27 août 2024

Temps de lecture : 4 min

La vague scélérate de la vision négative de l’immigration

« Le poids des mots, le choc des photos. » On a tous en tête ce slogan de Paris Match inventé par son directeur de la rédaction Roger Thérond en 1976. Cinquante ans plus tard, il est plus réel que jamais. Le traitement de l’information passe éminemment par les images, au risque de créer des fake. Mais sur un sujet comme l’immigration, les mots sont aussi manipulateurs, la rhétorique sait aussi jouer de « chocs » pour manœuvrer les esprits. Un article extrait du livre blanc "Médiascopie d'un pays" en collaboration avec le SIG.

«Il est difficile, voire quasi impossible pour un journal ou un média, quel qu’il soit, de faire actuellement une Une positive sur la question migratoire», affirme le communicant Philippe Moreau-Chevrolet, interrogé sur la question du traitement médiatique de l’immigration. Et il développe : « Sur la persistance et le développement du thème de l’immigration, il convient d ’analyser cela en termes d ’offre et de demande. L’offre politique sur la question de l’immigration est puissante et de plus en plus forte, tandis qu’il est légitime, aujourd’hui, de se demander si la demande n’a pas été créée par l ’offre pléthorique. » Ainsi, selon le communicant, cette question demeure-t-elle structurante du fait surtout de l’offre politique plutôt que de l’intérêt que lui portent les Français. « Ce qui ressort de toutes les études sérieuses d’opinion est que cette question va et vient sur le devant des préoccupations lors des crises, et repart ensuite très vite au profit des vraies questions structurantes que sont pour les Français l’école, le pouvoir d’achat et la santé », détaille encore Philippe Moreau-Chevrolet. Un constat qui résonne avec les unités de bruit médiatique (UBM) qui montrent une question de l’immigration intensément scrutée quand les Français la considèrent comme moins importante que le pouvoir d’achat, l’éducation, la santé et l’écologie.

Reste à comprendre : pourquoi la question de l’immigration reste-t-elle structurante dans la discussion du bruit médiatique? Peut-être parce que l’essentiel du débat porte sur le nombre, la sécurité et le contrôle. Tout cela alors que les faits rationnels ne semblent pas montrer un besoin majeur à cet endroit. De fait, pour mieux cerner le « traitement médiatique » de l’immigration, avec la section Sciences Po de la fondation Jean-Jaurès, nous avons analysé le champ lexical du sujet dans les différents médias. De cette analyse menée de longue date grâce à un logiciel idoine sur des médias papier et audiovisuels, il ressort plusieurs enseignements.

Des bruits contradictoires

Le premier des enseignements est la prégnance des mots issus du champ lexical de la peur et de l’urgence. L’utilisation de termes connotés négativement que ce soit en Une, dans le corps des articles ou même dans les bandeaux titres des chaînes info sont pléthore. «Crise», «vague», «flux» ou encore «afflux» sont régulièrement employés pour décrire les mouvements migratoires vers l’Europe et la France. Jamais ou rarement ils ne sont contrebalancés par un élément positif. Cette terminologie suggère non seulement une dimension d’urgence, mais aussi un sentiment d’invasion ou de débordement, contribuant à une perception anxiogène de l’immigration. L’autre champ lexical le plus employé lorsqu’il s’agit d’évoquer l’immigration est celui de la sécurité. Omniprésent dans le discours médiatique. Pas étonnant donc de le retrouver aussi dans les UBM 2023 avec le projet de loi Immigration, ou encore les émeutes en banlieue suite à la mort de Nahel.

En opposition à ces narratifs négatifs dominants, il y a un autre traitement qui cherche à humaniser le sujet de l’immigration.

Ainsi les termes tels que «contrôle», «surveillance », « clandestins », « expulsion » ou « fermeture des frontières» reflètent-ils une approche sécuritaire. Cette focalisation sur la dimension sécuritaire renforce l’idée d’une menace potentielle que l’immigration représenterait pour la cohésion sociale et l’ordre public. De quoi renvoyer une image plus que délétère de cette question et contribuer à mettre en tension la société.

En opposition à ces narratifs dominants, il y a un autre traitement qui cherche à humaniser le sujet de l’immigration. Sous cette facette, le vocabulaire se fait plus empathique et inclusif, mettant en avant des mots comme «réfugiés», « demandeurs d’asile », « intégration », « solidarité » ou encore «droits humains». Cette approche vise à rappeler les causes profondes des mouvements migratoires, telles que les guerres, les persécutions ou les crises humanitaires, et à souligner la nécessité d’une réponse plus humanitaire et solidaire.

Entre sensationnalisme et responsabilité éditoriale

L’équilibre entre sensationnalisme et responsabilité éditoriale est un enjeu majeur dans le traitement de l’immigration. Si certains médias peuvent être tentés par un discours alarmiste pour capter l’attention du public, d’autres s’efforcent de proposer une analyse plus nuancée et équilibrée, en contextualisant les enjeux et en donnant la parole aux principaux concernés : les migrants.

Une étude de l’institut Convergences Migrations, s’appuyant sur des méthodes de traitement automatique du langage naturel pour analyser les sujets spécifiques liés à l’immigration dans les médias français, a corroboré ces enseignements avec un ajout. Il apparaît que certains canaux médiatiques, suivant leur audience, mettent l’accent sur des aspects différents de l’immigration. Par exemple, des chaînes comme TF1, qui sont plus regardées par des individus défavorables à l’immigration, l’associent fréquemment à son coût ou au terrorisme, tandis que des chaînes à l’audience perçue comme plus favorable à l’immigration, telles qu’Arte, privilégient des sujets comme le conflit syrien ou la crise en Méditerranée. Même constat sur l’image renvoyée. L’institut Convergences Migrations estime ainsi que l’utilisation d’une rhétorique négative autour de l’immigration joue un rôle substantiel dans le façonnement des attitudes envers ce sujet, tendant à orienter l’opinion publique vers des positions anti-immigration. Ceci est d’autant plus marquant que dans d’autres pays la couverture médiatique de l’immigration est plus encline à susciter l’empathie et des réactions favorables chez les téléspectateurs.

Vers un nouveau récit ?

Face à ces constats, l’interrogation persiste sur la possibilité de forger un nouveau récit autour de l’immigration qui transcenderait les clivages et contribuerait à une meilleure compréhension des phénomènes migratoires. Un tel changement impliquerait une réflexion profonde sur le langage employé, les images diffusées et les histoires racontées, pour passer d’une logique de confrontation à une approche plus inclusive et constructive.

Ainsi, il apparaît clairement que le traitement médiatique de l’immigration en France est un miroir des tensions, des défis, mais aussi des opportunités de notre époque. À travers les mots et les images se jouent non seulement la représentation d’une réalité complexe mais également la construction de notre rapport à l’autre. Et si, dans la perspective d’un journalisme de solutions, les médias dans leur ensemble contribuaient à ériger une réalité plus complexe ?

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