4 juillet 2023

Temps de lecture : 7 min

Le marketing d’influence : un marché qui monte, qui monte… 

Le 1,7 milliard de dollars en 2016 à 21,1 six ans plus tard : le volume du marketing d’influence pourrait encore quadrupler d’ici à 2025. Ce boom impressionnant ne cache pas une autre réalité. Ce marché commence à trouver une certaine maturité, se professionnalise, se hiérarchise… après plusieurs années d’anarchie totale. Mieux vaut tard que jamais…   

Tout a commencé avec les bloggeurs début 2000. ces personnes qui étaient bonnes à l’écrit étaient pour la plupart des journalistes. À partir de 2010, des vidéastes sont apparus sur les réseaux…

T’es une marque et t’as pas d’influenceurs qui te soutiennent? Allô, non mais allô, quoi! Le marketing d’influence est en plein essor en France et dans le reste du monde. Ce secteur devrait générer cette année près de 21,1 milliards de dollars de revenus, contre à peine 16,4 milliards en 2022, selon Marketing Hub. Pour mémoire, il pesait toute juste 6,5 milliards de dollars en 2019 et… 1,7 milliard en 2016. Multiplier par 12,4 ses revenus en huit ans, qui dit mieux? 93% des marketeurs ont utilisé l’an dernier le marketing d’influence et tous ou presque se disent prêts à investir davantage d’argent sur ce canal. Et pour cause…  

Plus de 99% des Français âgés de plus de 15 ans possèdent un téléphone fixe ou mobile, selon l’Insee, et à peine 7% de nos concitoyens n’ont ni smartphone ni connexion Internet à domicile. Les réseaux sociaux permettent aujourd’hui de toucher pratiquement toutes les couches de la population, quels que soient leur âge, leur milieu social ou leur lieu de résidence. Facebook a plus de 2,9 milliards d’utilisateurs actifs, devant YouTube (2,6 milliards), WhatsApp (2 milliards), Instagram (1,2 milliard), Weixin/WeChat (1,2 milliard) et TikTok, qui a franchi le cap du milliard en 2022. Le marché du marketing d’influence, pourtant très jeune, a évolué à une vitesse incroyable. 

Une révolution culturelle

«Tout a commencé avec l’émergence des bloggeurs au début des années 2000, se rappelle Édouard Fillias, le fondateur et CEO de Jin, une agence spécialisée dans l’influence digitale qui est présente à Paris, Lyon, Londres, Berlin et New York. Ces personnes qui étaient bonnes à l’écrit étaient pour la plupart d’entre elles des journalistes. À partir de 2010, des vidéastes comme Squeezie sont apparus sur les réseaux. Depuis 2015, on assiste à l’explosion de nouveaux talents en ligne. Avec l’effondrement des coûts d’accès à la vidéo lié à l’arrivée des smartphones, tout le monde s’est mis à poster des contenus sur le Web. C’est une incroyable révolution culturelle.» Cette croissance exponentielle s’est faite en dehors de tout contrôle et certains margoulins n’ont pas été longs à en profiter. Les premières marques qui ont cherché à se rapprocher d’influenceurs pour promouvoir leurs produits et leurs services sur les réseaux sociaux n’avaient en effet au départ comme seule et unique option que se baser sur la taille de leurs communautés. Aucun autre KPI plus précis n’était disponible à l’époque. Les tricheurs en ont vite profité quand ils ont découvert qu’ils pouvaient séduire des abonnés en mettant la main à la poche.  

