3 octobre 2024

Temps de lecture : 6 min

Les créateurs de contenu vont-ils faire basculer l’élection présidentielle américaine ?

Cette semaine, dans « Sous INfluence », nous explorons les liens — toujours plus chaleureux — qu'entretient le personnel politique avec les créateurs de contenu. L'occasion d'aborder la bataille électorale qui se joue actuellement entre Donald Trump et Kamala Harris comme un révélateur de la pratique politicienne en 2024.

Au cas où vous en doutiez encore, la sphère politique a toujours deux trois trucs à retenir du monde corporate… Pour tout annonceur, de France ou de Navarre, le marketing d’influence est aujourd’hui un levier incontournable pour rester audible auprès des consommateurs, comme on ne cesse de vous le prouver ici et dans nos colonnes. Selon une enquête menée en janvier 2023 par Odexa pour la Fevad, 51% des français se déclarent déjà séduit par le marketing d’influence, soit +10 points en 4 ans pour l’ensemble de la population. Une confiance grandissante qui a même incité les annonceurs à augmenter de 20% leurs budgets dédiés cette année, selon un rapport de l’agence Kolsquare publié fin 2023.

D’un autre côté, si l’histoire politique de la fin du XXème siècle… ainsi qu’un certain sketch des Inconnus… nous ont bien appris une chose c’est qu’en terme marketing, faire grandir la notoriété d’une marque ou d’un produit et celle d’un politique sont deux disciplines quasiment similaires, surtout en pleine séquence électorale. En d’autres termes, les recettes qui ont fait le bonheur de l’un sont souvent applicables par le second… et rien de mieux que la campagne présidentielle américaine actuelle pour s’en rappeler.

Deux visions de l’« influence »

Depuis la précédente élection de 2021 qui avait vu Joe Biden l’emporter face à Donald Trump, le marché du marketing d’influence aux États-Unis a triplé de volume, selon les chiffres donnés par l’agence Charle, et joue aujourd’hui un rôle central sur l’échiquier politique. Donald Trump en ayant commencé sa campagne avant Kamala Harris, qui a dû attendre le retrait de Joe Biden pour rentrer dans l’arène, fut le premier à s’en accomoder.

Début août, le candidat républicain avait invité Adin Ross, un créateur de contenu affilié à la fachosphère et à la manosphère, à s’adonner à une conversation de 90 minutes chez lui, en Floride, sur la plateforme de streaming Kick. Avant cela, il avait répondu présent à une émission du podcast « Impaulsive » animé par Logan Paul, un youtubeur et lutteur professionnel tout aussi controversé. Une double occasion pour Donald Trump, bien conscient de la démographie des auditeurs de ces deux programmes, d’exhorter les jeunes à voter pour lui plutôt que pour Joe Biden.

Les démocrates ne sont pas en reste. Comme l’expliquait CNN dans un article publié cet été : « Depuis des années en tant que vice-présidente, Kamala Harris prépare discrètement le « terrain numérique » à cette élection, en allant notamment à la rencontre des jeunes électeurs et des influenceurs ». Par un savant usage de tous les canaux à leur disposition – TikTok, Instagram, X et Facebook –, les démocrates ont réussi à briser le plafond de verre pour une candidate que l’on annonçait pourtant comme la perdante assurée de cette élection remaniée.

@kamalahq

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♬ original sound – Van Buren

Selon Parker Butler, qui fait partie du petit groupe au commande du compte TikTok de la candidate – dont tous les membres sont âgés de 25 ans ou moins –, dans l’article de CNN cité précédemment : « Chaque compte de la campagne sur les médias sociaux a son propre ADN, avec un contenu et un format adaptés à ses utilisateurs. Le compte X de la campagne, par exemple, est destiné aux accros de la politique, Instagram est très millenials, Facebook s’adresse aux électeurs plus âgées et TikTok priorise à un public jeune ».

Lauren Kapp, 25 ans et qui travaille à ses côtés, précise que l’accent est mis sur un contenu « aussi spécifique que possible à la tendance et aux codes de chaque plateforme. Cela passe par de petites choses, comme parler le langage de la génération Z, et s’assurer que nous ne forcerons jamais une trend pour le plaisir de le faire ».

Qui servent deux stratégies électorales différentes

Si l’objectif est le même, à savoir rencontrer les – jeunes – électeurs là où ils se trouvent, ce sont bien deux visions de l’« outil Influence » à visée électorale qui s’oppose. Alors que Donald Trump priorise les échanges face caméra avec des streameurs identifiés, Kamala Harris se satisfait davantage de la remédiation de ses contenus par les utilisateurs/électeurs eux-mêmes, à l’image des flopées de memes qu’inspirent certaines de ses déclarations. Selon Audran Demierre, consultant en communication numérique chez Havas Paris et ancien conseiller pour le cabinet d’Olivier Véran, avec qui nous avons eu le plaisir de discuter à ce sujet, il est clair que « Donald Trump a la volonté d’aller directement au contact des créateurs… quitte à contribuer directement à la blague en s’exprimant sur des sujets clivants, là où Kamala Harris, a fait le choix de prendre plus de distance et de laisser la conversation se créer organiquement autour d’elle ».

