24 mai 2023

Temps de lecture : 5 min

« Le pays est susceptible de connaitre de nouvelles crises s’il ne change pas de trajectoire », Yves Del Frate (CSA)

Pour Yves Del Frate, le CEO de l’institut CSA, il faut distinguer l’état de la France - une France qui ne va pas si bien - et celui de nos compatriotes, plus optimistes qu’on ne le pense mais qui se déconnectent de la vie politique. Quant aux jeunes, plus préoccupés que leurs ainés, ils sont plus nombreux à penser la France en déclin. Mais ils pensent pouvoir infléchir le cours des choses.
IN. :  le pays est-il vraiment au bord de la crise de nerfs ?

Yves Del Frate : pour commencer je dirais qu’il serait judicieux de distinguer la France, des Français. Si 7 Français sur 10 sont pessimistes pour la société française et en particulier pour les déficits et la dette, « seulement » 3 sur 10 sont pessimistes pour leur vie… et gardez le pour vous, 79 % d’entre eux se considèrent même plus heureux que les gens qui vivent en France en général … un chiffre qui ne baisse qu’à 60 % chez les Français les plus précaires.

La France quant à elle, a un passé de « carte postale », un présent de « cartes de crédit » et un futur… de « cartes sur table ».  2 950 milliards d’euros de dette soit 111,6 % du PIB fin 2022, 5eme pays le plus endetté de l’Union Européenne, 6eme pays le plus déficitaire à 4,7% du PIB. Avec la charge d’intérêts supplémentaires, c’est encore moins de services pour un taux d’impôts, cotisations sociales et taxes de 45,3 % du produit intérieur brut, au sommet du classement en zone euro, en deuxième place dans l’Union Européenne derrière le Danemark. Le pays se situe donc potentiellement au bord de nouvelles crises s’il ne change pas de trajectoire.

      Les Français se déconnectent de la politic-toc

Les Français, eux, sont en majorité en train de passer à autre chose. Au-delà des 1 à 2 Millions d’abonnés plus ou moins réguliers aux manifestations, sur 30 Millions d’actifs en France, de crise en crise, ils avancent sans les politiques. L’abstention gagne à chaque élection, et quand on leur demande « selon vous, quels sont les acteurs les plus à même de changer la société aujourd’hui », ils répondent à 56 % l’entreprise contre seulement 36 % le gouvernement.

Les grandes entreprises arrivent même en premier malgré les profits et autres « patrons bashings » orchestrés par certains qui pour compter ont oublié de savoir compter.

Les Français qui eux doivent compter de plus en plus serré, ne comptent plus sur des politiques qui ne rendent pas de comptes.

Promesses non tenues, services publics perçus comme « soviétisés », records de prélèvements obligatoires, manque d’exemplarité, de responsabilité et de transparence… la perception est à la hauteur des déficits. Les Français se déconnectent de la politic-toc-com sans réforme et se branchent sur le monde plus responsable de l’entreprise.

En 2022, le nombre de créations d’entreprises en France atteint un nouveau record avec 1 071 900 créations.

Les Français attendent de l’entreprise, une manière concrète d’améliorer la société : 46 % en matière de protection de l’environnement, 43 % en ce qui concerne la production localisée en France, 33 % prient pour la protection de la santé des consommateurs, 26 % pour des prix accessibles à tous… un vrai programme pour une nouvelle politique, plus pragmatique.

IN. : dans vos sondages, les préoccupations des jeunes sont-elles complètement différentes de celles de leurs aînés ?

Y.D.F. : pas fondamentalement différentes. Ils vivent sur la même terre, dans la même société, mais pas dans le même espace-temps.

Le top 4 des préoccupations de la Gen Z est le même que celui des Boomers : pouvoir d’achat, santé, insécurité, mais l’environnement arrive en premier pour les jeunes en second pour les plus âgés. Les catastrophes climatiques de l’été 2022 (canicules, incendies, orages) ont imprimé… jusqu’aux réseaux sociaux.

Au second rang des préoccupations, les ainés sont plus dans le présent avec l’insécurité et la guerre en Ukraine alors que les plus jeunes se projettent dans l’avenir avec des nuages sur l’éducation et l’emploi. Plus préoccupés que leurs ainés,  ils sont plus nombreux à penser une France en déclin. Mais ils se révèlent volontaires, ils pensent pouvoir infléchir le cours des événements en changeant leurs habitudes; réduire leur consommation d’eau et d’électricité sont des actes plébiscités. Toujours en mode action, ils sont plus de la moitié, prêts à mettre la main à la poche pour sauver la planète contre un tiers seulement pour les boomers et plus. Pas mieux les vieux.

