Le luxe à la française sacrifie-t-il sa morale sur l’autel du profit ?
Les grandes marques du luxe à la française se portent à merveille. Pas même la guerre en Ukraine ou l’inflation galopante ne semblent en mesure de leurs mettre des bâtons dans les roues. Suffisant pour leur permettre d’assumer pleinement leur rôle de transformation sociétale ?
À la fin du mois d’avril, LVMH, à savoir le fleuron du luxe à la française, devenait la première et seule capitalisation boursière européenne à figurer dans le top 10 des plus grandes sociétés côtés dans le monde. En dépassant les 500 milliards d’euros, le groupe manœuvré par Bernard Arnault signait même un nouveau record sur le vieux continent qui lui permettait de dépasser l’émetteur de cartes bancaires Visa et de se rapprocher encore un peu plus de Tesla, valorisée à 505 milliards de dollars, et de Meta, à 550 milliards de dollars.
Il reste – pour le moment – à bonne distance des géants de la tech Apple, Microsoft, Google et Amazon qui dominent encore ce classement en affichant tous des capitalisations supérieures à 1.000 milliards de dollars. Certainement pas de quoi démoraliser les actionnaires de LVMH qui sortent évidemment comme les grands gagnants de cette embellie économique, à commencer par Bernard Arnault lui-même qui caracole désormais en tête des plus grandes fortunes mondiales, selon le magazine Forbes, avec des avoirs estimés à 211 milliards de dollars.
Le luxe à la rescousse de l’économie nationale
Ajoutez à cela les bons résultats de ses principaux concurrents et on peut se rassurer sur la croissance économique et surtout, sur le rayonnement de la France à l’international dans les années à venir. Comme pour apporter de l’eau à notre moulin, Kantar publiait cette semaine son rapport annuel sur les marques hexagonales les plus puissantes de l’industrie du luxe. On y retrouve donc Louis Vuitton à la 1re place, suivie d’Hermès de Chanel ou encore de Dior qui témoignent tous d’une croissance au moins supérieure à +30% en 2021.
Et ce qui fait le bonheur de nos poids lourds flatte forcément l’économie française : après avoir fait tomber une pluie de records ces dernières semaines, l’indice Cac 40 de la Bourse de Paris atteint aujourd’hui un sommet historique de plus de 7.500 points et témoigne d’une hausse de 17% depuis le 1er janvier. Il performe d’ailleurs bien mieux que la plupart des autres indices européens. En novembre 2022, déjà, Paris dépassait Londres et devenait la plus grande place boursière d’Europe pour la première fois depuis le début des statistiques en 2003.
Pourquoi la machine est elle aussi bien huilée ?
Vous l’aurez compris, les grands groupes français n’ont pas eu trop de mal à se remettre de la pandémie de Covid-19 ni même à croître malgré le déclenchement de la guerre en Ukraine qui a accentué l’inflation liée à la reprise économique post confinements. Alors même que « tous les ingrédients pour une crise étaient réunis », commente Bénédicte Hautefort, fondatrice de la fintech Scalens, l’inflation n’a pas touché tout le monde de la même manière.
Malgré un ralentissement des ventes en Chine, l’un des principaux marchés du secteur du luxe, les grandes marques françaises ont pu monter leurs prix sans craindre de perdre pour autant leur clientèle. Comme l’expliquait Mimoza Bogeska, directrice générale de la société de gestion Monocle Asset Management, ils « dépendent d’une clientèle aisée qui n’est pas dérangée par les hausses de prix ». Sans oublier qu’ils ont « aussi profité du renforcement du dollar par rapport à l’euro car leurs coûts de production sont en euros et ils vendent beaucoup en dollars ».
Un grand pouvoir impose de grandes responsabilités
Mais ça, c’est uniquement sur le plan financier. Tandis que les répercussions économiques du Covid-19 et de l’inflation semblent glisser sans accrocs sur l’industrie du luxe, beaucoup de leurs clients leur demandent en conséquence d’assumer pleinement leur rôle de transformation sociétale. Une étude rendue par l’IFOP en octobre 2021 dévoile qu’en France, 80 % des consommateurs de produits de luxe, 83 % aux États-Unis et jusqu’à 93 % en Chine, considèrent que le luxe doit donner l’exemple. Les marques l’ont bien compris et tentent déjà de définir la place de leur industrie dans « le monde d’après ».
Isabelle Lefort, cofondatrice de Paris Good Fashion qui réunit 110 entreprises du secteur de la mode et du luxe, concédait récemment qu’avec quelque 600 labels au niveau européen et des armées de consultants, « la RSE, c’est un peu le far west. Un espace en pleine révolution où il faut tout réinventer. Il y aura des morts mais aussi des réussites ». Dans le cadre de l’Institut Français de la Mode à Paris, son association dévoilait les résultats d’une étude menée conjointement avec Climate Change qui s’appuient sur des confrontations de données et des entretiens avec des responsables de 24 grands groupes français de mode et de distribution tels qu’LVMH, Kering ou Chanel.
Premier constat : l’analyse quantifiée n’est pas chose aisée, avec des périmètres et des considérations évoluant selon les organisations. Et qu’il est en réalité quasiment impossible actuellement d’évaluer l’impact de la mode en termes de gaz à effet de serre. Si on pourrait leur rétorquer que… bon quand même, certains indicateurs ne trompent pas, on leur accordera que se « rapprocher de la recherche scientifique », comme son organisme le suggère, est nécessaire « afin de pouvoir raisonner sur les données les plus justes ».
Rester du bon côté de l’histoire
Sur les 24 entreprises consultées, 15 ont réalisé un bilan carbone, 18 se sont fixé des objectifs de réduction sur les scopes 1,2 et 3 – les émissions directes 1 et 2, ou issues de la chaine de valeur pour le scope 3 – et 16 se sont dotées d’une stratégie de réduction des gaz à effet de serre précise. Et Dieu sait que s’ils ne prennent pas la pleine mesure de leurs responsabilités, plusieurs institutions seront là pour le leur rappeler. Fondé en 1954, le Comité Colbert, qui regroupe 93 maisons de luxe françaises, 6 membres européens et 17 institutions culturelles, s’est donné pour mission d’être « la voix du luxe français ». Bénédicte Epinay, sa déléguée générale, expliquait récemment au magazine Connaissance des Arts que « le secteur du luxe français doit prendre le leadership sur ces questions, de la même manière qu’il est pionnier sur la question de la transmission des savoir-faire ».
Avant de poursuivre : « Nos maisons portent les valeurs du temps long dans leur histoire, certaines ont des siècles d’existence, leur ancrage territorial et leurs savoir-faire transmis et préservés au fil du temps. Mais l’acquis ne suffit pas, il reste beaucoup à faire sur la recherche de matériaux de substitution et de nouvelles manières de produire dans le respect de la planète. Le mouvement dans lequel elles sont engagées les oblige à sortir de leur zone de confort, or la création se nourrit de l’inconfort. La période est passionnante en termes d’esthétique et de technique, les deux étant pour moi absolument liés. Nous allons au-devant de défis qui vont, je l’espère, révolutionner notre industrie ».
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