Le mythe Patagonia mis à mal par des accusations de trafic et d’exploitation d’êtres humains
Des objectifs de production irréalisables, des accusations de maltraitance concernant ses employés, des horaires insoutenables et c’est tout le mythe d’une entreprise blanche comme neige et symbole du retailer vertueux qui prend du plomb dans l’aile.
Cinquante ans tout juste après sa création, Patagonia s’est imposé – du moins en apparence – comme le symbole du retailer vertueux au sein d’une industrie qui l’est malheureusement beaucoup moins. La marque américaine – l’Argentine n’avait initialement rien à voir là-dedans – s’est toujours vanté d’être plus qu’un simple fabriquant de textile, notamment en affichant fièrement son affiliation à la Fair Labor Association, une ONG qui consiste à promouvoir le respect des lois internationales et nationales du travail – Yvon Chouinard, le fondateur de Patagonia en était le principal instigateur –. De son côté, le site web de l’entreprise sert autant d’outil éducatif sur la responsabilité environnementale et sociale – rempli d’informations sur la préservation des terres au Chili, l’étiquetage des produits à base d’OGM, l’approvisionnement responsable… – qu’une boutique en ligne. Une conception de ce que doit être une entreprise qui semble à des kilomètres de celle du célèbre économiste américain, et ardent défenseur du libéralisme, Milton Friedman, qui stipulait que : « la mission exclusive de l’entreprise est d’accroître les profits de ses actionnaires ». La RSE ? Très peu pour lui.
Non. Patagonia s’était destiné à devenir cette grande maison aimée et respectée pour ses valeurs et son engagement auprès de ses consommateurs. L’année dernière, la marque a même été classée dans le groupe de tête des entreprises les plus réputées sur la base de critères tels que la qualité de ses produits, la confiance que lui accordent les consommateurs, la citoyenneté et l’éthique. Une autre prise de position forte qui a suscité beaucoup d’admiration à la rentrée 2022 : Yvon Chouinard décidait de faire don de son entreprise, valorisée à trois milliards de dollars, à la planète… Le sapin qui cache la forêt ?
Le début des ennuis
En 2011 déjà, le mythe se fissurait. Une série d’audits internes avaient alors révélé de nombreux cas de trafic, d’exploitation et de maltraitance d’êtres humains sous-payés. Le rapport s’était focalisé, non pas sur les principaux fournisseurs de Patagonia – à savoir les usines qui assemblent ses produits –, qui avaient également été accusées de sévices similaires quatre ans auparavant, mais sur les factories qui transforment les matières premières pour produire les matériaux utilisés ensuite dans la fabrication des produits. Environ un quart de ces usines étaient basées à Taïwan et la majorité d’entre elles se retrouvaient dans le viseur de Cara Chacon, directrice de la RSE, et Thuy Nguyen, responsable de la supply chain, à l’origine de ces audits.
Bien sûr, il peut paraître choquant qu’une entreprise aussi publiquement engagée en faveur de process de travail éthique puisse commettre de telles violations dans sa chaîne de production, la nouvelle est moins surprenante si l’on tient compte du mode de fonctionnement de l’industrie toute entière, composée d’un réseau de supply chain tentaculaires qui s’étendent à travers le monde entier. Au risque de se faire l’avocat du diable, le résultat de ces audits serait donc moins l’expression d’une certaine hypocrisie de Patagonia que de la grande difficulté à vérifier la bonne tenue de chaque étape du processus de production et de distribution pour une marque de cette envergure. Doug Freeman, directeur des opération Patagonia, avait même déclaré que personne dans l’entreprise « ne pouvait imaginer cela au moment d’entamer l’audit. Très bien tout cela… mais aujourd’hui quelle excuse ?
Les polémiques s’enchainent…
Selon un rapport publié récemment par FTM – Follow The Money – un collectif journalistique d’investigation, a découvert que l’entreprise fabrique ses vêtements dans les mêmes usines que certaines enseignes de fast fashion. Kevin Fernando, le directeur de l’usine Regal Image, située au Sri Lanka, qui produit également des vêtements pour Primark et d’autres enseignes du même acabit, a même déclaré à un journaliste de FTM venu visiter la factory qu’il n’y avait « aucune différence entre le fait de travailler pour l’un ou pourl’autre ».
Patagonia a récemment autorisé Regal Image à devenir fournisseur officiel, rappelant au passage que la marque « ne travaille qu’avec des usines qui partagent ses idées et sa philosophie ». Patagonia collabore avec 61 usines au total, dont 12 sont situées dans des pays à bas salaires, notamment deux aux États-Unis, une au Portugal, et le reste dans des pays dits de « bas salaire », comme par exemple au Sri Lanka et au Vietnam. Toujours selon FTM, ses employés travaillent jusqu’à 17 heures par jour, bien au-delà de ce que le code de conduite de l’entreprise permet et de ce que la loi autorise, bien évidemment. La directrice du syndicat Stand Up Lanka, Ashila Niroshine Dandeniya, explique également que pour répondre à ses objectifs, une consommation croissante de drogue aurait été observée parmi les travailleurs « pour travailler plus vite » et « lutter contre la faim ».
… la coupe est pleine
Un autre enseignement terrible de cette enquête concerne des conditions de travail particulièrement difficiles pour les ouvrières qui se déclarent être les victimes d’un harcèlement moral et sexuel constant : « Ils nous parlent comme si nous étions des animaux », révélait ainsi Priya qui travaille dans une autre usine contractée par la marque. « Le directeur est un homme terrible qui touche tout le monde d’une façon étrange et si vous répliquez vous êtes accusée d’avoir un problème », ajoute-t-elle. Leur rémunération est également dans le viseur de FTM puisque selon les informations recueillies, seuls 40% de ses sous-traitants répondent aujourd’hui à l’objectif de Patagonia de verser d’ici 2025 un salaire de subsistance à toutes les personnes travaillant pour elle.
Les employés de Regal Image affirment ainsi que le salaire de base avoisine tout juste 65€ par mois, bien moins que le minimum décent pour vivre au Sri Lanka qui serait de 260€ dans le pays. Sur ce point bien précis, la marque explique qu’elle n’a malheureusement « aucune autorité sur le salaire des travailleurs du textile, car elle n’est en aucun cas leur employeur », raison pour laquelle elle verse déjà des primes « de commerce équitable » pour compenser les salaires en place. En réponse à l’article, Patagonia a déclaré auprès de FTM : « Nous travaillons avec nos fournisseurs et des experts du travail pour concevoir et tester des stratégies qui permettront à l’usine de payer davantage ses travailleurs ». Avant la prochaine polémique ? Pas sûr que son image de marque en sorte indemne.
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