Le débat opposant sport et écologie n’a rien de nouveau. En 1976, déjà, la candidature de la ville de Denver pour les JO d’hiver avait suscité la colère de ses habitants – qui avaient obtenu son retrait de la liste. Les organisateurs des Jeux ont eu beau placer l’environnement dans leur charte en 1996, aujourd’hui, pour l’olympisme comme pour toute grande compétition sportive, le débat de la soutenabilité écologique, et de son corollaire l’acceptabilité sociale, est inévitable. Derniers signaux en date, la frilosité des prétendants à l’accueil des futures compétitions olympiques. Suite à des consultations citoyennes négatives, Munich, Stockholm, Cracovie et Oslo ont renoncé à postuler pour les Jeux d’hiver 2022. Même son de cloche à Hambourg et Rome concernant les JO d’été 2024. Il faut dire que les scandales environnementaux – pour ne parler que de ceux-là – n’ont cessé d’émailler les grandes manifestations de ce type. En 2014, ceux d’hiver se font à Sotchi, une station balnéaire où poussent des palmiers. En 2019, les mondiaux d’athlétisme se déroulent à Doha, au cœur d’un stade climatisé à ciel ouvert où la température intérieure passe de 40°C à 15°C. Trois ans plus tard, au Qatar, ce n’est pas un mais huit stades qui seront climatisés pour la coupe du monde (CDM). Malgré tout, tout n’est pas à jeter dans les grands-messes sportives, bon gré mal gré, on tente de se recycler.
ISO 20121
Restons sur les JO qui, à partir de Londres 2012, jouent la carte de l’engagement et font de réels progrès. En collaboration avec le World Wide Fund for Nature (WWF), la capitale anglaise a mis en place la première évaluation de l’empreinte écologique de l’histoire des Jeux, avec un objectif zéro émission et zéro déchet. « Cette initiative marquera un précédent en matière de transparence, la plupart des villes hôtes qui suivront réaliseront également un bilan complet de leur impact, parfois dès l’étape de candidature », précise Lucas Faivre, ancien chargé de mission à l’association La fabrique écologique et auteur d’un décryptage sur le sport et l’écologie1. Une année décisive pour l’écologie et le sport donc, d’autant plus qu’en 2012, toujours, est apparue la norme internationale ISO 20121, une certification internationale de management responsable dont l’obtention renforce la candidature de la ville certifiée. « Concernant Londres, elle ne parviendra pas à l’objectif du zéro carbone qu’elle s’était fixé – qui, disons-le, était très ambitieux. Elle diminuera malgré tout d’un quart ses émissions de construction et, en matière de déchet, flirtera avec le zéro en en réutilisant la quasi-intégralité pour la construction d’infrastructures », relate Lucas Faivre, rappelant au passage que le bilan de la Coupe du monde est, lui, globalement plus décevant que celui des JO, exceptée quand « Berlin [en 2006] décida d’investir massivement dans les transports en commun et l’usage d’énergies renouvelables de ses villes hôtes, une dizaine au total, ce qui permit au pays de profiter des co-bénéfices de la Coupe ».
Côté fédérations internationales, la FIFA a créé en 2014 le Comité d’organisation local (COL), dont le système de calcul prend en compte les trajets en avion effectués par les spectateurs de la Coupe du monde du Brésil. « La méthode a vraisemblablement permis de compenser près de 120000 tonnes de CO2. Mais elle s’est révélée à terme insuffisante pour compenser l’ensemble des émissions liées au transport aérien ; la compensation par reforestation, méthode la plus commune, a largement montré ses limites en matière d’absorption du CO2. D’ailleurs, il est très simple de sous-estimer des émissions, ou d’arguer la neutralité carbone sans preuve véritable », rappelle l’ancien chargé de mission de La fabrique écologique. L’initiative de la FIFA reste intéressante sur au moins un point : elle adresse le principal problème des grands événements internationaux, l’avion. Selon Pierre Galio, chef du service consommation responsable de l’Ademe (l’Agence de la transition écologique), « 80% des émissions des grands-messes sportives sont issues du transport aérien ». Un chiffre accablant qui appelle à un constat de plus en plus prégnant : la nécessité de « démondialiser » les événements planétaires par une relocalisation des activités, mais aussi des pays d’où viennent les spectateurs. En attendant que ce débat dépasse les freins économiques et culturels qui en ralentissent la diffusion dans la société civile, d’autres leviers, plus acceptables, sont mobilisés.