@adeadredhead i think i just fell out of a coconut tree #kamalaharris #meme #taylorswift ♬ Shake It Off Kamala Harris – adeadredhead

Pour celui qui a occupé le poste de conseiller en communication numérique au cabinet d’Olivier Véran, ministre chargé du Renouveau démocratique et porte-parole du Gouvernement, cette stratégie de Kamala Haris s’explique notamment par son besoin de « se présidentialiser et donc à ne pas tomber dans l’ironie des réseaux sociaux de son plein gré. On a vu en France que lorsque certains ministres, tels que Jean-Baptiste Djebbari (ancien Ministre délégué chargé des transports), se mettaient à publier leurs propres TikTok en reprenant les tendances du moment, ils se retrouvaient décrédibilisés sur le fond d’un point de vue politique. Il y a peut-être aussi le souhait chez la candidate démocrate, de ne pas frustrer les électeurs plus âgés… ».

Avant de conclure : « en tout cas, quand on compare les deux manières de communiquer, c’est un peu le monde des mâles alpha versus le brat summer (en référence au soutien que lui a apporté la (l’hyper)pop star Charli XCX, auteure de l’album « brat » dévoilé cet été, NDLR). On a d’un côté les hommes aux idées conservatrices, masculinistes et anti-woke que Donald Trump essaie de capter en mouillant directement la chemise et de l’autre un écosystème progressiste et non genré auquel Kamala Harris, qui se veut dans le même ton que Barack Obama… c’est-à-dire cool, s’adresse en appuyant sur le côté pop culture et en jouant sur l’ironie ».

Bouger comme son électorat

Bien sûr, d’autres politiciens outre Atlantique ont déjà « fricoté » avec le monde des créateurs de contenu, à l’image d’Alexandria Ocasio-Cortez qui était apparu dans une vidéo de la streameuse Pokimane pendant les midterms de 2022. Là où ces élections diffèrent c’est qu’en parallèle de leur présence sur ces nouveaux médias, les deux candidats délaissent en grande partie les canaux traditionnels et les médias mainstream. Rien de plus logique, selon Malcolm Biiga, consultant senior chez Havas Paris et ancien assistant parlementaire à la Chambre des représentants, qui a pris le temps de nous répondre : « cela s’explique par l’âge actuel des électeurs et la manière dont ils consomment l’information. Les politiciens ont compris que les électeurs ne s’informent plus en achetant Le Monde mais plutôt en consultant les réseaux sociaux et les plateformes de streaming, telles que Twitch ».

Pour celui qui fut également assistant parlementaire au Congrès et membre de l’équipe juridique de la campagne d’Hillary Clinton en 2016 : « les politiciens bougent vers ces plateformes pour justement capter ces électeurs qui ne vont pas attendre le 20h00 de TF1 pour savoir pour qui voter. On a vu plusieurs exemples de ce shift au cours de cette élection, comme par exemple la diffusion sur Disney+ et Hulu du premier débat entre Kamala Harris et Donald Trump. C’est comme si on avait un débat de l’entre-deux-tours sur Netflix en France. Un autre cas très parlant est celui de la convention démocrate qui s’est tenue en août. Pour la toute première fois, le parti a décidé de l’ouvrir à des créateurs de contenu qui ont eu la même accréditation presse que les journalistes politiques typiques du  New York Times ou du Washington Post ».

Audran Demierre nuance en rappelant qu’il « n’y a pas non plus un rejet total des canaux traditionnels. Il y a toujours des grandes interviews sur CNN, il y a toujours le débat entre les différents candidats, mais par contre, le relais sur Internet va venir amplifier, détourner la petite blague ou la punchline qui fait bien ».

À quelques détails près

C’est justement cette faculté des nouveaux médias à laisser le soin à leurs utilisateurs de radicaliser un propos pour le rendre très court et impactant qui incite le personnel politique à communiquer différemment. Toujours selon Audran Demierre, dans ce contexte : « le personnel politique s’emploie à présenter un lifestyle plutôt que ses idées politiques ». Avant de caricaturer le discours de l’un et de l’autre : « Pour Donald Trump, cela revient à demander à son électorat : « est-ce que vous voulez vraiment des woke et de ceux qui ont fait augmenter le coût de la vie ? Pour Kamala Harris, la question à poser au sien sera : est-ce que vous voulez quelqu’un qui a été condamné par la justice et qui veut renier sur vos droits à la tête de l’État ? ».

Qu’il s’agisse de développer de grands concepts idéologiques ou de traîner son adversaire dans la boue, le nerf de la guerre pour un.e candidat.e qui s’exprime sur les plateformes sociales est de convaincre les jeunes électeurs. Un constat d’autant plus vrai pour Donald Trump quand on sait que la jeunesse vote majoritairement démocrate. « Nous avons vu que la dernière élection s’est jouée à une poignée de voix dans un certain nombre d’États », précisait Katherine Haenschen, professeur adjoint de sciences politiques et de communication à la Northeastern University, dans un article du Northeastern Global News. Avant de conclure : « Si [les jeunes] ne votent pas à 70 ou 75 % pour Harris, mais à 65 %, cela peut faire la différence ».

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