Que l’IA tente de se rapprocher de notre fonctionnement cérébral pour optimiser notre temps est une chose mais qu’en serait-il si elle venait à en prendre le contrôle directement ? Les dernières avancées nous démontrent que cette ultime frontière dans la relation homme-machine n’est plus inatteignable avec des bénéfices certains mais encore de nombreuses questions en suspens et des risques à évaluer, promptement.
Personne n’est passé à côté de l’autorisation donnée par les autorités sanitaires américaines à Neuralink, la société d’Elon Musk, pour des implants chirurgicaux dans le cerveau humain, après des essais finalement concluants sur des animaux. Dans cette expérimentation, qui vient de commencer et durera 6 ans, le patient s’est vu implanté une petite électrode qui détecte l’activité cérébrale associée à une volonté d’action, la traduit en impulsion électrique envoyée directement à un objet pour l’effectuer, sans aucune intervention humaine. Cette technologie, comme celle développée par la société Onward avec un implant cérébral sur la
moelle épinière, devrait permettre d’activer directement certaines zones du cerveau dans un but thérapeutique (faire remarcher des tétraplégiques, rendre la vue aux aveugles et guérir de maladies neurologiques). Nous ne sommes pas en reste sur le sujet car la start-up française Mentalista propose également une technologie propriétaire qui recueille, analyse et actionne « par la pensée » des ondes cérébrales jusqu’aux objets, grâce à des électrodes placées sur la tête.
Vers la visualisation de nos pensées
Ce que l’on sait moins, c’est que les modèles capables de décoder le langage (LLM), à l’origine des IA génératives comme Chat-GPT, ont permis récemment de traduire en chiffres le sens sémantique de la parole. En effet, des neuroscientifiques de l’université du Texas ont réussi à faire correspondre une activité neuronale spécifique, détectée grâce à une IRM fonctionnelle, à des suites longues de mots et d’en extraire le sens général, sans avoir recours à la moindre parole. Cela a ouvert un champ à la recherche pour aider des patients, victimes de lésions cérébrales, à communiquer de nouveau mais aussi pour développer des IA dédiées à la traduction quasi-instantanée de nos pensées en texte, en image ou en ordre pour piloter à distance des objets connectés. Et cela, sans avoir recours à des moyens invasifs, tels que des implants chirurgicaux.
Ainsi, grâce à la magnétoencéphalographie (MEG), une technique de neuroimagerie, l’IA de Meta est désormais capable de faire le pont entre notre activité cérébrale et sa représentation graphique pour proposer une visualisation de nos pensées avec une grande précision. À l’université de Berkeley en Californie, la même technique a offert aux participants d’une expérience la traduction de leurs pensées en mélodies. Demain, il y a fort à parier que nous n’aurons plus besoin d’utiliser nos mains ou notre voix pour se connecter à nos devices et décider de nos interactions dans une réalité mixte.
Avec ces avancées, il devient facile de céder à notre AI-anxiété en imaginant qu’il n’y a plus qu’un pas entre lire dans nos pensées et les influencer en retour en y implantant des données, jusqu’à – pourquoi pas – hacker notre cerveau, ultime bastion de notre singularité.
Il est vrai que dernièrement des chercheurs français et californiens ont réussi l’impossible sur des souris en activant ou désactivant, sur commande et à distance, des neurones avec une précision infime, grâce à un laser biphotonique qui pénètre sans dommage les tissus vivants jusqu’à sa cible finale, déterminée grâce à un système holographique en 3D. Ainsi, comme
nos pensées, nos émotions et nos souvenirs mais aussi nos comportements, sont la résultante de l’activation de réseaux précis de neurones, alors il deviendrait possible à terme d’en prendre le contrôle depuis l’extérieur. Heureusement pour nous, notre système neuronal est autrement plus complexe, profond et sa plasticité encore bien mystérieuse par rapport aux souris, pour que l’expérimentation sur l’humain puisse être aujourd’hui couronnée de succès.
En effet, les scientifiques l’ont prouvé, la prise de décision est personnelle car multifactorielle (neurotransmetteurs, émotions, hormones, motivation, sensibilité au circuit de la récompense, prise de médicaments, etc) et la plupart du temps relève de notre inconscient.
La précision temporelle et spatiale nécessaire pour réussir à allumer ou éteindre tel ou tel neurone impliqué dans une action doit être immédiate. Or, il semblerait que notre cerveau déclenche l’activité cérébrale menant à la prise de décision… 11 secondes avant que nous en ayons conscience.
Puisque même notre cerveau nous trompe, gageons qu’il continuera sans doute à mystifier encore un peu nos chercheurs pour laisser le temps aux législateurs et entrepreneurs de réfléchir aux limites éthiques d’une telle révolution !
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Depuis plus de 20 ans, Florence Hermelin s’attache à restituer l’air du temps et accompagner les entreprises dans leurs transitions grâce à ses analyses stratégiques, prospectives et sectorielles. Elle a fondé et dirige Unlock Potentials, une société de conseil prospectif et de coaching stratégique au service des entreprises et de ses dirigeants.