Les marques de vêtements créées par des youtubeurs sont-elles vouées à se casser la figure ?
Amixem, Squeezie, Cyprien… Les exemples ne manquent pas pour illustrer cette fatalité. Mais si les marques de vêtements lancées par des créateurs de contenu – principalement des youtubeurs – semblent vouées à disparaître les unes après les autres, les raisons de ces échecs entrepreneuriaux sont multiples…
On ne vous fera pas l’affront de vous expliquer, chiffres et data à l’appui, que le marketing d’influence est devenu « un outil indispensable pour les marques ». Déjà parce que nous respectons notre audience – et que son temps est précieux… – mais surtout parce qu’on a publié quantité d’articles et d’études depuis la rentrée qui tendent à vous le prouver. Plutôt que d’étudier le marketing d’influence sous le prisme de son impact sur les marques, nous préférons aujourd’hui nous intéresser à ce que la discipline offre comme opportunités… aux influenceurs eux-mêmes.
Les créateurs de contenu ont pris conscience ces dernières années que leur connaissance aigüe de leur audience leur permettait, bien mieux que n’importe quelle marque à laquelle ils pourraient s’associer, de proposer les produits les plus à même de les séduire. Comme le rappelait Eran Nizri, CEO et fondateur de l’agence Leaders, dans un article de Forbes publié il y a deux ans : « Il s’agit d’informations essentielles auxquelles les marques ont rarement accès lorsqu’elles travaillent dans l’optique d’une campagne de marketing ciblée. Les influenceurs ont l’avantage concurrentiel d’avoir l’envergure, l’expérience et la connaissance de leurs communautés, ce qui leur permet d’avoir une meilleure vision des opportunités de tel ou tel produit ou service ».
L’amour du vêtement
Et s’il y a un domaine, un secteur professionnel qui semblait être le meilleur filon à creuser pour un influenceur désireux de varier ses rentrées d’argent… c’est bien la mode. Fin des années 2010, les principaux youtubeurs français se sont donc pris au jeu de créer leur propre marque de vêtements. Rien qu’en 2019, on compte trois mastodontes du YouTube francophones qui ont jeté leur temps – et leurs ressources – dans la bataille : Squeezie avec Yoko, Amixem avec Space Fox et Mathieu Jonckheere avec Relix. Leur point commun ? Elles ont toutes mis la clé sous la porte depuis.
Dans le cas de Squeezie, la fermeture de sa marque a été annoncée début 2024 sur ses réseaux mais pour Mathieu Jonckheere, il n’aura fallu que onze petits mois pour qu’il se rende à la terrible évidence. Amixem, figure très appréciée d’internet et qui compte tout de même près de 9 millions d’abonnés sur YouTube, dévoilait même dans une interview qu’il s’était endetté à hauteur de 100 000 € lors de son aventure entrepreneuriale avortée… Un montant qu’il est encore en train de rembourser chaque mois.
Sans même parler de ces exemples très médiatisés, plein d’autres marques de youtubeurs n’ont jamais réussi à exister plus longtemps qu’une saison ou qu’une trend sur TikTok. Mais comment expliquer ce qui ressemble presque à une fatalité ? Reprenons du début.
Maximiser ses opportunités
Comme le rappelait – l’excellente – chaîne YouTube RapidScrew dans une vidéo qui a servi d’inspiration à ce sujet, au tout début d’internet, « créer des vidéos ce n’était ni un métier, ni un business ». Simplement « un passe-temps ou à la rigueur, un tremplin pour devenir comédien » et pour travailler dans les médias traditionnels. Petit à petit, les plateformes leur ont donné les moyens de monétiser leur contenu et les marques ont réalisé le potentiel commercial que représentaient leurs audiences. D’autant plus que ces dernières étaient souvent en position de force dans les discussions de contrat, tant la majorité des créateurs – avant tout des passionnés, rappelons-le – ne semblaient pas avoir encore conscience de leur vraie valeur marketing.
À mesure que l’écosystème s’est professionnalisé, les créateurs de contenu déjà installés ont compris qu’ils avaient tout à gagner de commercialiser leurs propres produits sans passer par une collaboration avec une marque. L’objectif de ce genre de projet annexe était avant tout de continuer à monétiser leur audience en dehors de leurs contenus et de leurs partenariats. Mais comme l’explique RapidScrew dans sa vidéo… c’est justement dans le souci de plaire au grand public que les youtubeurs/entrepreneurs font une première erreur.
Une question d’intention ?
Les youtubeurs mainstream « n’ont pas l’opportunité de proposer des produits de niche comme peuvent le faire les youtubeurs de niche. Quand tu es un youtubeur dessinateur, tu auras plus facilement la capacité de vendre ta BD » puisque c’est uniquement pour ça que te connaît ton audience. Tout comme un « youtubeur sneaker » qui pourra plus facilement compter sur son audience pour acheter ses propres baskets. Pour voir leur marque réussir, les youtubeurs « de masse » – loin d’être le terme adéquat mais vous comprendrez la distinction – doivent donc privilégier des produits que tous les membres de leur audience sont en mesure de consommer.
Dans ce contexte, lancer une marque de vêtements semble être l’idée la moins risquée. Le problème, c’est que le public a vite compris que ces marques n’étaient pas des projets sérieux dans lesquels leurs influenceurs préférés s’investissaient pleinement. Si l’on ne prend que le cas du youtubeur LeBouseuh, qui jouit d’une large audience sur YouTube en proposant du contenu assez varié, « derrière sa marque » Lockd se cache – façon de parler – l’un de ses associés « qui s’occupe plus ou moins entièrement des collections », rappellent les auteurs de RapidScrew. Résultat, aucun produit ne fait clairement écho à l’univers de LeBouseuh … ce qui serait pourtant le parfait argument de vente pour séduire sa large audience.
Dans l’œil du cyclone
En plus des ventes qui ne sont peut-être pas au rendez-vous, la disparition de ces marques peut également s’expliquer par un manque d’intérêt de leurs créateurs : « Dans l’idée, c’est sympa au début, ils ont une vision qu’ils avaient trouvé pertinente, mais plus ils avancent, plus ils se rendent compte » que gérer une marque de A à Z… c’est beaucoup de travail. C’est exactement le discours qu’ont tenu le youtubeur Matt qui fait des films – le fameux Mathieu Jonckheere dont on parlait au début – et Cyprien au moment d’expliquer la fermeture de Relix pour le premier et la vente de Narmol pour le second.
Il y a aussi la question de l’exposition médiatique importante dont ils profitent – et pâtissent – dès l’annonce de leur projet. « La marque de LeBouseuh, par exemple, on sent qu’elle se cherche encore énormément, que ce soit au niveau de sa DA, la cohérence de son branding, de ses pièces (…) Et pourtant, ils sont déjà exposés devant énormément de monde qui pourrait déjà avoir un avis figé sur un projet qui n’a probablement pas encore assez maturé », analyse RapidScrew.
Avant d’ajouter : « Quand Squeezie avait recopié un design de Marcelo Burlone, tout le monde lui avait sauté dessus (…) mais quand Zara » copie ouvertement toutes les marques à la mode, ça ne dérange plus personne. Preuve qu’il y a bien un deux poids deux mesures concernant les youtubeurs auxquels le public, qui leur était pourtant promis, ne permet aucun faux pas.
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