Comme 15 % de la population française*, je suis ce qu’on appelle un « technophile ». J’ai un mobile, bardé d’un certain nombre d’applications, que j’utilise au quotidien. Sportif, je fais plutôt attention à mon hygiène de vie. J’ai donc tout naturellement cédé à l’appel des bracelets connectés, et ai ajouté à la panoplie une Apple Watch. En moins de trois mois, mes bracelets sont retournés dans leur emballage. En revanche, lors de mes entraînements quotidiens, ma montre – en plus, de me donner l’heure, mesure mes pulsations cardiaques, sans ceinture de capteurs, avec une relative précision. À l’issue de la journée, elle permet également de visualiser une « agitation » physique journalière.
I HAVE A DREAM…
J’imagine un avenir connecté, où je pourrai suivre précisément l’évolution de mon hygiène de vie, mais également mieux gérer les obligations liées au traitement de ma maladie chronique. Et par « meilleure gestion de mon traitement », j’entends les prises de médicaments, la simplification de certains examens médicaux récurrents, mais aussi l’analyse et le partage des résultats de ces derniers. Demain, j’espère pouvoir, également, me reposer parfois sur un coaching personnel pertinent et accéder à un véritable tableau de bord de ma santé, comme le propose déjà aujourd’hui une start-up telle que Umanlife, dont la baseline sonne comme une injonction : « Prenez votre vie en main ». Et je pousse le trait encore plus loin : à l’avenir, tous mes souhaits pourront se réaliser, grâce à l’évolution de la performance du traitement de la voix, comme de celle des capteurs et des applications dédiées sur ma montre, et ce sans sortir mon mobile de ma poche.
POUR UNE GESTION POINTUE ET RESPONSABLE
Vœu pieux ? Pourtant, ce n’est pas faute pour les acteurs traditionnels – les groupes pharmaceutiques, les opérateurs télécoms, les éditeurs de
logiciels – et les nouveaux entrants, les fameux « barbares », Google et consorts, d’essayer d’œuvrer de concert dans le développement de produits, services et infrastructures qui prendraient en charge notre quotidien.
Dans le domaine du prédictif, IBM tire son épingle du jeu avec son système d’intelligence artificielle Watson. Le dispositif aiderait le médecin à émettre un diagnostic, mais aussi à l’étayer. Charge au spécialiste de valider ces préconisations, ou pas. À des fins curatives, le géant pharmaceutique Sanofi a développé, depuis déjà quelques années, une application de suivi glycémique, iBGStar, accompagnant au plus près le patient diabétique.
Pour sa part, la société H4D tente de résoudre le problème des déserts médicaux grâce à son dispositif médical connecté Consult Station. Un concept intéressant, car si les politiques de santé sont hétérogènes suivant les pays, en France, peu importe le profil, les comportements ou les facteurs de risque associés, chacun sait qu’il a le droit d’être soigné et le sera ! Si cette particularité française a de nombreux avantages pour les plus démunis et pour les malades, en globalisant les risques et les investissements obligatoires, elle ouvre la porte aux abus. En effet, elle n’œuvre pas vraiment pour une responsabilisation du citoyen qui permettrait peut-être une meilleure répartition des dépenses. Cela ouvre le champ des possibles, à moyen terme, pour les acteurs privés, comme les assureurs, d’affiner leurs règles de sélection des profils et de remboursement. Qui a le droit d’être soigné ou pas ? Quelle région pourrait prétendre à un dispositif de suivi à distance, sous réserve que ses habitants aient les habitudes alimentaires et une hygiène de vie – activité physique, par exemple – appropriées ?
On peut espérer que la chaîne de valeur, qui va se structurer au fur et à mesure de l’implication de tous les acteurs traditionnels, des pure players et autres start-up, permettra de construire un socle de connaissances sur chacun d’entre nous, toujours dans le respect de la protection de nos données. Ces données auront une place centrale demain dans la gestion de notre santé personnelle, et rendue responsable.
