INfluencia: quelle est l’histoire de STIM ?
Colette Ménard: STIM est un spin-off des Mines de Paris : deux des co-fondateurs sont issus de cette école et l’objectif est notamment de diffuser les travaux de recherche des Mines dans l’industrie. Nous sommes aujourd’hui 25 chercheurs, docteurs, entrepreneurs et ingénieurs.
La création du collectif en 2014 est le fruit d’un constat : face aux enjeux de transition environnementale, la plupart des secteurs doivent se réinventer en profondeur et repenser aussi bien les modèles économiques que les procédés industriels. Or, les dirigeants des grands groupes restent figés dans leurs modèles établis, ils ont perdu la capacité de se réinventer. Pour autant, on ne peut pas le leur reprocher : s’ils sont à cette place, c’est parce qu’ils sont très bons en optimisation, ce sont des gestionnaires très compétents pour opérer un modèle établi… mais ils ne sont pas nécessairement équipés pour le transformer.
Cette incapacité à se réinventer est devenue encore plus flagrante depuis 3 ou 4 ans, alors que les injonctions sociétales à se transformer en profondeur se font de plus en plus fortes. À la différence des entrepreneurs, les dirigeants des grands groupes ont perdu la capacité à imaginer des futurs désirables pour leurs entreprises. Aujourd’hui, on ne peut plus se contenter de mettre en place une raison d’être du type “faire la même chose qu’aujourd’hui en plus vert et plus responsable”… Nous aidons donc les dirigeants à réfléchir à leur vision, et derrière aux moyens de l’incarner, par des investissements, le lancement de nouvelles offres ou des projets R&D.
Le constat du fait que les entreprises ont perdu leur capacité à se réinventer est issu d’un travail de recherche du CGS – le Centre de Gestion Scientifique – un laboratoire de l’école des Mines de Paris, qui a également développé la méthode C-K, sur laquelle nous nous appuyons pour imaginer des options alternatives très innovantes par rapport à des modèles existants.
IN. : en quoi consiste cette méthode “C-K” ?
C.M. : le “C” est pour “Concept” et le “K” pour “Knowledge”. Elle repose sur un premier grand principe : la prise en compte des effets de fixation. Il s’agit d’un biais cognitif, qui fait que lorsqu’un objet est défini depuis très longtemps, un design dominant s’impose. Il est le fruit de nombreuses optimisations et ses caractéristiques principales se trouvent figées, a priori pour le mieux à un instant donné. Les entreprises qui conçoivent ces objets se retrouvent à jouer dans un terrain de jeu très réduit, avec des paramètres imposés. Dans l’absolu, ce n’est pas un problème, mais alors qu’on doit répondre à des enjeux environnementaux très forts, on se trouve bloqué par ces contraintes. On se contente d’améliorer l’existant, mais on ne réinvente pas.
Une voiture, par exemple, c’est 4 roues, un volant, un moteur à l’avant, etc. Mais depuis plusieurs années, on commence à voir des choses nouvelles émerger dans l’automobile et la mobilité en général, comme la Twizy de Renault ou l’Ami de Citroën, ou encore la navette Slide de la RATP, un concept de bus à la demande sur lequel nous avons travaillé, qui n’est pas vraiment un bus, mais pas non plus un taxi.
En commençant par identifier ces effets de fixation, on peut s’attaquer aux “vaches sacrées”, ces paramètres de conception tellement intégrés qu’ils ne vont plus jamais être remis en question. Nous, nous les challengeons pour ouvrir de nouveaux champs de conception et imaginer des procédés et des offres en rupture avec les modèles traditionnels.
IN. : quelques exemples de réinventions radicales ?
C.M. : nous travaillons actuellement avec un verrier. Le verre est très énergivore dans sa fabrication, et depuis des années, il y a un enjeu d’allégement des bouteilles : les ingénieurs étaient donc un peu dubitatifs à notre arrivée. Pourtant, avec la méthodologie C-K, nous sommes parvenus à concevoir un packaging avec 50% de verre en moins. Mais par contre, ça ne ressemble plus vraiment à une bouteille. On l’a tellement redéfini que ce n’est plus le même objet.
Nous collaborons aussi avec un acteur du secteur de l’énergie sur les enjeux de sobriété énergétique, autour d‘un enjeu sur lequel tout le marché a déjà beaucoup travaillé : inciter les particuliers à consommer moins. Nous avons proposé de changer les modèles de pricing et de vente de l’énergie, pour intégrer des incitations à la sobriété. Évidemment, il y a de nombreux enjeux réglementaires derrière, mais c’est une première étape.
IN. : y a-t-il des secteurs ou des acteurs avec lesquels vous vous interdisez de travailler ?
C.M. : c’est un sujet très actuel, mais la question s’est posée dès les débuts du collectif, au-delà des enjeux environnementaux, notamment avec le secteur de l’armement. Notre position est de refuser de travailler de manière directe sur des armes ou des objets qui ont vocation à tuer.
De la même manière, nous refusons de travailler à l’échelle de tout projet qui aurait pour vocation d’améliorer les procédés visant à l’extraction des énergies fossiles. En revanche, si une entreprise opère dans cet univers-là et a un projet autour des énergies renouvelables, aujourd’hui, notre positionnement est d’amener ce type d’acteur à faire mieux et à aller plus loin sur ce terrain-là.
Ceci étant dit, nous restons très attentifs à un point essentiel : le risque de greenwashing. On s’assure qu’il s’agit bien d’une ambition de l’entreprise d’aller dans ce sens, et non un moyen de nous utiliser pour être sa caution verte.