Les entreprises sont-elles toujours autant solidaires de la cause Ukrainienne ?
Un an après l'invasion de l'Ukraine par la Russie, l’attention portée sur le conflit par les acteurs médiatiques et économiques s’avère toute relative. Le boycott russe et/ou le soutient à la cause ukrainienne sont-ils toujours à l’ordre du jour des actionnaires ?
Le cours de l’histoire Ukrainienne s’écoule frénétiquement ces dernières semaines. Le 20 février dernier, pour commencer, Joe Biden et Volodymyr Zelensky se rencontraient symboliquement à Kiev quatre jours avant le premier anniversaire de l’invasion Russe. Le président américain avait délibérément ignoré les menaces d’attaques de missiles pour annoncer un paquet supplémentaire d’armes et de provisions d’une valeur de 500 millions de dollars, déclarant au passage : « La liberté n’a pas de prix. Elle vaut la peine qu’on se batte pour elle, aussi longtemps qu’il lefaudra ». Ich bin ein Ukrainer. Ces derniers jours, c’était au groupe paramilitaire Wagner de (re)faire parler de lui en affirmant que ses troupes avaient pris « toute la partie orientale » de la ville de Bakhmout, épicentre des combats dans l’est de l’Ukraine.
Après Bakhmout, les Russes « pourraient aller plus loin. Ils pourraient aller à Kramatorsk, ils pourraient aller à Sloviansk, la voie serait libre » pour eux, avait commenté Volodymyr Zelensky, avant d’assurer que ses troupes étaient résolues à défendre la ville coute que coute. Dernière rubrique de cette revue de presse accélérée, le département du Trésor américain ciblait cette semaine un réseau de satellites chinois, auquel collaborait secrètement un expert de l’Agence spatiale canadienne. Spacety, de son petit nom, aurait fourni sur commande des images satellites extrêmement précises du terrain ukrainien « pour faciliter les opérations de combat du groupe Wagner en Ukraine ».
L’attention médiatique à marche forcée
Ces nouvelles auraient certainement fait la Une de tous les médias il y a encore un an. Plus vraiment en 2023, fatigue médiatique oblige. Comme trop souvent, le doomscrolling des premiers mois, soit le fait de consulter de manière compulsive des informations négatives sur son smartphone et sur les réseaux sociaux, a laissé place à une forme d’apathie collective. Les nombreuses entreprises, qui n’avaient pas manqué de se montrer solidaires de la cause Ukrainienne, parfois dans un souci de représentation positive dans l’espace médiatique, ne sont pas en reste. Lors du Forum de Davos organisé en janvier dernier, Agnès Callamard, secrétaire générale d’Amnesty International, avait même déclaré que « les chefs d’entreprise ont trop souvent le sentiment d’avoir déjà fait tout ce qu’il fallait faire pour l’Ukraine ».
Avant de se lamenter : « Lorsque vous participez à des réunions avec des acteurs du monde entrepreneurial, j’ai rarement l’occasion de constater que l’Ukraine est leur préoccupation majeure ». Côté français, l’exemple très médiatisé de Bonduelle début 2023, nous montre que c’est même parfois tout l’inverse. La filiale russe de l’entreprise française était accusée de participer à l’effort de guerre du Kremlin en livrant des colis alimentaires aux soldats envoyés envahir l’Ukraine. Elle s’était défendue en affirmant participer à plusieurs programmes d’aide alimentaire russes, et que ce n’est que pour cela que ses produits ont fini dans les « colis de la bonté » envoyés aux soldats russes
Des initiatives à grande…
Heureusement, de nombreuses entreprises restent pleinement investies au chevet du peuple ukrainien. Tent Partnership for Refugees – un réseau mondial de plus de 300 entreprises engagées pour l’intégration économique des réfugiés – annonçait fin février la tenue d’un sommet le 19 juin prochain visant à accélérer l’intégration économique des femmes réfugiées ukrainiennes en France et en Europe.