 

«Un follower, cela s’achète, tout simplement, nous explique Nick Baklanov, un spécialiste en marketing qui travaille pour la plateforme de mesure d’audience HypeAuditor. Il existe sur Internet des centaines de sociétés qui vous permettent d’acheter des abonnés, des likes ou des commentaires. Les trouver est un jeu d’enfant puisque Google diffuse leurs publicités sur son moteur de recherche. Le nom officiel de ces prestataires de service est « social media marketing panel », ou SMM pour faire plus court, et leurs tarifs sont très bas. Vous pouvez vous offrir 1 000 followers pour… 12 cents ; 1 000 abonnés basés dans un pays en particulier vous coûteront 2 dollars ; pour 1 000 likes, vous devrez débourser 10 cents. Le prix monte à 32 cents pour 1 000 commentaires certifiés. Tous ces comptes et ces opérations sont générés automatiquement par des robots. On estime ainsi qu’un influenceur sur Instagram a en moyenne entre 20 % et 24 % d’abonnés suspicieux dans sa communauté. »  

Plusieurs scandales ont également échaudé les observateurs. La plainte contre X que le rappeur Booba a déposée en 2022 devant le parquet de Grasse, dans les Alpes-Maritimes, qui visait sans la nommer Magali Berdah et son agence d’influenceurs Shauna Events, a été un pavé dans la mare. Les témoignages de consommateurs qui affirmaient n’avoir pas été remboursés des produits qu’ils n’avaient pas reçus, ou que les articles envoyés n’étaient pas ceux qu’ils avaient commandés, ont mis à jour les excès de ce marché. Les deux autres plaintes déposées par le collectif d’Aide aux victimes d’influenceurs (AVI) pour escroquerie en bande organisée contre X, et contre l’influenceur Marc Blata et son épouse Nadé, accusés d’arnaques basées sur des cryptomonnaies, ont continué d’attiser le débat. Face à ces affaires, les députés et sénateurs ont récemment voté à l’unanimité une nouvelle loi visant à réguler le secteur des influenceurs. Les protagonistes n’ont toutefois pas attendu ce texte pour commencer à nettoyer leurs écuries d’Augias. «Ce marché s’est beaucoup professionnalisé, assure Sandrine Cormary, la présidente du Syndicat du conseil en relations publics (SCRP). On estime que 15 % des 150 000 créateurs en France tirent la majorité de leurs revenus de leurs activités sur les réseaux sociaux. »  

un ROI… onze fois supérieur à celui d’une opération de marketing classique.

L’intérêt des annonceurs pour le marketing d’influence s’explique : les contenus publiés par des leaders d’opinion génèrent en effet huit fois plus d’engagement en moyenne que des vidéos ou des articles mis en ligne par les marques elles-mêmes, selon Mediakix. Le retour sur investissement d’une campagne d’influence atteindrait ainsi entre 5 et 6,50 dollars pour chaque dollar dépensé, soit un ROI… onze fois supérieur à celui d’une opération de marketing classique. Si le taux d’engagement reste aujourd’hui encore le meilleur KPI (80%) pour évaluer l’efficacité d’une campagne devant le nombre d’abonnés (65%), les annonceurs sont de plus en plus précautionneux lorsqu’ils choisissent d’adosser leur nom à celui d’une vedette du Web. «Les marques sont beaucoup plus regardantes que dans le passé concernant la visibilité et l’engagement de leurs campagnes, note Olivier Billon, le président et fondateur de l’agence de marketing d’influenceYkone. Les vidéos sont et resteront les contenus les plus utilisés, mais les clients cherchent aujourd’hui davantage de transparence et d’authenticité de la part des influenceurs.» Choisir un créateur de contenu plutôt qu’un autre dépend également de la cible visée. Un influenceur avec plusieurs millions de followers sert d’égérie mondiale, une personne avec beaucoup d’abonnés dans un pays particulier peut aider une marque à progresser sur ce marché, alors que les nano- et les micro-influenceurs créent surtout des bruits de fond positifs, susceptibles de déclencher des vagues d’adhésions par le bas, de client à client. Mais professionnalisation rime souvent avec intermédiation… 

