel était lié à leur capacité à créer grâce au mélange de nombreux profils différents. Assis autour d’une table ou devant la machine à café, ces personnes échangeaient de façon informelle et de ces discussions sortaient parfois d’excellentes idées. Faire la même chose en télétravail est nettement plus compliqué. Il existait avant la pandémie une logique de réseaux. Les gens dans la pub qui travaillent souvent dans des bureaux voire même dans des pays différents avaient pris l’habitude de collaborer à distance mais ils se retrouvaient de temps en temps. Aujourd’hui, la culture physique de l’agence est remplacée par une culture virtuelle. L’atmosphère et le buzz autrefois si emblématiques de ce secteur existeront à moindre doses et de façon moins concentrée à l’avenir.
IN : Un retour à la normale n’est pas possible maintenant que la pandémie recule ?
T. H. : Le retour au bureau reste un problème car les salariés ne veulent plus y revenir. Il existe toutefois de grosses différences d’un pays à l’autre. Aux Etats-Unis, moins de 20% des employés des agences se rendent régulièrement dans leur entreprise. En France, certains patrons forcent leurs collaborateurs à passer au bureau pour créer mais il est vrai que la période actuelle est compliquée pour ce secteur.
IN : La crise sanitaire a également provoqué de profonds changements dans le management des agences…
T. H. : Les opportunités de produit-plus-service ont en effet entraîné des changements dans la direction des agences. Traditionnellement, les patrons étaient principalement des DA ou des directeurs de clientèle. Le rôle et les compétences du responsable du service client, qui ont si bien servi les agences pendant plus d’un siècle, vont être peu à peu remplacés par des responsables du marketing produit car leurs aptitudes sont mieux adaptées à la gestion du portefeuille croissant de solutions des agences. Les produits et les services logiciels qu’elles vont proposer vont se développer énormément, qu’il s’agisse de systèmes d’exploitation d’agence comme Omni d’Omnicom ou Connect de Dentsu, de plates-formes d’audience comme BLU d’Horizon Media et Ada de DEPT, ou de solutions d’intelligence créative telles Speedbag de MullenLowe ouBrand Guardian de Wunderman Thompson. Une nouvelle génération de dirigeants possédant une expertise en marketing produit et en stratégie a déjà commencé à prendre les rênes de certaines entités comme Mat Baxter chez Huge, Christina Hansonchez OMD, Carla Sereno chez Publicis Groupe ou Luke Taylor chez OPMG. Cette tendance est appelée à se poursuivre en 2023.
IN : Quelle va être l’impact du développement du métavers dans les agences ?
T. H. : Les postes à haute valeur ajoutée tels que l’analyse, l’informatique et la conception d’interfaces numériques connaîtront une croissance supplémentaire de 20 % au sein des agences en 2023. La croissance des emplois numériques sera alimentée par les licenciements dans les entreprises technologiques et médias. Il y a toutefois eu beaucoup de buzz autour du métavers. Les audiences sont faibles, l’expérientiel a été surestimé et la bulle commence à sérieusement se dégonfler. Les agences s’intéressent toutefois de plus en plus au métavers et elles ont la volonté de développer leurs compétences dans ce domaine notamment en matière de design mais il leur reste encore beaucoup de choses à faire.
IN : La période actuelle a-t-elle également eu des conséquences dans le monde des médias ?
T. H. : Nous pensons que le marché américain du streaming va se consolider. Disney va racheter les parts manquantes de Hulu à Comcast et fusionner ses services de streaming dans Disney+. De la même manière nous pensons que Paramount+, Showtime+, and BET+ fusionneront au sein du réseau ViacomCBS. Pourquoi ? Les consommateurs américains ont déjà de multiples abonnements à des services streaming et le contexte économique va en pousser un nombre non négligeable à résilier leur abonnement. D’autre part, le niveau d’investissement pour obtenir des contenus de qualité est très élevé, ce qui limitera l’intérêt pour les plus petites plateformes et pour la fragmentation des services. Pour les annonceurs, cela va permettre de consolider les audiences et donc d’avoir davantage de reech avec des outils plus performants et moins de complexité dans les campagnes. Cela permettra également de mettre en concurrence Netflix qui vient seulement de lancer son offre publicitaire.
IN : Quid d’Amazon ?
T. H. : En rachetant OneMedical aux Etats-Unis pour près de 4 milliards de dollars, Amazon cherche à se renforcer sur le marché de la santé et à en réinventer les expériences. Cela lui donne accès à des données dites « first-party data » sur environ 700.000 patients qui devraient lui permettre de mieux cibler les consommateurs et de le personnaliser leurs expériences, en les combinant à la force de frappe traditionnelle de sa plateforme de e-commerce. Amazon se doit évidemment de respecter la réglementation américaine des données de santé (HIPAA) et ne peut évidemment pas vendre ses données sans le consentement des utilisateurs, mais cela va renforcer le pouvoir de ciblage de la plateforme en permettant de partager de meilleurs insights aux marques et aux agences. Certaines associations de protection des libertés civiles dont The Amercian Economic Liberties Project à Washington s’inquiètent du respect de la vie privée et au-delà des préoccupations de certains consommateurs, Forrester s’attend à ce qu’Amazon subisse une surveillance renforcée des autorités compétentes, étant donné son historique d’une faible gouvernance des données liées à la vie privée. Cela veut dire que le géant du commerce en ligne pourrait se voir infliger des amendes ou que cela retardera l’intégration de OneMedical.