« La publicité est un milieu très dur et qui n’a souvent aucune mémoire », Philippe Boucheron (Australie.Gad)
Deux ans que Philippe Boucheron officie chez Australie.Gad en tant que directeur général, directeur de la création. Une agence en bien des points, différents de Buzzman qu'il a aimée pendant huit ans. La mission confiée par son président David Leclabart ? Redonner le goût de l’étonnement au sein du groupe.
INfluencia. : Buzzman, puis Australie.Gad, un grand écart ? Pourquoi ce virage et ce choix ?
Philippe Boucheron : c’est la suite logique d’un parcours professionnel entamé depuis vingt ans. J’avais envie avant tout de me challenger et de prendre un poste de manager. J’étais dans la meilleure agence de Paris, – Buzzman-, tous les sujets étaient super intéressants. Notamment Burger king et j’avais la chance de bosser avec un directeur de création hyper charismatique qu’est Georges Mohamed Cherif, qui nous poussait toujours pour trouver la meilleure idée. C’était unique comme sensation pour un créatif de se dire que n’importe quelle super idée avait de grandes chances de sortir. Mais au bout de huit ans j’avais l’impression d’en avoir fait le tour et je ne voulais plus travailler en team, j’avais envie de me mettre en danger et de voir si je pouvais m’exporter tout seul ailleurs. C’est là que j’ai rencontré David Leclabart le président d’Australie.Gad. Nous nous sommes rencontrés un matin de novembre et ça a matché tout de suite, comme pour un date 😉 Il m’a parlé de sa vision du métier et de ce qu’il voulait faire de son agence dans les dix ans à venir. En vingt minutes c’était plié , je me suis dit que son projet était exactement ce qui me correspondait à un moment charnière de ma carrière. Je ne voulais surtout pas devenir un vieux créatif aigri, qui se dit : tout était mieux avant, j’en ai trop vu hélas dans ce métier.
IN. : un vieux créatif aigri… Vous n’êtes, ni vieux, ni aigri…
Ph.B. : la publicité est un milieu très dur et qui n’a souvent aucune mémoire. Un jour vous êtes au sommet, le lendemain vous ne devenez plus rien. Bref, prendre le poste de DG et la direction de la création d’Australie.Gad ne pouvait pas se refuser. Et puis bosser avec David qui va à deux mille à l’heure dans sa tête me plaisait énormément. Sans oublier qu’il a de très beaux cheveux…
IN. : Depuis deux ans chez Australie, l’agence semble revivre en termes de création… (Antoine Barthuel chez Gad est parti discrètement il y a deux ans)…
Ph.B. : le mandat de David lors de mon arrivée était simple : redonner le goût de l’étonnement au sein de l’agence. J’ai beaucoup de défauts, mais je crois avoir une grande qualité, mon énorme énergie et ma capacité à pouvoir entraîner les gens avec moi. Par ailleurs, ce que j’ai appris chez Buzzman c’est que rien n’est impossible quand on met toute son énergie. Je m’étais promis de venir chez Australie.Gad deux mois avant mon arrivée officielle pour initier un maximum de projets, à tel point que le jour de ma nomination ma première campagne sortait (Les mentions solidaires pour les Banques Alimentaires).
IN. : arriver deux mois avant le démarrage officiel de sa mission n’est pas commun…
Ph.B. : non mais je suis un peu comme ça dans la vie ! (rires) Et je ne remercierai jamais assez Antoine Barthuel de m’avoir fait la passe décisive et de m’avoir accompagné dans mon nouvel apprentissage de manager. Il a été de super bon conseil sur les choses à faire et ne pas faire, nous avons partagé le même bureau pendant six mois et j’adorais ces anecdotes sur sa période chez BDDP (NDLR, Marie-Catherine Dupuy l’engage en 1984 en tant que DA aux côtés de Bruno Lacoste pour former son premier team junior) et tous les grands créatifs qu’il avait rencontrés.
IN. : Australie.Gad vous a adopté, donc…
Ph.B. : c’est ça, et j’ai eu beaucoup de chance que David me laisse faire ce que je voulais. Au début je proposais des idées sur tous les sujets, cela partait un peu dans tous les sens, maintenant c’est plus structuré. Mais cette période était rigolote, car je découvrais une nouvelle agence et des nouveaux clients. J’étais un peu triste quand Antoine est parti de l’agence pour une retraite bien méritée. (Si tu me lis Antoine, encore merci et on se fait bientôt un déj).
IN. : qu’entendez-vous par le goût de l’étonnement ?
Ph.B. : le goût de l’étonnement c’est de faire en sorte que rien ne soit jamais pareil, que le niveau créatif, soit toujours au rendez-vous, toujours plus haut, et de donner confiance à tous les créatifs de l’agence. Qu’ils se disent le matin en arrivant qu’ils peuvent sortir de belles campagnes et gagner des prix.
IN. : après deux ans, vous avez le sentiment d’y être ?
Ph.B. : même si le chemin est encore long, le bilan en deux ans est plus que satisfaisant. Outre de belles campagnes, notamment MaîtreGim’s pour EDF, l’agence à remporté plus de cinquante prix !
IN . : le secteur de la communication vit au rythme des innovations tech. Comment, vous, DC au sein d’un groupe indépendant analysez ces changements ?
