Andy Warhol introduit une nouveauté sans précédent dans la peinture. Avant lui, l’artiste peint un modèle vivant venu poser dans son atelier, un bouquet de fleurs qui trône sur une table, un paysage à partir de croquis qu’il en a fait à l’extérieur. Le peintre représente sur son tableau ce qu’il voit de ses yeux vus. Cette approche de la peinture sera baptisée « figurative » et consistera à représenter ce que l’artiste voit (1). Tout change avec Andy Warhol, l’inventeur du Pop-Art.
Ne plus peindre le réel, comme le faisaient les peintres figuratifs. Mais peindre les images du réel, que la société moderne produit.
Andy Warhol grandit dans un monde rempli d’images que diffusent les journaux, le cinéma et la télévision. Contrairement à ses prédécesseurs il voit autant, si ce n’est plus, de visages, de fleurs ou de paysages photographiés qu’il n’y en a réellement sous ses yeux. Pour la première fois et grâce à l’invention de la photographie, l’homme moderne se voit proposer deux versions du réel. Une première que lui offre ses yeux et que l’on appelle la réalité. Une seconde, rendue visible par intermédiaire de la photographie, qui lui donne à voir les choses, sans qu’il ne les ait réellement sous les yeux. L’utilisation massive de la photographie, puis de la vidéo par les médias, la publicité et tout ce que la ville de New York, où habitera Andy Warhol, comprend de moderne, sature l’œil de l’homme (2). Andy Warhol prend alors une décision radicale. Ne plus peindre le réel, comme le faisaient les peintres figuratifs. Mais peindre les images du réel, que la société moderne produit. C’est ainsi qu’il peindra non pas des boîtes de soupe Campbell, mais des images de boîtes de soupe Campbell (préalablement photographiées), non plus Marylin Monroe ou Elvis Presley, mais des photos déjà prises des deux célébrités. Les sujets de sa peinture seront donc empruntés à la réalité telle qu’elle a été représentée en photos par les médias notamment : objets du quotidien (soupe à la tomate Campbell, boîtes de lessives Brillo, simple banane, billet de un dollars…), chaise électrique, portraits emblématiques de célébrités (Mike Jagger, Liz Taylor, Mao…). L’artiste ne peint plus le réel mais l’image que la société a fabriqué du réel (3). De cette démarche radicalement nouvelle, naîtra le Pop-Art, l’un des plus importants courants artistiques du XXème siècle. Un coup de maître dont l’industrie du luxe est peut-être en train de s’inspirer pour inventer un Pop-Art 3.0…
La crise sanitaire a littéralement précipité les stratégies digitales des marques de #luxe. Le #Metaverse est leur nouvel eldorado. Elles y ont déjà ouvert des boutiques virtuelles, ont participé à des Fashion Weeks virtuelles, se sont associées à de célèbres jeux en ligne, ont lancé des produits ou des collections virtuelles dédiées aux utilisateurs du Metaverse et même créé des égéries virtuelles comme la désormais célèbre #Lili de #LVMH (4). Comme chez Andy Warhol, on délaisse le réel en propre, lui préférant sa représentation. Une représentation tellement aboutie qu’elle est devenue un monde virtuel. Mais contrairement à Andy Warhol, les marques de luxe ne s’en servent pas comme d’une simple source d’inspiration, mais comme d’un formidable levier d’affaires. Les stratégies #marketing qui se dessinent et que l’on qualifie encore d’exploratoires ou d’expérimentales (5), poursuivent en réalité des objectifs pour le moins mercantiles. Les marquent de luxe espèrent profiter de plusieurs opportunités.
Tout d’abord, prolonger un effort de diversification stratégique qui a conduit la plupart des maisons de mode à proposer des produits ne relevant pas de leurs métiers d’origine, pour élargir leurs offres, toucher davantage de clients et surtout proposer des articles économiquement plus accessibles. C’est ainsi que des maisons de couture françaises comme Chanel, Cristian Dior ou Yves Saint Laurent sont parvenues à proposer des accessoires, des sacs, des parfums, des montres, des lunettes, de la beauté. Tandis que de l’autre côté des Alpes, des champions italiens du cuir comme Prada ou Gucci ont fait de même en intégrant par la même occasion le prêt-à-porter à leurs offres. La création de produits destinés aux Metaverse prolonge bel et bien cette stratégie poursuivie depuis des décennies en offrant une nouvelle génération de produits dédiés à de nouvelles façons de consommer
Ensuite, séduire une nouvelles clientèle plus jeune que le budget empêche d’accéder aux véritables produits de luxe bien réels comme des montres, des bottes, un it-bag ou un manteau. Faire consommer très tôt à ces nouvelles générations des produits de luxe est pour les marques le plus sûr moyens de les conserver dans leur escarcelle ensuite. Le pari est tout au moins lancé.
Enfin, vendre des produits avec des taux de marges exceptionnels. Le seul coût de la conception en 3D du produit virtuel est rapidement amorti tandis que son utilisation à l’infini ne nécessite plus l’achat des matériaux nécessaires à la production en volume des produits réels.
Pour finir, les temps et les mœurs changent et introduisent un acronyme : #LGBT. A l’heure où les individus s’octroient la liberté de changer de sexe ils doivent aussi refaire complètement leurs garde-robes ce qui se traduit par de nouvelles ventes. Et quel endroit, mieux que le Metaverse, pour se créer demain plusieurs versions de soi, plusieurs avatars, tantôt homme, tantôt femme, tantôt rajeuni, tantôt l’expression de ce que l’on voudrait être, tantôt un simple test en ligne d’une nouvelle version se soi… avant de se décider à franchir le pas dans le monde réel. Autant de sois, multipliés, qu’il faudra bien habillés de vêtements, certes virtuels mais payants.
Autrefois les couturiers travaillaient pour des femmes élégantes, désireuses de choisir leurs tissus pour des vêtements faits à leurs mesures. Puis le prêt-à-porter a démocratisé la mode et rempli les dressing modernes de garde-robes made in China. A présent sur la toile, les pixels ont remplacé les étoffes et les marques habillent des avatars. La marque de lessive Brillo exploitera-t-elle le filon pour proposer une lessive virtuelle, destinée à nettoyer les vêtements des avatars, artificiellement salis par des algorithmes, en vue d’engendrer toujours plus de consommation ?
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En savoir plus
Notes :
(1) Gombrich, E. H., Combe, J., Lauriol, C., & Collins, D. (2001). Histoire de l’art (6e éd.). Phaidon.
(2) Benjamin, W.. (2012). L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique : Version de 1939. Gallimard.
(3) Baudrillard, J. (1995). Le crime parfait. Galilée.
(4) Livi, ‘Face of Innovation’ LVMH, dévoile la liste des startups qui intègreront le Lab LVMH à Viva Technology et concourront au LVMH Innovation Award. (s. d.). LVMH.
(5) Yves Hanania, philippe gaillochet, & Isabelle Musnik, (2022). Le luxe contre-attaque : Accélérations et disruptions. Dunod.