La sobriété est par essence voulue. Elle se différencie en cela de la pénurie, forcée. Elle se matérialise par des choix conscients et passe par la priorisation des besoins, par des renoncements. La sobriété est l’ère du temps. Face aux limites planétaires, aux risques géopolitiques, et aux crises énergétiques et économiques, c’est un enjeu intégré par tous. Elle est sur toutes les lèvres, même celles de notre président. Elle est sur toutes les Unes. Elle est tour à tour dans nos assiettes moins carnées, nos thermostats et nos cols roulés. Mantra, voire art de vivre pour certains, la sobriété s’affiche comme l’unique issue d’un monde en crise(s). Alors que chacun s’organise, compte, hiérarchise, les entreprises et à travers elles les marques, doivent, elles aussi, se requestionner : que fais-je de trop, jusqu’où doivent porter mes efforts ?
À cette question, “How much is enough?”, les marques interrogées pour l’étude The Brand Immersion* réalisée par le Club des Annonceurs et Kantar répondent avoir pris à bras-le-corps ce besoin de sobriété, par des chemins différents, mais avec une volonté commune : réduire les impacts négatifs de l’activité humaine sur l’environnement, climat et biodiversité en tête, et trouver une voie heureuse d’y parvenir. Car la sobriété peut être désirable et désirée. Elle peut être gagnante quand elle est organisée et qu’elle bouscule l’établi pour ériger de nouveaux paradigmes. Voici quatre courants inspirés et inspirants de sobriété.
Si progrès et croissance ont profondément marqué la planète depuis les commencements de l’anthropocène, ils portent aussi en eux une partie de la solution. La technologie – qu’elle soit green, smart ou à impact – offre à chaque génération l’opportunité d’une plus grande efficacité énergétique. Les marques qui s’en emparent permettent ainsi à leurs clients de freiner drastiquement leur consommation d’énergie. Dans la téléphonie, le déploiement de la 5G et l’amélioration des box permettent de restreindre considérablement l’énergie utilisée par le réseau. Dans le bâtiment, la rénovation énergétique, le relamping ou le cool roofing sont autant d’actions au service d’une moindre dépense énergétique. La technologie est aussi vectrice d’économies en énergies et matières : certains misent désormais sur le métavers pour limiter les déplacements, ou l’utilisation de jumeaux numériques, comme le propose Dassault Système, pour simuler plus précisément en 3D les impacts et ménager le temps et les ressources. Cette efficience a le mérite de faire porter l’effort nécessaire à la technologie, et non au consommateur, afin d’accélérer les transitions. Mais cela ne vaut sobriété pour les entreprises qu’à condition bien sûr que cette plus grande efficience soit accompagnée d’une sobriété d’usage. Des marques comme EDF ou Orange accompagnent leurs clients en développant par exemple des applications permettant de suivre leur consommation, et de prendre conscience de la dépense énergétique de leurs comportements.
Marques et distributeurs doivent se préparer au passage à la vente en vrac sur 1/5 de la surface de leurs magasins de plus de 400 m2.
Quand les contraintes deviennent des opportunités
Les entreprises et les marques peuvent également transformer les contraintes réglementaires, économiques ou énergétiques en une opportunité de faire différemment, de se réinventer. Les pénuries avérées ou à venir de certaines ressources (ingrédients clés dans l’alimentaire ou la cosmétique ; minerais pour la technologie, etc.) conduisent ces acteurs à adapter leurs offres (nouvelles recettes, nouvelles formulations) et repenser le cycle de vie des produits (reconditionner les téléphones plutôt que les détruire). Par ailleurs, les nouvelles réglementations visant à épargner les ressources, notamment celles des emballages à usage unique, impliquent des transformations profondes des chaînes de production, de distribution et d’utilisation des produits. Marques et distributeurs doivent se préparer au passage à la vente en vrac sur 1/5 de la surface de leurs magasins de plus de 400 m2. Ainsi Franprix teste-t-il le vrac avec les grandes marques nationales sous la bannière « Moins emballées, plus responsables », afin de sensibiliser et encourager les consommateurs à un comportement plus vertueux. Le vrac c’est moins d’emballage, moins de déchets, et une consommation plus adaptée aux besoins de chacun, souvent moins onéreux et antigaspi. Mc Donald’s, pour répondre à la fin du recours au plastique à usage unique, déploie dans ses restaurants l’usage de vaisselle réutilisable, et a remplacé les jouets en plastique des Happy Meal par des livres. Ces transformations nécessaires n’enlèvent rien au plaisir, voire améliorent l’expérience client, tout en étant frugales en énergie et matière. Les marques font de leur démarche un sujet positif pour elles et pour leurs clients. Elles combinent recherche d’impact et priorité business par une stratégie d’adaptation qui ne se fait pas au détriment de la consommation et du confort, tout en générant des économies conséquentes post investissements.
