21 février 2022

Temps de lecture : 4 min

« Le cerveau ne fait pas la différence entre le monde virtuel et le monde réel », Inès Leonarduzzi, Digital for the Planet

Inès Leonarduzzi a trois casquettes : elle est agent artistique (elle dirige MTArt Agency France),  présidente de l’ONG Digital for the Planet, qui milite pour un numérique responsable, et elle est auteure. Elle est aussi jeune maman, information tout aussi importante que les autres, car, évidemment, tout est lié. En amont de sa participation aux Sommets,  qui auront lieu à Annecy du 28 au 30 mars *, dont INfluencia est partenaire, elle nous livre quelques amorces de réflexion sur le monde de demain, et ce que nous pourrions faire selon elle pour le réparer, «du numérique au réel, en passant par l’art».
Sophie Guignard : Après vous être investie dans plusieurs projets – dont Digital for the Planet – et avoir publié cette année « Réparer le futur » au sujet de la pollution numérique, vous êtes depuis quelques mois directrice générale du bureau français de l’agence artistique MTArt et travaillez sur un nouveau livre. Quel est le fil rouge de tout cela ?

Inès Leonarduzzi : Tout est assez lié pour moi. Il y a une constante que j’observe dans ma vie, c’est que je suis contre la violence. Et finalement au quotidien, je crois que je tente de lutter contre les violences de la société, qu’elles soient environnementales, psychologiques, esthétiques ou autres. Nous sommes de moins en moins vigilants avec ce dont nous nous nourrissons intellectuellement, notamment depuis que nous avons des smartphones et qu’il est possible de s’abreuver en continu d’informations visuelles. Or, ce qui nourrit nos cerveaux est très important. Comme tout organe, celui-ci a besoin de bons nutriments pour bien se développer. La façon dont nous traitons nos cerveaux conditionne la manière dont s’effectue notre réflexion. Car si nous ne réfléchissons pas bien, comment imaginer bien vivre avec les autres, avoir un projet de société, ou prendre soin de l’environnement ? L’enjeu des enjeux, écrit d’ailleurs Bronner, c’est bien le cerveau de chacun. Donc dans tout ce que je fais, je tente de sensibiliser sur ces sujets et de faire une différence.

S.G. : En quoi l’art peut-il aider à réparer cela ?

I.L. : L’art et le beau sont des éléments essentiels de la vie et du bien-être psychologique. Les études le prouvent d’ailleurs : les individus sont plus heureux lorsqu’ils sont exposés à l’art et au beau, que cela soit dans l’espace public ou sur leur lieu de travail. Un grand sondage a révélé que nous serions prêts à payer plus d’impôts pour avoir de l’art et des environnements plus esthétiques autour de nous (des œuvres, de la verdure etc…). Quand j’ai pris la direction de Mtart France, je me suis aussitôt tournée vers les enjeux d’art public, pour le plus grand nombre ; la raison pour laquelle nous choisissons des artistes de renom international à forte sensibilité sociale et tentons de placer leurs œuvres dans des endroits où elles auront un impact positif.

S. G. : Votre premier livre, Réparer le futur (Editions de l’Observatoire, 20 ) mettait en lumière les impacts négatifs du digital, que cela soit sur l’environnement (il s’agit d’une industrie extrêmement énergivore), la société, ou la santé mentale individuelle. De quoi parlera le prochain ?

I.L. : Il sera en quelque sorte la continuité du premier. Dans mon premier livre, j’invitais le lecteur à se déconnecter, du moins à prendre du recul et utiliser le numérique de manière plus responsable à tous les niveaux. Mon prochain , un peu ironiquement, explore les façons dont nous devrions cette fois nous reconnecter, à nous-mêmes, aux autres et surtout à demain.

S.G. : La reconnexion au vivant est un sujet en effet très actuel, avec beaucoup de mouvements et d’intellectuels prônant ce retour à la nature. Et en même temps, nous entrons de plain pied dans l’univers du Metaverse. Quel est votre regard sur cela?

I.L. : Le Metavers est un concept fascinant sur le plan technologique et particulièrement déroutant sur le plan existentiel. Il signifie entre autres choses que nos enfants pourront faire l’économie d’une vraie expérience de vie et s’en inventer une parallèle. Nous avons peu de recul sur les impacts du mélange des genres « réel » et « virtuel ». Parce que le cerveau, explique la communauté scientifique, ne fait pas la différence entre les deux. Une expérience, qu’elle soit réelle ou visualisée mentalement est traitée de la même façon par le cerveau. Sur un plan plus large, il y a là une sorte de colonisation du futur ; Zuckerberg décide pour nous des couleurs du monde de demain. Cela mérite tout de même de prendre du temps pour se poser les bonnes questions.

S.G. : Coloniser le futur, c’est-à-dire ?

I.L. : Quand la Grande Bretagne se rend en Australie, au XVII et XVIIIè siècle, elle est considérée par la Couronne, comme une « terra nullius », c’est à dire « terre qui n’appartient à personne ».  Nous serions choqués si aujourd’hui nous reproduisions ce schéma. Pourtant c’est peu ou prou ce qui se produit avec le metaverse tout comme l’inaction pour le climat : nous colonisons le futur. Nous nous approprions l’avenir comme s’il était un « tempus nullius », comme s’il n’appartenait à personne alors qu’objectivement, il appartient aux futures générations. Toutes les technologies peuvent avoir un pendant bénéfique pour la société, mais pour ce faire, il nous faut apprendre à penser au long terme, à dépasser les enjeux financiers du trimestre ou de l’année ou le mandat de quelques années de l’élu. Il faut apprendre à penser pour les siècles à venir.

S.G. : Mais n’avons-nous pas, nous, la possibilité de choisir si nous voulons de ce futur ou pas ? Après tout, nous ne sommes pas obligés d’adhérer et utiliser le Metaverse !

I.L. : Certainement ! Mais il faut se rappeler que les innovations, toujours, contribuent à façonner les législations et les mœurs de demain ; d’où l’importance du soin qu’on porte à nos cerveaux. Pour citer Cynthia Fleury, le soin est un humanisme.

 

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