Avec la démocratisation des applications de rencontres, désormais mâtinées de IA, il serait aisé de croire que la technologie a simplifié la quête de partenaires amoureux pour les 18 millions de célibataires français. Mais, en s’attachant aux derniers vocables la qualifiant, il semblerait plutôt que ces applis aient amplifié nos travers et complexifié les relations affectives, dans un contexte où les lieux historiques de la drague (bars et boites de nuit) se tarissent. Un petit update avant la Saint-Valentin nous paraissait utile !
Tout un nouveau lexique
Pour mesurer la difficulté de rencontrer l’amour en 2024, il suffit de savoir que le verbe ghoster (rompre soudainement tout contact sans fournir d’explication) a fait son entrée dans le dictionnaire cette année. Il sera peut-être bientôt rejoint par une liste impressionnante d’autres anglicismes, propres à décrire des comportements de plus en plus toxiques : avec
de nouvelles techniques de drague, comme le snooze dating (prendre le temps de répondre aux messages pour rendre accro), le vulturing (profiter de la vulnérabilité d’une personne récemment séparée pour entrer dans sa vie) ou le benching (être dans une relation suivie avec un partenaire qui garde d’autres options ouvertes), proche du breadcrumbing (donner des miettes pour s’assurer que l’autre reste intéressé). Et que dire des nouvelles techniques de rupture, celle radicale du cloaking (où en plus d’être ghostée, la personne est bloquée partout) ou celles plus douces du caspering (arrêt progressif d’une relation pour minimiser l’impact émotionnel) ou du delicate dumping (laisser l’autre rompre en se désengageant progressivement). Jusqu’à qualifier l’indécision avec le gophering (poser un lapin après avoir pourtant échangé avec enthousiasme sur l’éventualité de la rencontre) ou justifier un reviens-y avec le wintercoasting, pour beaucoup motivé par la difficulté de vivre solo l’hiver ou pire, à cause de la hausse des prix, avec l’inflationship (être célibataire impliquerait 980 euros de coûts supplémentaires par rapport à un couple).
Ainsi, en ouvrant la boite de pandore, la technologie a modifié nos comportements comme nos standards d’exigences mais aussi réactivé des opinions d’un autre âge et promu l’usine à fantasmes.
Les applications de rencontres n’ont fait que renforcer l’importance accordée à l’apparence, véhiculée sur les réseaux sociaux, où les filtres deviennent une deuxième nature, comme le fameux bold glamour, utilisé plus de 16 millions de fois en un seul mois. Cela vient raviver également chez certains hommes des revendications et clichés masculinistes post-metoo où les femmes sont comparées à des trophées et classées selon des critères ultra sexistes et/ou inspirés par une imagerie pornographique très présente et son index, la VMS (Valeur sur le Marché Sexuel). Les mâles alpha, qui se rêvent en Chads (riche, bronzé, bodybuldé), se destinent ainsi aux Stacys (blonde, ultra féminine et aux attributs bien distincts) laissant aux autres recalés de l’amour, les Beckys (les mal habillées au look naturel qui font des études), qui évidemment ne cherchent qu’à séduire des Chads ! Cela pourrait prêter à sourire si le très récent rapport sur l’état du sexisme en France ne pointait pas du doigt une aggravation de ces revendications dans l’opinion et sur les réseaux. Avec des tendances similaires chez des femmes qui valorisent une position dans le couple de nouveau très conservatrice (#tradwife – 340 millions de vues mensuelles sur TikTok ; #femmeaufoyer – 44,4 millions de vues en France).
Pas étonnant que les individus cherchent à réinventer la rencontre en 2024, en s’affranchissant des stéréotypes, avec la tendance Love out of the box (s’ouvrir à des critères de recherche plus audacieux ou se donner rendez-vous dans des endroits insolites, comme ces seniors à Shanghai qui se retrouvent à la cafétéria d’Ikea) ou celle du psycho-dating, qui fait la part belle aux applications plus introspectives, susceptibles de créer des liens émotionnels réciproques moins superficiels et toxiques pour la santé mentale des célibataires. Il s’agit d’éviter les red flags grâce à un système d’alertes intégré et renoncer dès l’amont aux mid (personnalités trop tièdes pour être le match parfait).
D’autres préfèrent enfin fantasmer sur des relations unilatérales, dites parasociales, avec des célébrités ou des anonymes, permises par le fort sentiment de proximité créé par les réseaux. Jusqu’à désirer des personnalités totalement fictives, disposant immanquablement de toutes les qualités sur la durée et qui peuvent désormais s’incarner grâce à l’IA (cf. mot#5
– Solocratie). Et si jamais cela ne fonctionnait toujours pas, il vous reste toujours la possibilité de donner le prénom de votre ex à un cafard du zoo de Toronto pour la Saint-Valentin !
En savoir plus
Depuis plus de 20 ans, Florence Hermelin s’attache à restituer l’air du temps et accompagne ainsi les entreprises dans leurs transitions grâce à ses analyses stratégiques, prospectives et sectorielles. Elle a fondé et dirige Unlock Potentials, une société de conseil prospectif et de coaching stratégique au service des entreprises.