Un pouvoir d’influence au point mort
Derrière la nécessité de réduire l’envergure des événements internationaux se cache un second impératif, celui d’utiliser le pouvoir d’influence du sport, ses capacités à catalyser de nouvelles dynamiques pour créer un élan écologique de la base au sommet. C’est ce que tente d’impulser Game Earth, un programme à l’usage des professionnels du sport pour calculer précisément leur bilan carbone et en reverser un montant compensatoire – entre 30€ et 100€ la tonne de CO2 – pour des opérations environnementales auprès d’associations, clubs amateurs, organismes de décarbonation. L’objectif à terme : transformer le droit à polluer en devoir à réparer la planète, et in fine préparer le sport durable de demain. L’initiative commence à bien cranter le monde du sport, preuve en est avec la Fédération française de football (FFF) qui a rejoint le programme fin 2022. Côté sensibilisation des (télé)spectateurs, le travail est là aussi colossal. « Rien que pour Tokyo 2020, trois milliards de personnes étaient derrière leur écran. Pour la Coupe du monde de 2018, en Russie, trois milliards et demi. Le potentiel d’un message écologique intelligemment véhiculé est d’envergure planétaire », projette Pierre Rondeau, économiste du sport.
Plusieurs exemples récents sont allés dans ce sens, notamment en France, où une vingtaine d’organisateurs se sont engagés, en 2017, à respecter plusieurs critères écoresponsables issus de la nouvelle Charte du ministère des Sports élaborée avec le WWF, impliquant le Tour de France, le Comité de candidature Paris 2024, la Ligue nationale de rugby ou encore le marathon de Paris. Pierre Rondeau esquisse : « Tous se sont engagés à ce que 80% des déplacements se fassent en transport collectif ou en covoiturage, que le volume total des déchets soit réduit de 25%, ou encore que l’intégralité des sites naturels soient respectés. » Le nombre de signataires a ainsi grossi d’année en année, comptant aujourd’hui une quarantaine de fédérations comme les fédérations françaises de football, de handball et d’athlétisme, mais aussi des clubs de foot comme l’Olympique de Marseille et l’Olympique Lyonnais, ou Roland-Garros et le Stade de France. « Aujourd’hui, environ 350 événements sportifs français, nationaux et internationaux ont signé la charte et se sont engagés dans la transition. Une évaluation annuelle via la publication d’un rapport est en outre prévue pour s’assurer du bon respect de la charte », précise Pierre Rondeau.
Une autre initiative encourageante selon l’économiste est celle de Paris 2024 et du WWF toujours, qui se sont engagés à des Jeux neutres en carbone, une électricité essentiellement renouvelable et un recours à des transports propres pour la famille olympique et les spectateurs via le système de billets couplés. Des mesures qui font dire à Tony Estanguet, coprésident de Paris 2024, que « l’empreinte carbone des Jeux sera réduite de 55% par rapport aux éditions précédentes ». Rendez-vous à l’été 2024 pour le moment de vérité.
Démondialiser
Sur les grandes compétitions sportives, comme pour les grands concerts et festivals, l’écologie ne peut se contenter d’une posture verticale. La culture est avant tout un levier de transformation des comportements, et le sport, une pratique populaire et planétaire qui permet de parler à tout le monde. « S’attaquer de façon trop brutale [aux comportements], c’est risquer un manque d’adhésion et une vision liberticide de l’écologie. C’est aux organisateurs d’avoir le courage de prendre des mesures audacieuses, avec à leurs côtés les institutions, les fédérations, les clubs, les ONG, les associations locales aussi. Pour définir une stratégie globale avec des objectifs mesurables », estime Lucas Faivre. Les quinze engagements écoresponsables des événements sportifs français, ainsi que le travail de Paris 2024 et du WWF en sont des exemples. Mais sans extension des dispositifs à l’ensemble des acteurs du sport international, avec de véritables outils de pilotage et de contrôle, le défi risque d’être difficile. « Les fédérations déplorent souvent un manque de moyens et de compétences pour amorcer une réelle transition écologique. Au-delà du financement et de leur volonté politique, un système de bonus financier récompensant les clubs les plus verts – en fonction d’un barème – pourrait être intéressant », précise l’ancien chargé de mission de La fabrique écologique.
Les sportifs ont également leur rôle à jouer en devenant des ambassadeurs de l’écologie, à l’image de ce que certains joueurs de foot ont pu faire contre le racisme. Ainsi, entre 2013 et 2016, l’UEFA avait-elle diffusé plusieurs clips baptisés « Say no to racism », le temps à quelques stars du football de prononcer ces mots. De telles campagnes de communication en faveur de l’environnement pourraient faciliter le message écologique. « Mais sans des mesures vraiment ambitieuses, notamment la baisse du recours à l’avion par une relocalisation des événements et une diminution de leur fréquence, difficile d’imaginer de grands-messes sportives réellement écologiques », ponctue Lucas Faivre.
Les organisateurs des JO et de la CDM pourraient-ils envisager de diviser par deux le rythme de leurs compétitions ? Difficile quand la grande majorité des revenus proviennent de la vente des droits télé, soit 3,4 milliards d’euros rien que pour le Qatar en 2022. Reste encore la piste de synchroniser les compétitions féminines et masculines, d’harmoniser les calendriers des différentes compétitions, voire d’organiser les JO sur un site olympique fixe, celui d’Athènes par exemple. Autant d’idées qui ne séduisent pas vraiment les organisateurs, devenus dépendants d’une économie construite sur la mondialisation et le néolibéralisme.
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