17 avril 2023

Temps de lecture : 4 min

« Le sentiment de colère au sein de la société française était plus fort qu’on le pensait », Adrien Broche (Viavoice)

Adrien Broche, est le responsable des études politiques et publiées de Viavoice  Cet expert du cabinet d’études, de conseil et de stratégies d’opinion a été surpris par le mouvement de contestation soulevé par l’allongement de l’âge de la retraite. Pour lui, le grand gagnant de cet te« séquence », comme il l’appelle lui-même, est Marine Le Pen et son Rassemblement national. Entretien…
INfluencia : aviez-vous vu venir le fort mouvement de contestation créé par la réforme des retraites ?

Adrien Broche : nous étions pas mal à dire avant le début des mouvements sociaux que la société française était dans un état d’apathie démocratique. Les taux d’abstention élevés lors des dernières élections laissaient penser que le mécontentement social n’allait pas se développer après l’annonce de l’allongement de l’âge de la retraite. Les Français étaient fatigués par la crise sanitaire et le climat socio-économique lié notamment à la hausse de l’inflation. Tout cela nous laissait à penser qu’ils ne descendraient pas en masse dans la rue et qu’ils resteraient dans une position attentiste. Ce postulat s’est avéré faux.

IN : pourquoi ?

A.B. : la colère au sein de la société française était plus forte qu’on le pensait. Le sentiment d’injustice et l’impression que le travail ne paie pas sont partagés par beaucoup. Devoir travailler deux années supplémentaires a donc résonné faux. Même si, à titre personnel, je dois reconnaître que j’ai été surpris par l’ampleur des mouvements sociaux, cette séquence n’est, en fin de compte, pas aussi surprenante que cela.

IN : ce mouvement va t-il se tasser ou, au contraire, se radicaliser ?

A.B. : Il est toujours difficile de faire des pronostics. Je pense que le mouvement organisé, encadré et canalisé que nous avons vu ces derniers mois va se tasser. On voit déjà des tensions apparaître au sein du front syndical. Cela peut toutefois favoriser des mouvements de violence spontané. Le gouvernement va, de son côté, tenter de renouer le dialogue avec les syndicats. Mais au-delà de cela, cette séquence a permis de révéler le difficile rapport au travail de la société française.

IN : ne l’avait-on déjà pas perçu lors de la crise des Gilets Jaunes ?

A.B. : L’enseignement des Gilets Jaunes était plutôt d’ordre politique. Les demandes des manifestants étaient surtout axées autour d’une meilleure participation démocratique. Là, c’est le rapport des Français au travail qui était au centre de la contestation. Ce sujet, qui touche toutes les générations et qui est revenu sur les devants de la scène durant la crise sanitaire, a pourtant été à peine débattu au Parlement. Cette question est amenée à perdurer car elle est dans la chair et dans le quotidien de tous les Français.

IN : quelles seront les conséquences politiques de la réforme des retraites ?

A.B. : Tout le monde parle de Le Pen. Il est évident que Marine Le Pen n’est jamais aussi habile que lorsque l’on ne l’entend pas. On l’avait déjà constaté lors de la dernière campagne présidentielle. C’est quand elle se sous-expose qu’elle est la plus dangereuse. Lors du débat sur les retraites, elle a choisi avec son parti de rester en retrait, de faire son travail en commission et de déposer des amendements qui allaient un peu dans tous les sens afin de tenter de satisfaire la France du travail qui vote pour elle et une frange plus libérale qu’elle cherche à attirer. Le Rassemblement national est devenu un étendard d’un modèle social souverainiste et nationalo-centré. Sa stratégie de retrait, de dédiabolisation et de respectabilisation a été habile. Le Rassemblement national sort gagnant de cette séquence.

IN : qu’en est-il des partis de gauche ?

A.B. : la gauche a tangué mais il ne faut pas non plus surévaluer ou sous-évaluer les tensions existantes. La NUPES reste une coalition électorale mais on sent que les tensions se développent parmi ses membres et qu’elles s’intensifient dès que les débats quittent la politique intérieure pour revenir sur des sujets plus régaliens de politique internationale. Les déclarations d’Emmanuel Macron sur Taiwan et la Chine l’ont, une nouvelle fois, prouvé. Certains politiciens au sein de la NUPES ont un rapport compliqué avec l’impérialisme… Le maintien de cette coalition reste donc compliqué alors qu’elle aurait dû sortir renforcée de la récente séquence sur les retraites. Ne pas profiter de si fortes tensions sociales et d’autant de gens dans les rues devrait interroger les dirigeants de la NUPES.

IN : quid de la droite traditionnelle ?

A.B. : le LR est, lui aussi, tiraillé par un dilemme idéologique mais ses enjeux sont le miroir de ceux du Rassemblement national. Soit il se concentre sur sa frange libérale pour tenter d’attirer des électeurs d’Emmanuel Macron, soit il cherche à séduire l’électorat plus populaire et rural qui vote traditionnellement pour Marine Le Pen.

IN : quel va être l’impact de cette crise pour le Président de la République ?

A.B. : Emmanuel Macron en sort évidemment affaibli. Une de nos récentes études montre que seulement un quart des Français ont une image positive du président. Ce taux a chuté de 7% durant la séquence des retraites. 40% des personnes que nous avons interrogé ressentent de la colère à son égard et 29% du dégout. Son image s’est beaucoup dégradée depuis 2017. Les gens le considèrent moins courageux et moins moderne. Emmanuel Macron voulait transformer la société française et il se contente de passer des réformes d’ajustement. Il nous promettait une politique d’horizontalité et fait passer ses réformes grâce au 49.3. 61% des Français le considèrent aujourd’hui autoritaire et 55% estiment que les libertés publiques ont reculé depuis son arrivée à la présidence. Son image s’est bien écornée ces derniers mois.

IN : peut-il inverser cette tendance ?

L.B. : la loi sur la fin de vie pourrait être une réforme marquante et un moment de réconciliation entre Emmanuel Macron et le camp progressiste de la société française.

IN : percevez-vous d’autres signaux-faibles au sein de la société française ?

L.B. : la question des consentements est devenue centrale. Nous avons pu le constater à divers niveaux : le consentement à l’effort sacrificiel pour la liberté des Ukrainiens ne va pas de soi, la responsabilité étant remise par une partie de l’opinion sur les gouvernements successifs français et leur impréparation; le consentement à la légitimité de la démocratie représentative lorsqu’une partie non-négligeable des Français comprennent les violences (qu’elles viennent des forces de l’ordre ou des manifestants) et ne se sentent plus représentés par leurs élus; le consentement à l’effort au travail lorsque le ratio gagnant-perdant (rémunération, temps de travail par rapport au temps personnel, conditions de travail…) est considéré comme négatif pour soi, et peut-être demain remise en cause du consentement à l’impôt quand l’efficacité des services publics est perçue comme largement déclinante alors même que les prélèvements obligatoires ne régressent pas… Tous ces enjeux engagent notre pacte social et il convient de les prendre au sérieux.

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