La raréfaction des ressources, la nécessité d’endiguer la marée des déchets et les autres impacts négatifs de l’activité économique conduisent aussi de nombreuses marques à repenser une partie de leur modèle d’affaires. Quand les stratégies d’adaptation ne permettent pas de faire baisser massivement la consommation d’énergie, ou lorsqu’elles cherchent à dépasser les résultats déjà obtenus, les marques se lancent à l’assaut de nouveaux horizons et recherchent des modèles alternatifs forts. Le cas de la transformation des activités courriers de la Poste est intéressant. L’entreprise a placé au cœur de sa stratégie la question de la réduction de son impact carbone. Elle a agi tout d’abord sur ses pratiques en commençant par la décarbonation du transport du courrier er le recours aux véhicules électriques. Par la révision du standard J+2 à une livraison J+3, l’entreprise a pu renoncer au recours à l’avion. Et demain elle imprimera le courrier au plus proche du domicile pour limiter toujours plus les transports.
Pour mener à bien ces changements profonds de son activité, l’entreprise mise sur la créativité, sur le travail en écosystème avec les startups, et sur la pédagogie et la communication de proximité avec ses clients et ses collaborateurs. Enfin, en prenant le contrepied de la vitesse pour faire l’éloge de l’humain et de la fiabilité, elle lutte contre les excès du tout instantané qui défigurent villes et campagne, offrant un paysage de dark stores et d’autoroutes à livraison. Ces nouveaux business models, plus sobres et plus frugaux, participent à l’émergence de marques plus humaines et plus proches de leurs clients.
Quand les stratégies d’adaptation ne permettent pas de faire baisser massivement la consommation d’énergie, les marques se lancent à l’assaut de nouveaux horizons et recherchent des modèles alternatifs forts.
Le temps de la disruption
Aucune montagne ne semble désormais assez haute pour freiner l’élan de ceux qui ont érigé la sobriété comme seul modèle économique viable. Les marques sobres par essence font des émules et elles sont toujours plus nombreuses à lancer leurs activités sur ce créneau. Elles valorisent, voire disruptent les modèles économiques à meilleur impact environnemental, comme l’économie de la fonctionnalité ou l’économie circulaire, et font de la nature leur actionnaire majoritaire. On ne compte plus aujourd’hui les initiatives de seconde main des entreprises, renversant même la logique d’un distributeur comme Decathlon (pardon, nolhtaceD), qui rachète les produits de ses clients plutôt que de les leur vendre. Le passage d’une économie de la possession à une économie de l’usage invite des distributeurs à tester le modèle de la location, comme Greenweez, pionnier du e-commerce bio qui teste la location de matériels de puériculture. Citons enfin 1083, connu pour ses jeans made in France, en matière recyclée, consignés et recyclables à l’infini, qui s’est doté d’une nouvelle mission, celle de construire la perma-industrie du jean, calquée sur les 12 principes de la permaculture. Il s’agit de s’inspirer de la nature dans son activité industrielle, en conservant le souci de prospérité réciproque. Patagonia, dont le fondateur a cédé l’intégralité de ses parts à « la planète Terre », installe carrément la nature à son board… Ainsi les pionniers de l’impact, fidèles à leurs valeurs, s’engagent-ils dans la transformation totale de leurs activités avec une visée régénérative, prônant l’abolition de la surconsommation et l’avènement d’une consommation plus raisonnée, moins excessive, consciente des limites et attentive à rendre à la nature plus que ce qu’on lui a pris.
*Le Club des Annonceurs est le premier « Think do Tank » des dirigeants de marque en France. Créé en 1991, il rassemble ces derniers en une communauté d’intérêts, centrée sur l’innovation et le capital marque.