Ph.B. : l’omniprésence des technologies numériques a transformé les canaux de communication traditionnels. Les médias sociaux, le marketing digital, et les plateformes de streaming dominent désormais l’écosystème médiatique. Le rôle des médias sociaux comme espaces d’interaction oblige les marques à instaurer un dialogue continu et authentique avec leurs audiences. Cela nous oblige à trouver d’autres stratégies de communication : il ne s’agit plus de simplement transmettre un message, mais de co-créer avec les publics. Les consommateurs attendent des marques qu’elles adoptent des pratiques éthiques et transparentes, en particulier sur les questions sociales, environnementales et économiques. Le greenwashing ou le manque de cohérence entre les paroles et les actes sont fortement sanctionnés par les publics. Les frontières entre les médias, la publicité et le divertissement s’estompent. Je trouve fabuleux qu’avec tous ces canaux on puisse toucher autant de gens. Aujourd’hui un tweet peu faire le tour du monde.
IN. : avez-vous peur de l’IA pour ce qui concerne vos métiers de création ?
Ph.B. : la clé pour apaiser les craintes est de voir l’IA comme un allié et non un concurrent. L’IA est un outil qui excelle dans les tâches techniques et répétitives, mais elle ne peut pas reproduire des qualités purement humaines, comme l’intuition, l’émotion ou une vision artistique profondément personnelle.
La peur de l’IA est compréhensible, car elle redéfinit rapidement le paysage des métiers créatifs. Cependant, l’histoire montre que les avancées technologiques, bien qu’elles provoquent des bouleversements initiaux, tendent à élargir les possibilités et à créer de nouveaux rôles. Les métiers créatifs ont tout à gagner à adopter l’IA comme un outil, tout en cultivant ce qui fait leur essence : l’originalité, la sensibilité, et l’humanité.
IN. : santé mentale, radicalisation des jeunes, mécontentement des différents acteurs économiques, migrations, … est-ce un effet démultiplicateur des réseaux sociaux ?
Ph.B. : toutes les plateformes favorisent des mises en scène idéalisées de la vie, ce qui peut engendrer des sentiments d’insuffisance, d’anxiété ou de dépression, en particulier chez les jeunes.
Les réseaux sociaux, en tant qu’outils puissants de communication et de mobilisation, ont un effet démultiplicateur sur de nombreux phénomènes sociaux. S’ils peuvent avoir des impacts positifs, comme donner une voix aux sans-voix ou accélérer les solidarités, ils amplifient également les tensions, les malaises et les phénomènes négatifs. J’ai deux filles de six et dix ans et avec leur mère nous ne sommes pas pressés qu’elles aient un smartphone.
IN. : la rédaction, la direction artistique sont « humains » pensez-vous comme Olivier Altmann, qu’un « Just do it » de Nike, un Apple, « Think Different », un VW “C’est pourtant facile de ne pas se tromper », un Evian « Live Young » ne sont imaginables que par des créatifs pour leurs annonceurs ?
Ph.B. : un slogan marquant doit toucher une corde émotionnelle. Il évoque des sentiments profonds, qu’il s’agisse d’humour, de nostalgie ou d’inspiration, ce que l’IA ne produira jamais. Un slogan comme « Just Do It » de Nike résume une philosophie universelle d’action et de dépassement, mais sa simplicité cache une profondeur qui nécessite une vision humaine. « Think Different » d’Apple reflète une approche visionnaire et un positionnement stratégique audacieux qu’une IA aurait difficilement pu anticiper. Pour conclure sur ce sujet, les grands slogans publicitaires naissent souvent d’idées audacieuses, inattendues, ou même controversées – un domaine où l’IA manque d’instinct.
IN. : les rapports humains sont difficiles au sein des entreprises aujourd’hui, pourrait-on dire qu’Australie.Gad est un port d’attache sûr ?
Ph.B. : chez Australie.Gad, les rapports humains occupent une place centrale. Nous évoluons dans un environnement où la collaboration, l’écoute, et la bienveillance sont valorisées au quotidien. Pour avoir travaillé dans beaucoup d’agences je me sens parfaitement à l’aise au sein de celle-ci. J’ai vraiment l’impression que les gens sont contents de se retrouver le matin. Australie est une entreprise familiale, je pense que Vincent, Prudence, David (Leclabart) sans oublier Gilles (Masson) ne sont pas étrangers à cela.
IN. : que vous inspire l’alliance Trump-Musk, et l’intervention chaque fois plus oppressante des libertariens dans le jeu politique mondial ?
Ph.B. : l’alliance entre Donald Trump et Elon Musk, représente une union inattendue entre deux figures très influentes, mais dans des domaines distincts. Trump incarne une vision populiste et nationale, tandis que Musk est perçu comme un génie technologique au service de l’innovation. Leur alliance semble être une tentative de marier populisme et avancées technologiques pour influencer l’opinion publique et le débat politique, on le voit notamment avec Musk et l’enjeu de X. Tout cela fait très peur, et hélas ce n’est que le début.
IN. : vos campagnes préférées de tous les temps, qui vous bercent, vous inspirent encore ?
Ph.B. : même si je suis un ancien DA, j’aime beaucoup les campagnes de mots, je suis toujours bluffé par les campagnes intelligentes où tu te dis que tu n’es vraiment pas grand chose par rapport aux créatifs qui les ont trouvées. C’est pour cela que j’ai une affection particulière pour la campagne pour la chaine de télé américaineABC, elle est d’une simplicité exemplaire et tellement juste.
Il y a aussi l’annonce Nike : Mickael Jordan – Isaac Newton, elle est sortie en 1993, mais elle est toujours aussi bien, pour moi on n’a jamais fait mieux en print.
En film, l’Odyssey de Jonathan Glazer pour Levis, une vraie claque visuelle…
Le cog de Honda, un véritable ovni.
Et pour finir le Replay de Gatorade, un petit chef-d’œuvre comme seuls les Américains savent faire.
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