Cette annonce intervenait alors que huit millions de réfugiés, en grande majorité des femmes, ont déjà fui leur pays pour se réfugier en Europe, dont environ 120 000 en France. De grands dirigeants, à l’image de Jacob Aarup-Andersen, CEO d’ISS, Dominika Bettman, Directrice Générale de Microsoft Pologne, Ramon Laguarta, Président-Directeur Général de PepsiCo, ou Paul Polman, ancien CEO d’Unilever, ont annoncé se joindre à Hamdi Ulukaya, CEO de Chobani et fondateur de Tent, pour co-organiser cet évènement.
… et moyenne échelle qui comptent
D’autres chefs d’entreprises, même moins importantes, n’ont pas attendu qu’on les presse pour se montrer solidaires, comme par exemple Vadim Rogovskiy, cofondateur et PDG de 3DLOOK. Cet Ukrainien basé à New York a relocalisé, non sans difficultés, environ 70 membres de son équipe qui étaient basés en Ukraine au moment de l’invasion : « Tout le monde est maintenant sain et sauf, mais nous avons tous subi des pertes. Notre initiative la plus importante a été, et de loin, la mise en place d’une série d’activités visant à atténuer les pressions mentales exercées sur notre équipe ». 3DLOOK s’est également associée à Gladpet, une association à but non lucratif qui décourage les gens d’acheter des animaux de compagnie et encourage au contraire l’adoption d’animaux sans abri dans les refuges. « Il y a tellement d’animaux qui cherchent un foyer aimant en Ukraine, surtout depuis que beaucoup ont dû fuir et laisser leurs compagnons derrière eux », a-t-il ajouté. « Toutes ces initiatives nous permettent également de donner un plus grand sens à notre communauté ».
À l’instar de son homologue californien, Let’s Enhance, une société ukraino-américaine de retouche photographique, mais dont la moitié de la main-d’œuvre est composée d’Ukrainiens, a contribué aux frais de réinstallation, d’hébergement et d’assurance des employés et de leurs proches : « Nous soutenons et préservons les emplois des employés qui ont décidé de défendre leur patrie », a commenté Sofiia Shvets, ressortissante ukrainienne et cofondatrice de l’entreprise basée à San Francisco. Tout comme Vadim Rogovskiy, elle propose également « des séances de soutien psychologique, des appels constants avec les recruteurs et des réunions en ligne visant à soutenir la santé mentale ».
Une attention toute relative
Selon les dernières données de Leave Russia, un site internet co-géré par KSE Institute et une équipe de techniciens volontaires Ukrainiens, si de nombreuses entreprises ont déjà suspendu leurs relations avec la Russie, plus de 1 230 groupes internationaux continuent de faire du commerce avec Vladimir Poutine et donc de financer, même indirectement, l’effort de guerre. Comme l’expliquait un journaliste de Bloomberg dans un article daté du 12 février dernier, nombre de géants occidentaux de la consommation, tels qu’Auchan, L’Oréal, Carlsberg, Philip Morris International, Danone ou Procter & Gamble, honorent toujours leurs contrats en Russie.
Pour Mark McNamee, directeur Europe de l’entreprise de recherche et d’analyse FrontierView, le risque encouru pour la réputation internationale des entreprises s’est même effacé, en quelques mois seulement : « Chaque trimestre, nous voyons de nouvelles entreprises sombrer dans le réalisme et dire “laisse tomber, on y va”», explique-t-il. Pas de quoi nous rassurer pour la suite. Dans une récente analyse qui servira de conclusion à ce sujet, Bernd Vogel, professeur de leadership à la Henley Business School, avance que « le fait d’être confronté à un évènement majeur, qui menace notre survie, nous galvanise. Cela nous pousse à nous investir notre énergie pour une cause qui nous dépasse. Le dilemme pour Zelensky, cependant, est que cette la gravité de cette menace perçue pourrait s’estomper » sur la scène internationale. « En Ukraine, l’expérience dévastatrice de la guerre est toujours une réalité, mais au Royaume-Uni et aux États-Unis, notre attention est fugace et l’intérêt pourrait facilement disparaître ». Aux citoyens, et surtout aux médias, d’adopter le rôle de compas moral pour forcer le cours des évènements.
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