Vous préparez votre repas de Noël. Le couteau à huître en main, vous réalisez avec terreur que vous allez manquer de citron. Vous avez aussi oublié d’acheter des biscuits pour l’apéritif et le petit dernier vous annonce qu’il préférerait de la glace à la vanille plutôt qu’une tranche de bûche. L’an dernier, de tels oublis auraient été synonymes de dispute et de coup de stress autour du sapin. Aujourd’hui, un simple coup de fil suffit pour faire s’envoler tous ces « problèmes ».
Depuis quelques mois, les parisiens et les habitants de plusieurs grandes villes françaises dont Lille, Lyon, Montpellier, Toulouse et Bordeaux ont découvert de nouveaux logos sur les blousons des coursiers à vélo. Dija, Gorillas, Cajoo, Kol, Flink… Ces jeunes acteurs proposent de vous livrer en un temps record une sélection d’articles de première nécessité. Ces start-ups s’époumonent dans une véritable course à l’échalote pour séduire les consommateurs. Kol se dit capable de vous apporter vos paquets de chips et votre gel douche en 20 minutes. Cajoo s’engage, pour sa part, à vous faire parvenir vos commandes à votre domicile en 15 minutes chrono. Gorillas, Dija et Flink promettent eux de sonner à votre porte 10 minutes après l’envoi de la confirmation de votre achat sur votre smartphone. Qui dit mieux ?
Gagner des parts de marché coûte que coûte
Ces surenchères ont lieu dans tous les principaux marchés européens. « Certaines plateformes en Angleterre ne vous demandent aucun frais de livraison et d’autres vous offrent même des cadeaux à chaque commande même si cette dernière atteint à peine quelques livres sterlings, constate Annabelle Gawer, une professeure titulaire de la chaire d’économie numérique àl’Université du Surrey qui va publier au mois de mars aux éditions Dunod un livre intitulé « Plateformes : le business-model qui domine le monde ». Aujourd’hui, aucune de ces sociétés ne gagnent de l’argent. Elles en perdent même beaucoup. Leurs pertes sont couvertes par les fonds de capital-risque qui les soutiennent. » Ces investisseurs ne sont pas avares de cash pour aider leurs « poulains ».
Plus de 1 milliard d’euros levé en 9 mois
La jeune pousse berlinoise Gorillas a levé en décembre 2020 36 millions d’euros. Trois mois plus tard, elle a trouvé 244 millions d’euros supplémentaires avant de rassembler 800 millions au mois de septembre dernier. En 9 mois chrono, cette start-up est devenue une licorne et sa valorisation dépasserait aujourd’hui 3 milliards de dollars. Pas mal pour une toute jeune société dont les pertes sont classées « secret défense » ! Le modèle de ces plateformes demande en effet de très lourds investissements et engendre des coûts fixes abyssaux. Pour être capables de nous livrer en un quart d’heure, ces compagnies doivent notamment ouvrir dans presque chaque quartier des entrepôts. Ces « dark stores » doivent se situer à moins de 2 kilomètres du client pour permettre aux livreurs de tenir leurs délais. Avoir de tels locaux nécessite beaucoup d’argent dans des villes comme Paris et Londres où les loyers sont astronomiques. Dija est allé encore plus loin en salariant ses coursiers. Cette stratégie est louable car dans le secteur de la livraison, l’exploitation des collaborateurs qui sont généralement payés à la tâche est la règle. Annabelle Gawer ne doute pas que le marché de la livraison express à domicile, qui représenterait déjà 500 millions d’euros selon Kantar, va faire de nombreuses victimes dans les années à venir.
Une consolidation inévitable
« Une fois que ces marques seront bien installées, elles vont devoir baisser leurs coûts et plusieurs options s’offrent à elles pour y parvenir, analyse cette ancienne étudiante de Paris 6, Stanford et du MIT qui enseigne également à l’Imperial College de Londres, à l’Université d’Oxford et à l’INSEAD. Elles peuvent s’allier à des chaînes de supermarchés afin d’utiliser leurs locaux pour stocker leurs réserves comme Gorillas le fait déjà avec Tesco. Elles peuvent aussi accroître leurs prix de vente ou moins payer leurs livreurs. » Des fusions entre différents acteurs sont également possibles mais les distributeurs traditionnels vont peut-être réagir et décider d’affronter ces jeunes pousses qui leur grappillent des parts de marché.
« La logistique et la livraison rapide ne sont pas les cœurs de marché des chaînes de supermarché, assure Annabelle Gawer. Walmart a tenté de se lancer seul et il n’a pas réussi. Ses dirigeants ont alors décidé de racheter en 2016 la plateforme Jet.com qui connaissait un joli succès. Cette reprise leur a permis de se développer rapidement et le groupe est aujourd’hui le deuxième plus important livreur aux Etats-Unis après Amazon. » Cet exemple pourrait-il faire des émules en Europe ? Possible, très possible…