LE PUBLIC, SES DONNÉES ET SON ADHÉSION
La performance du suivi de ma santé reposera, en effet, sur la valeur des datas récupérées. Cette valeur reposera sur la création d’une dynamique gagnante, prenant en compte nos habitudes alimentaires, physiques et cérébrales ; mais aussi l’importance de notre environnement, selon des facteurs tels que le lieu de domicile, de l’entreprise et donc la nécessité de me déplacer. Des données qui s’appuieront aussi sur la situation locale selon des éléments exogènes impactants (la pollution, le bruit, les éléments allergènes, la température, etc.). Seule cette agrégation de données complémentaires et porteuse d’une véritable valeur pourrait améliorer la prise en charge de notre santé.
Plus encore, elle permettra d’obtenir l’adhésion d’un public, qui aura l’obligation de se responsabiliser face aux prestations proposées par les acteurs publics et privés de la santé (assurances, banques, employeurs, État). Un public qui, comme moi, est actuellement déçu de l’indigence des expériences et usages associés aux objets connectés, hormis dans quelques applications spécifiques et limitées. Le CES 2016 en est d’ailleurs le reflet : encore cette année, les objets connectés y ont fait leur show, y compris dans le secteur de la santé. Les objets connectés ont beau faire parler d’eux, les Français n’y sont pas encore accros. De surcroît, les chiffres confirment cette tendance : une étude réalisée pour le compte de Sanofi révèle que seuls 7 % des Français ont déjà utilisé une fois un objet connecté médical. Commercialement, le succès franc n’est pas au rendez-vous : les ventes évoluent plus lentement que ce que les entreprises souhaiteraient.
Ce manque d’adhésion pourrait être remédié par la création d’écosystèmes vertueux : un espace médical – que ce soit le cabinet, l’officine, la maison de retraite, voire l’infirmerie scolaire – rendu connecté et convivial. La pharmacie pourrait être le laboratoire de proximité et fédérateur de la santé connectée.
L’HUMAIN, AVANT TOUT
L’e-santé repose, rappelons-le, avant tout sur des valeurs humaines. Et le pharmacien pourrait à l’avenir en être la figure de proue. Cet acteur, qui délivre aujourd’hui un médicament sous tutelle, doit être demain au centre de la relation entre le citoyen et l’écosystème médical. Dans un monde vieillissant, la nouvelle officine prendrait la forme d’un « live bar de la santé » dans lequel le pharmacien œuvrerait entre conseil, écoute, démonstration, coaching in situ et à domicile, et bien entendu délivrance de médicaments.
La pharmacie deviendra donc ce lieu où il fait bon de rencontrer, d’échanger et d’apprendre avec les habitants de son quartier, quel que soit l’âge, et pourquoi pas, autour d’un cocktail énergisant ou apaisant. Un concept proche est d’ailleurs en cours d’expérimentation dans quelques pharmacies de France, grâce au groupe PHR via « Ma Pharmacie Référence ».
Si on pousse l’idée plus loin, la digitalisation de l’officine comme celle du quartier – capteurs ou crowdsourcing citoyen – permettrait par exemple d’afficher l’état de santé du quartier : le niveau de pollution, le taux de maladies infantiles et virales, etc. Le pharmacien aurait ainsi vocation à récupérer ces données pertinentes pour prévenir les épidémies, communiquer avec les médecins locaux, voire servir de relais médical entre les écoles locales et la mairie. Le pharmacien, futur CTO de la ville ? La pharmacie serait en effet à même, grâce à sa capacité d’agréger les personnes et leurs datas, d’opérer en tant que hub indépendant de données sécurisées grâce à la blockchain, et être référent officiel pour le développement de soins adaptés à chaque individu.
*Baromètre IDATE de la confiance des Français dans le numérique.
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LOUIS TREUSSARD
CEO et directeur de la prospective de L’Atelier BNP Paribas, au service du développement et de la transformation digitale, avec un goût prononcé pour l’agitation d’idées et l’innovation de rupture, le business development, le coworking, l’open innovation. Adepte de l’esprit jugaad, « redevenons ingénieux », avec un œil sur l’anthropologie pour ne jamais oublier les fondamentaux chez l’Homme !
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La performance du suivi de ma santé reposera
sur la valeur des datas récupérées
Illustrations de Mathilde Rives