8 juillet 2024

Temps de lecture : 4 min

L’agenda politique dicte-t-il l’agenda médiatique ?

Dans notre ère numérique, tout le monde parle en même temps, le monde bruisse, littéralement. Tellement que l’on ne perçoit plus la source du bruit qui émerge. À se demander s’il nous parvient par sa puissance (quantité) ou son importance (qualité) ? Qu’y a-t-il derrière l’agenda médiatique, si tant est qu’il y ait « quelqu’un » ? Un article extrait du livre blanc "Médiascopie d'un pays" en collaboration avec le SIG.

« Je n’arrive plus à comprendre le monde dans lequel on vit. Comme si tout était devenu une grande déglingue. »1 La Fièvre se pose comme le miroir de l’époque, de ses bulles de filtres, de ses espaces pas- sionnels, mais aussi – évidemment – de la maîtrise de l’agenda médiatique et politique et des différents acteurs qui s’y ébrouent. Des mots qui résonnent avec la perception globale d’une forme de grande foire de l’actualité au sein de laquelle il est de plus en plus difficile de s’y retrouver. Des mots qui résonnent aussi avec la multiplicité d’émetteurs, une forme de multitude qui dans chacune de ses micro-parcelles capte une part de l’attention, et donc de l’agenda médiatique.

Une bataille sans fin ni front

L’auscultation des Unités de Bruit Médiatique (UBM) 2023 raconte d’ailleurs la prolifération des préoccupations venant de tous les horizons. En effet, cinq sujets : questions climatiques, catastrophes écologiques, réforme des retraites, guerre en Ukraine et insécurité trustent le haut de la fourchette. Toutefois, d’autres comme le conflit Hamas-Israël, le décès de Nahel, l’éducation et le pouvoir d’achat demeurent à des niveaux assez élevés de bruit médiatique. Comme si deux conversations se déroulaient en parallèle et que, par moment, elles se répondaient. Difficile dès lors de savoir qui des politiques, des citoyens ou des médias a fait monter le sujet à l’agenda médiatique. « La bataille pour la maîtrise de l’agenda médiatique est, plus que jamais, permanente », décrit Philippe Moreau-Chevrolet, communicant, fon- dateur de l’agence MCBG Conseil. « Les politiques rêvent toujours de fixer le menu de l’agenda, mais en réalité très peu en sont encore capables dans cet univers où les émetteurs sont multiples et plus petits les uns que les autres. »

De fait, la transition numérique a profondément transformé cette bataille, avec les campagnes de militantisme en ligne et la puissance des réseaux sociaux qui « inscrivent des choses à l’agenda » d’une manière jusqu’alors inimaginable. Cette mutation digitale, cependant, met en lumière un « fossé immense » entre les préoccupations quotidiennes des gens et le traitement médiatique, précise Philippe Moreau-Chevrolet. Selon lui, les « UBM reflètent la chose politique plus que l’opinion publique ». Elles sont un outil de « mesure » mais ne peuvent en aucun cas à « elles seules expliquer la construction de l’agenda médiatique ». Constat partagé par Michaël Nathan, directeur du Service d’information du Gouvernement (SIG). Il estime que les « UBM sont basées sur une méthodologie ancienne » qu’il « faut appréhender en valeur relative plutôt qu’en valeur absolue ». Selon lui, « les agendas médiatique et politique ont profondément évolué.

Un sujet porté politiquement n’atteint pas forcément l’agenda médiatique, et vice versa. Cela parce que les raisons d’une mise à l’agenda d’une thématique sont plurifactorielles. » De quoi largement questionner la notion même d’agenda politico-médiatique. Michaël Nathan : « Ce qui permet d’avoir une vision plus fine et plus claire de ce qui nourrit la discussion peut aussi se repérer dans la comparaison des cinq sujets majeurs discutés sur les réseaux sociaux avec ceux discutés dans les médias traditionnels. Comparaison intéressante pour prendre la mesure des écarts et des centres d’intérêt. Il est aussi très utile de comparer les réseaux sociaux entre eux, où les sujets débattus sont différents. »

Affiner l’analyse en multipliant les angles d’approche. Répondre à la multitude par une autre multitude en quelque sorte. De quoi permettre, peut-être, de mieux appréhender la dichotomie entre les sujets médiatisés, souvent dominés par la sécurité, et les préoccupations centrales des Français : le pouvoir d’achat, la santé, l’éducation. Un écart révélateur qui démontre, notamment, que le traitement médiatique de la sécurité, exacerbé par des événements dramatiques, contraste avec les préoccupations plus structurelles et persistantes de la population, mettant en évidence une volatilité dans la perception et l’intérêt du public qui défie les logiques traditionnelles de l’agenda-setting. « Tous ces éléments façonnent un agenda médiatique morcelé et complètement saturé, note Philippe Moreau-Chevrolet. C’est notamment pour cette raison que les différents groupes militants et identitaires parviennent à imposer des thèmes. Plus le morcellement est grand, plus des outsiders peuvent s’imposer dans l’agenda médiatique et politique. » Et de poursuivre : « C’est aussi du fait de l’agenda surchargé et trusté par tout un tas d’acteurs que la “tolérance relative” pour les actes de violence symbolique, comme lors des Gilets Jaunes par exemple, parvient à s’installer. Tout se passe comme si les Français avaient intégré le fait que pour avoir droit à un moment médiatique, il fallait nécessairement produire un acte de violence. »

 

Faut-il privilégier la discrétion et sélectionner soigneusement les moments d’intervention pour maximiser l’impact ?

 

De la qualité à bas bruit ?

Dans ce contexte d’archipellisation des personnes en capacité de truster l’agenda médiatique, la réflexion sur la nécessaire rareté de la parole ou du moins sur l’importance des moments où celle-ci est partagée devient de plus en plus cruciale. « Je ne crois pas qu’il soit possible, dans le contexte actuel, de pratiquer la rareté de la parole comme au temps de Jacques Pilhan, juge Michaël Nathan. En revanche, il apparaît important de ne pas rebondir sur tout en permanence. » De facto, les préceptes de Jacques Pilhan, distillés à François Mitterrand puis à Jacques Chirac, sont-ils solubles dans la société de l’hyper communication ?

Quoiqu’il en soit, poser  la  question interroge le rapport à la visibilité et à l’efficacité communicative. Faut-il privilégier la discrétion et sélec- tionner soigneusement les moments d’intervention pour maximiser l’impact, plutôt que se noyer dans le flux continu d’informations ? « Je formulerais les choses de la façon suivante : la rareté nécessaire actuellement n’est pas une rareté de la disparition, mais une rareté où les acteurs décident parfois de ne pas répondre, créant ainsi du désir et donc une forme de tension dans l’agenda médiatique », analyse encore le directeur du SIG.

 

Des questionnements sur « qui est le “maître des horloges”? » qui s’inscrivent dans le cadre plus large d’une « société des paradoxes », où des contradictions flagrantes telles que l’engagement écologique face à la consommation effrénée, qui sonne comme une injonction paradoxale, reflètent les complexités et les défis de l’identité collective contemporaine. De quoi permettre de penser différemment les rapports à l’information.

 

  1. Des mots entendus dans La Fièvre, la série d’Éric Benzekri diffusée sur Canal+.

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