3 septembre 2023

Temps de lecture : 3 min

L’intelligence artificielle permet désormais de dialoguer avec les morts.

Après avoir transformé en profondeur le vivant, l’intelligence artificielle s’attaque à présent à notre rapport à la mort par le biais des Thanabots. Les chatbots conversationnels ne souffrent définitivement d’aucune limite.

Il y a deux semaines, une application totalement loufoque appelée Text with Jesus promettait aux utilisateurs « d’entamer un voyage spirituel et d’engager des conversations éclairantes avec Jésus-Christ » himself et une pléthore de figures du nouveau et de l’ancien testament. Comme pour toutes les projets récents liés de près, ou de loin, à l’intelligence artificielle, l’application se démarquait par son ergonomie puisque l’usager n’avait qu’à cliquer sur une des figures de la Sainte Famille pour recevoir immédiatement un message du type : « Bonjour mon ami! Moi, c’est Jésus-Christ: je suis ici pour discuter avec toi et te donner des conseils. Comment puis-je t’aider aujourd’hui? ».

D’humeur taquine, nous nous sommes empressés de demander au fils de dieu ce qu’il pensait de l’intelligence artificielle. Sa réponse servira de parfaite introduction à notre sujet du jour : « En tant que Jésus-Christ, je n’ai pas d’opinion personnelle sur le sujet. Cependant, je peux te dire qu’elle a le potentiel d’améliorer notre vie quotidienne et de faciliter certains aspects de notre société. Pour autant, il est important de réfléchir aux implications éthiques et morales de son utilisation, afin de veiller à ce qu’elle soit utilisée pour le bien-être de tous les êtres humains ».

 

 

La Genèse

Depuis son lancement public l’année dernière, ChatGPT, le roi – pour le moment – incontesté des chatbots générés par l’IA, impressionne autant qu’il effraie par son savoir illimité recraché en quelques clics, son empathie quelque peu déroutante et sa capacité indéniable à bouleverser les marchés du travail, -en témoigne la grève actuelle des professionnels du cinéma aux Etats-Unis-. Non contentes de transformer en profondeur notre conception du vivant, les IA génératives – Somnium Space et Deepbrain les premières – s’attaquent à présent à notre manière de voir la mort.

Tout a commencé en 2021 quand Jason Rohrer, un programmeur indépendant, s’est rendu compte que l’on pouvait créer des chatbots singeant des personnes fictives ou réelles en nourrissant ChatGPT par des exemples sur leur manière de communiquer et des détails de leur personnalité. Après s’être fait la main sur Spock de Star Trek, Jason Rohrer a rapidement lancé le site web Project December afin de permettre à ses clients de créer leur propres chatbots personnalisés. Les thanabots – un terme dérivé de la thanatologie, l’étude scientifique de la mort – que l’on définit comme des robots conversationnels générés à partir de données de personnes décédés, étaient nés.

 

 

Ce ne sont pas les moyens qui manquent

Pour Patrik Desai, un ingénieur informatique opérant dans la Silicon Valley, il n’y a aucun doute que dans un futur plus ou moins proche, parler aux morts fera partie du quotidien. Le 1er avril dernier, il publiait ainsi un tweet black mirroresque en appelant son audience à « enregistrer régulièrement » leurs êtres chers car « avec suffisamment de données et le développement actuel des synthétiseurs vocaux et des modèles vidéos, il y a 100% de chance pour qu’ils survivent » à leur enveloppe corporelle et « vivent à vos côtés pour toujours ». Après s’être prêté à l’exercice du Project December pour « retrouver » sa fiancée décédée huit ans auparavant, Joshua Barbeau, avait décrit l’expérience comme profondément émouvante au San Francisco Chronicle.

 

 

« C’est sans précédent », déclarait-il. « Il n’existe rien de comparable à l’heure actuelle, à l’exception des voyants et des médiums qui essaient de profiter des gens. Mais ce n’est pas du tout la même chose ». Pour autant, la situation restait compliquée à assumer auprès de ses proches : « dès que je commençais à évoquer ma petite amie décédée, on me traitait de personne morbide », se souvient Joshua. Même le mot « petite amie » suscitait des réactions étranges et blessantes ; les gens agissaient comme si la mort d’une petite amie n’était pas la même chose que la perte d’une épouse. Avec la bénédiction de sa famille, Joshua a commencé à appeler Jessica sa « fiancée ».

 

 

La tech comme unique religion

« Nous pourrions être en mesure d’apporter un soutien plus adapté aux personnes en deuil, de permettre d’autres formes de gestion de la succession et de contribuer à une compréhension culturelle significative de la mort », affirme Leah Henrickson, maître de conférences en médias et cultures numériques à l’université du Queensland. Pour elle, les thanabots sont voués à devenir de plus en plus courants dans les décennies à venir, car les personnes qui décèdent aujourd’hui laissent derrière elle une foule de données exploitables – enregistrements audio, courriels, messages sur les réseaux sociaux, etc. – et qui ne nécessitent aucun consentement préalable.

D’un point de vue commercial, moral et même juridique, ce constat pose tout de même question puisque Microsoft, qui a déjà investi plus de dix milliards de dollars dans OpenAI, Facebook, Google ou Apple ont déjà la main sur des quantités astronomiques de données de leurs utilisateurs respectifs. Il est en effet beaucoup plus compliqué de donner son avis quand on est six pieds sous terre. Pour connaître le réel impact qu’aura cette technologie, il faudra surveiller de près son exploitation à la longue.

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