Toutefois, la jeunesse n’est ni toute verte ni toute rose. En effet on y décompte plus de climatosceptiques que dans les couches les plus âgées de la population… La faute aux réseaux sociaux ? Les plus jeunes sont plus nombreux que les plus âgés à se prononcer en faveur de l’autorisation du port d’armes à feu par les citoyens, la faute aux jeux vidéo ?

   Le chômage ne fait plus partie des principales préoccupations des Français… sauf chez les jeunes
IN. : quid du chômage ? Inquiète-t-il les Français ?

 

Y.D.F. : bien que la France soit toujours à un taux de chômage supérieur à la moyenne européenne et à la zone euro, le chômage ne fait plus partie des principales préoccupations des Français. Ils font même preuve d’un certain recul sur le sujet, Pour eux, la première raison du niveau de chômage en France ce n’est pas le manque d’offres d’emploi (cité en dernier) mais le système d’indemnisation du chômage qui n’encourage pas au retour à l’emploi, la seconde étant les charges qui pèsent sur les entreprises. Une perception qui ne conduit pas à l’inquiétude puisque ce sont des sujets qui peuvent être gérés, comme la formation si on veut bien s’inspirer de nos voisins européens.

Mais la peur du chômage est quand même en 4ème position chez les jeunes, citée à 18 % par la GenZ. Une perception qui rejoint la réalité : le taux de chômage a augmenté de 1,2 point en un an chez les moins de 25 ans, atteignant 17,4 % en janvier 2023, toujours au-dessus de la moyenne européenne et de celle de la zone euro à 14,4 %.

IN. : sentez-vous que le fossé entre Paris, les grandes capitales et le reste du pays s’élargit ? 

Y.D.F. : oui hélas, ce n’est pas nouveau, il n’y a pas qu’à la télé qu’il y a une France 2, une France 3, une France 5… Et à chaque niveau de déclassement correspond une intensité plus ou moins forte de vécu quotidien des conséquences de leurs préoccupations : pouvoir d’achat, environnement, santé, insécurité… Mais le constat est le même, capitale ou pas, leur argent se transforme en « désordre républicain » plutôt qu’en horizons nouveaux. Politic-toc encore.

IN. : le retour au local est-il toujours aussi prégnant ?

Y.D.F. : Oui bien sûr le local est plébiscité par les Français dans nos enquêtes, mais si 43 % réclament plus de production localisée en France, il est plus compliqué de recenser ceux qui déclarent vouloir des exploitations agricoles, des usines, des éoliennes, des centrales nucléaires et autres autoroutes dans leur jardin.

Si la société offline a livré toute l’étendue de ses nouveaux usages, la compréhension de la société online reste fragmentée

 

IN. : dans une société de plus en plus fragmentée, comment parvenez-vous à avoir l’image la plus fidèle qui soit alors que la moyenne est moins représentative qu’avant et qu’il est donc de plus en plus difficile d’avoir une image fiable. Vous compensez par du quali ? De l’éthno ?

 

Y.D.F. : nous avons commencé par augmenter la taille de notre panel avant de le fragmenter à l’image de la société, puis nous avons investi dans la recherche du comportement de la personne la plus mesurée, trackée, cookie-fiée, mais la moins comprise : l’individu digital. Cette part d’entre nous qui a passé en 2022 entre 2h18 et 5h34 par jour sur internet selon les sources. En effet si la société offline a livré toute l’étendue de ses nouveaux usages, la compréhension de la société on line reste fragmentée par l’accès à la data rendu complexe par les plateformes jalouses du secret de leur données agrégées, clés de leur monétisation donc de leur survie dans la jungle digitale. Notre sujet est de donner accès via la techno, à la compréhension de notre double numérique, réel ou pseudo, une nouvelle dimension dans l’intelligence des individus, plus réelle et moins artificielle.

Et pour répondre à 100 % à votre question, nous pratiquons les études qualitatives et l’ethno aussi souvent que nécessaire bien sûr, mais pas en tant que compensation. A chaque discipline ses enseignements. Cultivons tous nos jardins.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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