 La fin de l’amateurisme

De plus en plus de créateurs de contenu sont aujourd’hui représentés par des agents indépendants ou des cabinets plus structurés. «Le nombre d’agences spécialisées dans le marketing d’influence a explosé, confirme Nicolas Gondeau, le président du cabinet de conseil en marketing management The Observatory International France. On est passé de 190 à 1 600 agences entre 2015 et 2021. En France, 300 des 1 500 agences de communication plus traditionnelles feraient également du marketing d’influence, même s’il est difficile d’avoir un chiffre précis, car presque tous les cabinets disent en faire alors que c’est loin d’être le cas. Nous sommes, depuis peu, entrés dans l’ère de l’ultra-spécialisation. Les agences se concentrent sur un point de contact en particulier étant donné qu’aujourd’hui, chaque réseau social a ses propres codes et ses typologies de contenu. On ne peut pas être généraliste sur les réseaux sociaux.» Reste que si ces réseaux gardent leurs spécificités, Instagram serait, selon une étude américaine, le meilleur biais pour créer des campagnes d’influence (76,7%) devant Facebook (58%), TikTok (50%), YouTube (44,2%) et Twitter (25,5%). Les plateformes elles-mêmes investissent beaucoup pour aider les influenceurs à gagner en qualité. YouTube a notamment placé 100 millions de dollars dans son fonds, baptisé YouTube Shorts, afin de soutenir les créateurs qui ont diffusé les vidéos les plus regardées et les plus engageantes sur son site. 

le paysage médiatique va beaucoup évoluer dans les années à venir. Les influenceurs seront-ils bientôt en droit de demander leur carte de presse? 

Le boom du marketing d’influence a engendré une inflation des tarifs demandés par les youtubeurs, instagrameurs et autres tiktokeurs. Dans ce domaine, la règle en vigueur est encore celle du «motus et bouche cousue». Les agences ayant pignon sur rue (Point d’Orgue, Follow) affirment prendre une commission de 30% sur les contrats que les marques signent avec les influenceurs qu’elles représentent. «Mes clients me disent toutefois souvent qu’ils ne savent pas où va l’argent qu’ils dépensent dans leurs campagnes de marketing d’influence, révèle Sandrine Cormary, qui occupe aussi le poste de directrice générale d’Omnicom Public Relations Group France. Certaines marques paient 50000 euros et l’influenceur ne touche que le cinquième de cette somme.» Une certaine autorégulation néanmoins se fait jour. «Les prix commencent à se normaliser, juge le fondateur d’Ykone. En dehors de certains profils comme les chanteurs et les acteurs qui demandent encore des sommes sans rapport avec la réalité, la plupart des influenceurs savent analyser leurs data et cela leur permet de mieux connaître leur valeur. Encore récemment, les marques payaient entre le tiers et le quart des sommes demandées par les créateurs, car leurs exigences étaient tout simplement chimériques, mais aujourd’hui, les prix doivent être plutôt réduits de 20 % à 25 % afin d’aboutir à un accord. » 2023 marquerait ainsi, selon Kolsquare, la «fin de l’amateurisme» de ce secteur. 

Conclusion, une chose est certaine : le marketing d’influence est promis à un bel avenir. «Il devrait quadrupler de taille d’ici à 2025, prédit le fondateur de Jin. Ce secteur va progresser au détriment du SEA (Search Engine Advertising, système de placement publicitaire sur les moteurs de recherche) et des publicités sur les réseaux sociaux, et en particulier sur Facebook. La pub télé va aussi reculer. Le paysage médiatique va beaucoup évoluer dans les années à venir. Le succès aux États-Unis de The Daily Wire, qui a été lancé par un influenceur proche du parti républicain et qui est une plateforme payante sur laquelle les créateurs de contenu remplacent les journalistes, en appelle d’autres. On peut très bien imaginer voir à l’avenir des médias créés par des créateurs de contenu spécialisés dans la politique, la beauté ou le travel. Cette évolution est inéluctable.» Les influenceurs seront-ils bientôt en droit de demander leur carte de presse? Allô, non mais allô, quoi… 

 

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