INfluencia : pouvez-vous nous raconter votre parcours atypique…
Karin Hémar: j’accompagne les institutions, galeries et entreprises en élaborant avec et pour elles des projets destinés à laisser une empreinte culturelle depuis 20 ans.
Et développe par ailleurs ma propre pratique photographique, en travaillant à des compositions associant, voire confrontant ses images saisies au quotidien à d’autres supports, tels que chutes de papier peint ou archives vernaculaires. Mon activité de conseil se concentre sur la stratégie créative, la communication et la médiation. Photographie, art contemporain, métiers d’art, design et art de vivre sont mes sujets de prédilection, que j’ aime mêler dans une vision transversale. Une discipline inspirant l’autre pour donner naissance à des initiatives originales, notamment entre marques et talents d’horizons variés. Le journalisme culture et modération de conférences me permettent aussi de mettre en lumière les acteurs et créateurs du monde des arts.
IN. : la photo est déjà présente, pendant votre enfance…
Karin Hémar : petite, je chipais le polaroïd de mon père, dont je trouvais le procédé de révélation instantanée magique. Depuis quinze ans, j’ai développé ma pratique de façon instinctive, la nourrissant peu à peu des projets, découvertes et rencontres artistiques réalisés en tant que journaliste, commissaire ou consultante. Travaillant plutôt en coulisses, bien placée pour constater combien la création nécessite travail, persévérance et humilité, il m’a fallu du temps pour oser « m’exposer », dans tous les sens du terme. Autodidacte, j’ai compris que cela me devenait nécessaire pour progresser.
IN. : qu’est-ce qui vous anime?
K.H : faire un pas de côté, revisiter l’ordinaire, brouiller quelque peu les lignes pour stimuler le regard. Je ne cherche pas à témoigner d’une réalité. Mes photos sont un point de départ, le déclencheur de mon imaginaire. Ces mots de Susan Sontag résonnent beaucoup en moi : « Au bout du compte, l’image photographique nous lance un défi : « Voici la surface. A vous maintenant d’appliquer votre sensibilité, votre intuition, à trouver ce qu’il y a au-delà, ce que doit être la réalité, si c’est à cela qu’elle ressemble ». Les photographies, qui ne peuvent rien expliquer elles-mêmes, sont d’inépuisables incitations à déduire, à spéculer, à fantasmer. » (Sur la photographie, 1975).
Apporter sa vision personnelle au sein d’un cadre, embrasser les contraintes, est plus riche qu’il n’y paraît au premier abord.
IN. : quelle différence faites-vous entre la photo personnelle et le travail de commande?
K.H. : j’ai répondu à des commandes privées. Auparavant, j’associais plutôt le mot « commande » à mes missions de stratégie créative, celles-ci me demandant d’appréhender tant des enjeux corporate que des enjeux de création. Apporter sa vision personnelle au sein d’un cadre, embrasser les contraintes, est plus riche qu’il n’y paraît au premier abord. Je le vis comme une sorte de dialogue inspirant. Je réalise des portraits en creux, à travers un lieu. De la cave au grenier, dans le jardin, je m’imprègne des différents espaces, essayant de déceler ce qui a pu compter, ce qui compte encore. Je photographie des détails, des traces de vie, des choses laissées là, des graffiti sur la pierre, des rais de lumière tombant sur un fauteuil, mais aussi des lignes plus abstraites et mystérieuses. Je procède ensuite à mes recompositions en ajoutant des papiers, photos et souvenirs confiés sur place. Cela confère un caractère symbolique à l’objet final. Entre présence et absence, c’est un exercice délicat qui porte en réalité sur le lien – celui qui nous attache à un être, à un endroit, à une histoire – et qui s’appuie sur une grande confiance mutuelle entre le commanditaire, le sujet et … moi. C’est un travail que j’aimerais poursuivre, sachant que chaque expérience est par essence unique.
IN. : la multipotentialité semble enfin être comprise des entreprises, est-ce une réalité ?
K.H. : en France, il y avait une grande frilosité à l’égard des « non spécialistes ». C’était louche de faire un pas de côté. Aujourd’hui, cette définition est plus acceptée, parce qu’entre temps la société a évolué, les mondes de l’art, du design, des marques, du virtuel, et par extension, la crise, ont permis de décloisonner tous ces mondes.
IN. : être son propre chef, son moteur, est-ce une contrainte ?
K.H. : cela demande une gymnastique intellectuelle, de l’organisation de tes journées, cela veut dire que tu es obligé d’être discipliné, pour ne pas tomber dans l’éparpillement. Le risque est de se perdre et de perdre les autres si tu ne parviens pas à cloisonner et à ranger tes activités… Et c’est là où il faut savoir dire non. Être consciente de tes limites. Ne pas consacrer trop de temps à certains dossiers…
IN. : vous parlez de la gestion du temps comme d’une règle aussi…
K.H. : Je pratique la photo de manière fugace, et cette activité s’imbrique très bien dans mon quotidien. En revanche, la partie collage, la production, donc, est un travail très intérieur, J’adore ce moment de composition, là j’ai besoin d’être isolée, d’un endroit où je suis seule, et ou je peux aller et venir deux heures plus tard. Ce qui est important en fait, c’est de ne pas se contenter d’avoir une idée, il faut la mettre au monde, il faut qu’elle existe.
IN. : comment se gère l’aspect économique de l’indépendante que vous êtes?
K.H. : cela fait 20 ans que je suis indépendante et que je crée mon chemin avec mes différentes facettes. Dans la multipotentialité il faut savoir saisir les occasions. « Le pourquoi pas? » doit être un moto. Mais en face de ce pourquoi pas, il faut être armé. Chaque fois que vous allez vers une nouvelle activité, vous devez apprendre, être exigeante, et audible pour ceux qui vous confient des missions. C’est ce travail d’ailleurs qui vous rend légitime auprès des autres mais aussi de vous-même.
En savoir plus
La série intitulée « Voici La Surface » de Karin Hémar – clin d’œil à Susan Sontag – a été exposée Galerie ArchiLib, à Paris jusqu’au 20 mai. En tant que commissaire, elle compte à son actif des expositions et évènements conçus ex-nihilo tels que la tournée « Eclats d’enfance » avec 33 photographes, « Jane Birkin célèbre l’Entente Cordiale France-Grande-Bretagne », « Carte Blanche au designer Marc Newson », « Jean-Loup Sieff pour Reporters Sans Frontières », « Cinecittà, Regards croisés », « Art-vidéo, la Chine se filme ».